C’est notre album coup de cœur depuis des mois. Et cela d’autant plus que des titres comme «Dounia», «Tunga», «Djélimory», «Larsidan», «Djanjo», «Mandé» et «Dagna» nourrissent notre inspiration une fois concentré sur nos articles. Et pourtant «Tunga» (diaspora/exode) est un opus qui ne date pas d’aujourd’hui puisque sa sortie internationale remonte au 14 février 2000. Mais, passionné de la musique de kora que nous sommes, nous l’avons découvert il y a juste près d’un an. Zoom sur Mamadou Diabaté, l’auteur de ce chef-d’œuvre.
«Tunga» (exode, aventure…) est ce chef d’œuvre du virtuose de la kora, Mamadou Diabaté, enregistré à New York (USA) avec le célèbre bassiste de jazz Ira Coleman, la star malienne Abdoulaye Diabaté (au chant) et une poignée de musiciens traditionnels exilés. C’est pourquoi, sans doute, une grande partie de l’œuvre est assez traditionnelle. A l’image de «Djanjo» qui remonte au 13e siècle. Tout le contraire de «Dounuya» qu’on classerait aisément avec les fortes tendances blues à cause en partie de l’excellente prestation du bassiste électrique, Cheick Barry. Comme lui, l’apport d’Ira Coleman (un bassiste de jazz acoustique qui a joué avec des grands comme Joe Henderson, Herbie Hancock et la regrettée Betty Carter) présent sur cinq des neuf titres de Tunga. «Qu’il intègre des éléments occidentaux ou privilégie une approche traditionnelle, Mamadou Diabaté apporte beaucoup de charisme à cet album engageant, principalement instrumental», avait commenté Alex Henderson, tromboniste américain originaire de Californie.
Avec des titres aussi très bien élaborés les uns que les autres, «Tunga» nous offre une évasion mélodieuse à travers la doigté du virtuose (kora) Mamadou Diabaté. Ce qui n’est pas d’ailleurs surprenant car, au studio, le virtuose de la kora a su s’entourer de nombreux d’artistes talentueux (instruments et voix), notamment Abdoulaye Diabaté, Ira Coleman, Fousseyni Kouyaté, Fodé Seydou Bangoura, Cheick Barry, Famoro Diabaté, Mamadou Diawara… A sa sortie, l’album a été bien accueilli par de nombreux critiques pour qui c’est un disque qui a gardé des «qualités authentiques, à travers des morceaux originaux ou des classiques tirés des répertoires gambien, malien ou guinéen». Ils étaient surtout impressionnés de voir Mamadou Diabaté tirer de sa kora «les sonorités les plus pures» tout en conservant «l’esprit originel» déclinant sa personnalité, lui conférant une identité propre.
En Occident, certains confrères n’ont pas hésité à classer cette œuvre dans la catégorie «pop africaine». Et cela même s’ils reconnaissent que «quand on pense à la pop africaine contemporaine, la kora n’est pas le premier instrument qui vient à l’esprit». Et cela d’autant plus que, instrument à cordes avec un son de harpe, elle fait partie de la musique africaine traditionnelle depuis des siècles…» ! N’empêche que la kora, de la manière dont elle jouée par Mamadou Diabaté, n’est pas à exclure de la pop africaine. Et cela d’autant plus qu’elle est utilisée à la fois pour les sons traditionnels et plus modernes comme on le constate agréablement sur «Tunga», un «album enrichissant» du virtuose malien.
«Douga Mansa», le tournant décisif d’une brillante carrière
Même si nous ne l’avons découvert que récemment, le talentueux artiste s’est déjà fait une place au soleil du showbiz international avec des consécrations prestigieuses. Né en 1975 à Kita, Mamadou Diabaté est issu d’une famille de griots devenus maîtres de la kora. Fils du virtuose joueur de kora , Djelimory Diabaté, Mamadou Diabaté est également le cousin des Toumani Diabaté, Madou Sidiki Diabaté… qui font aujourd’hui la renommée de cet instrument mythique comme lui et perpétuent une tradition séculaire avec cette harpe à 21 cordes, la kora.
Comme ses cousins, sa musique est également prospective car il n’hésite pas à s’entourer de musiciens d’horizons divers comme le bassiste américain Ira Coleman présent «Tunga» (exode, aventure). En 1996, Mamadou s’est installé à New York suite à une tournée de l’ensemble instrumental du Mali. Invité aux concerts de nombreuses stars maliennes (Ami Koïta, Tata Bambo Kouyaté, Kandia Kouyaté, Babani Koné), il s’est produit à l’ONU, au Lincoln Center, au Metropolitan Museum, au Smithsonian Institute de Washington…
Le choix de vivre aux Etats-Unis donne à ce cousin de Toumani Diabaté surtout l’opportunité d’explorer de nouveaux univers musicaux en croisant les notes avec les jazzmen Donald Byrd et Randy Weston, le légendaire musicien Zimbabwéen Thomas Mapfumo, les maîtres du blues Eric Bibb et Guy Davis ; Angélique Kidjo, Amy Koïta, Guy Davis, Ben Allison… Ce qui ne l’empêche pas de mener aussi une carrière solo enviable. En 2008, Mamadou Diabaté a remporté le trophée du «Meilleur album de musique traditionnelle» à la 52e édition des Grammy Awards avec «Douga Mansa» (World Village, 2008).
Totalement instrumental et 4e opus du jeune koriste, ce chef d’œuvre a été ainsi récompensé par l’Académie des Grammy parce qu’il revisite brillamment des airs classiques mandingues. «En ouverture, Toutou Diarra offre un étonnant mélange de mélodies et de rythmes qui se croisent et s’entrecroisent dans une étonnante simultanéité syncopée. Il semble impossible qu’une telle complexité jumelée à une telle précision soit l’œuvre d’un seul musicien sans aucun overdubbing (ajout de pistes) à et pourtant», s’était enthousiasmé un critique après le sacre aux Grammy Awards!
Il est vrai que cette œuvre n’a presque laissé personne indifférente avec ses «thèmes sereins, ondoyants» avec un titre éponymique, «Douga Mansa», célébrant la patience et faisant référence à la récurrence cyclique de la vie et de la mort. Au total, cet album comptabilise onze magnifiques titres qui «enflamment l’imagination et ravissent les sens». Et cela d’autant plus, commente un critique, «chaque note naît de l’imagination étincelante et ciselée de la main experte d’un maître de classe internationale». Ce 3e album a incontestablement confirmé son immense réputation de virtuose de la kora et de «franc-tireur» de la musique dont l’inspiration s’enracine dans la tradition.
Et de nos jours, le jeune artiste a une discographie prestigieuse avec «Tunga» (Alula Records, 2000), «Héritage» (World Village, 2006), «Behmanka» (World Village, 2005), «Douga Mansa» (World Village, 2008), «Strings Tradition» (Felmay Records, 2009) et Courage (World Village, 2011). Et ce n’est qu’un début, Insh’Allah. Et cela d’autant plus que, visiblement, Mamadou a sagement suivi les conseils de son père qui lui a conseillé d’écouter les koristes virtuoses de tout l’empire mandingue, de respecter le jeu classique tout en développant sa propre technique. Ce qui lui ouvre un grand et large boulevard vers d’autres consécrations aussi prestigieuses les unes que les autres !
Moussa Bolly