…Vieux Farka Touré, fils du grand guitariste Feu Ali Farka Touré dixit : “Au Mali, quand un musicien meurt sa musique meurt”

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Fils du grand guitariste Ali Farka Touré, Vieux Farka Touré – surnommé "Vieux" outre-Atlantique – est un artiste connu et reconnu internationalement. Son album Fondo, l’un des ‘iTunes’ Best World Music, a été choisi pour figurer dans la sélection musicale du Wall Street Journal, du New York Times, du Village Voice, de la BBC… Il a été invité à la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde de la FIFA en 2010 avec une audience de plus d’un milliard de personnes. Il a également partagé la scène avec d’autres grands artistes tels que Shakira, Alicia Keys et K’naan. Et en 2011, après la réalisation de son album " The Secret " Vieux Farka Touré a entamé une tournée mondiale aux Etats-Unis et en Europe. Il associe blues et culture africaine et américaine et mêle modernité et tradition. En vacance présentement à Bamako, L’Indépendant a rencontré l’artiste à son domicile. Il a bien voulu nous accorder une interview exclusive. Dans cet entretien, l’artiste nous donne les raisons de son absence du Mali, il nous parle des difficultés rencontrées par les artistes au plan national, ses projets futurs, sans oublier son père.

L’Indépendant : Peut-on connaitre les raisons de votre présence à Bamako, vous qui êtes un artiste qu’on voit rarement au Mali ?

Vieux Farka Touré : Présentement,  je suis en vacance, c’est ce qui explique ma présence  à Bamako. J’ai décidé de diminuer les longues tournées de cinq et six mois que je faisais. C’est bon de travailler et d’avoir du succès mais il est parfois important de rester un peu avec la famille et de se ressourcer. Je profite pleinement de ces vacances  qui m’ont permis de  rendre visite au village à ma mère que j’aime beaucoup, à la famille et aux amis de mon père.

 

Qu’est ce qui fait qu’on voit jouer rarement Vieux Farka Touré au Mali ?

C’est à la fois difficile et  facile à expliquer. Moi je suis un artiste malien, mon souhait est de me produire régulièrement chez moi. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Au Mali, la musique des griots prime sur toutes les autres musiques. C’est vrai que ce genre de musique fait partie de notre culture mais moi je fais une musique qui est différente de celle-ci. Même si on a envie de jouer ici on a très peur. On se demande si le concert va donner ou pas alors que moi je fais de la musique au sens propre. Parfois, je joue de temps en temps au Mali même s’il est difficile que les mélomanes aiment mon style. Il est temps que les Maliens comprennent que les  artistes sont les ambassadeurs de la culture malienne. Raison pour laquelle nous sommes obligés parfois de faire de la musique universelle en plus de la musique traditionnelle. En un mot, un mélange de styles pour montrer que la musique malienne  peut s’adapter à tous les styles musicaux. Je n’ai rien contre les griots mais je veux qu’on accorde un peu plus d’importance à mon style. Moi, je ne fais pas de la musique à succès éphémère évidemment on le constate chez certains artistes au Mali. Après deux ou trois mois de succès, ils disparaissent. Il est temps que les Maliens accordent de l’importance à ma musique car c’est la culture malienne que je vends. Et tout  ce que je  fais c’est pour le Mali et non pour moi. C’est à travers cette musique que le tourisme est très développé au Mali.

 

Quelles sont les raisons qui ont poussé Vieux Farka Touré à suivre les traces de son père?

Je crois que c’est le destin. Je ne pensais pas devenir musicien jusqu’à ce niveau un jour. Sinon, j’ai toujours  aimé passionnément la musique.

 

Au regard des  nombreuses tournées que vous effectuez à travers le monde, peut-t-on dire que Vieux Farka Touré est en train d’assurer la relève de son père ?

Sur cette question, je préfère que les mélomanes portent leur propre jugement. Moi, je suis très mal placé pour y répondre. Dieu merci, j’ai eu l’opportunité d’effecteur beaucoup de tournées internationales à tel point que j’ai décidé d’en diminuer la fréquence. Il arrive parfois que je fasse plus de 26 ou 27 concerts par mois. Je m’apprête à partir pour une autre tournée d’un mois en Europe et en Inde. Dieu m’a donné cette chance de tourner comme mon père mais concernant le suivi des traces de mon père, les mélomanes sont mieux placés pour apprécier.

Avez-vous combien d’albums à votre actif ?

 

Je peux dire que j’ai trois albums normaux et deux remix.

Vous continuez à évoluer avec le groupe de votre père ou avez-vous votre groupe personnel ?

Au début, j’avais mon propre groupe de musiciens. Après, j’ai eu l’idée de reconduire le groupe de mon père en faisant appel à Aly (guitare accompagnateur) et Soulé (à la calebasse) pour venir renforcer les autres membres de mon groupe c’est-à-dire mon bassiste et le batteur qui est  Américain.  Car, moi j’aime beaucoup le mix,  un style qui est différent de celui de mon père.

 

Quel regard portez-vous sur la musique malienne ?

Dieu merci, la musique malienne se porte très bien. On voit de plus en plus de nouveaux artistes très talentueux. Certes, elle est en train de mourir avec les problèmes de piratage, de Bluetooth, de cartes mémoires, entre autres. Avec ces problèmes, peut-il vivre de son art ? Voilà la question que je me pose. On voit des artistes qui, après deux ou trois albums sont à pied ou à vélo. Ils n’ont pas les moyens de s’acheter une moto Jakarta encore moins une voiture, ça ne va vraiment pas. Au Mali, quand un musicien meurt sa musique meurt aussi. Plus rien n’est fait pour promouvoir sa musique ou ses œuvres. Ça aussi c’est une triste réalité qu’on connait dans le monde de la musique au Mali. Il est temps que les autorités prennent des mesures pour mettre fin aux difficultés auxquelles les artistes sont confrontés. Dieu merci, nous nous  avons eu l’opportunité d’effecteur plusieurs  tournées à travers le monde.  Mais ceux  qui n’ont pas eu cette chance s’en sortent difficilement. Je vois des artistes au Mali qui jouent pour 200 000 FCFA voire  50 000 FCFA. Avec une telle somme, après le paiement des artistes tu n’as plus rien. Raison pour laquelle de nombreux artistes sont obligés d’aller jouer dans les bars ou les maquis pour se faire un peu de sou. Ce n’est pas normal. C’est pitoyable.

 

Selon vous comment peut-on redynamiser le secteur?

 Je ne vois pas la solution car cette situation devient de plus en plus compliquée avec le problème du piratage. Les gens ne paient plus de cassettes ni de CD. Je crois que la population peut aider les artistes en refusant d’acheter les cassettes et les CD piratés. Si les mélomanes décident de ne plus acheter ces produits piratés, les vendeurs arrêteront leurs activités illicites. Je crois que c’est la seule solution pour que les artistes puissent sauvegarder  leur gagne-pain.

 

Les artistes eux-mêmes n’ont-ils pas leur part de responsabilité dans ce problème de piratage ?

Bien sûr, il y a certains artistes qui sont à la base de ce problème. Une fois qu’ils enregistrent un nouveau morceau, ils commencent à le balancer à travers des Bluetooth. Avant la sortie de l’album, tout le monde a déjà le son vous croyez que si l’album est sur le marché les gens vont l’acheter, je ne le  pense pas. En quelque sorte, ce sont les artistes qui sont à la base de ce problème. Moi, par exemple, si quelqu’un me demande de graver un disque pour lui, je dis carrément non. Je préfère te donner un CD original. Sinon pour rien au monde je ne vais pirater mon album pour quelqu’un.

 

Quels conseils donnez-vous à cette jeune génération d’artistes ?

Je dirai aux jeunes d’être plus courageux car la musique d’aujourd’hui n’est plus comme celle d’avant. Il faut avoir un certain niveau. Il faut qu’ils laissent les programmations et faire vraiment de la musique. Ils ont tendance à faire de la programmation raison pour laquelle c’est très difficile pour eux de s’en sortir.

Après la disparition de votre père, avez-vous eu l’idée d’organiser un événement à sa mémoire ?

Evidemment, le mois passé j’ai organisé un concert en face de sa résidence à Lafiabougou en collaboration avec Toumani Diabaté et Barou Diallo. Un concert gratuit au cours duquel nos artistes nationaux se sont succédé sur scène et cela  gratuitement. Nous essaierons   d’organiser l’événement chaque année pour que les mélomanes se souviennent de lui et redécouvrent ses œuvres.  

 

Et vos projets ?

Mes projets, c’est d’aider les jeunes artistes à évoluer et pour se faire une place dans le monde de la musique voire réaliser leurs rêves. Et aussi promouvoir la culture malienne à travers ma musique.

 

Bandiougou DIABATE

bandjoul@hotmail.com

 

 

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