SIDI TOURE : «Notre culture, c’est notre trésor et l’avenir du Mali»

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SIDI TOURE : «Notre culture, c’est notre trésor et l’avenir du Mali»
SIDI TOURE

Désigné par des médias comme la figure discrète du Sahel, Sidi Touré, artiste-musicien, est natif de la cité des Askia. Il vit la musique dans son âme. Malgré l’opposition farouche de certains membres de sa famille en ces débuts, lesquels n’aimaient pas le voir chanter mais plutôt poursuivre ses études, Sidi Touré a préféré suivre son destin, c’est-à-dire suivre une carrière dans la musique. De l’orchestre régional de Gao en passant par le Badema national, cet artiste mène aujourd’hui une carrière solo et se produit en Europe, en Amérique… De retour d’une tournée internationale, nous l’avons rencontré chez lui à Baco-Djicoroni (Golf). Il nous parle de son parcours et ses projets. Sidi Touré croit fermement que «notre culture est notre trésor, notre pétrole et l’avenir du Mali».

 

 

Comment  vous êtes-venu dans la musique ?

Vous savez, moi et la musique, c’est une longue histoire. D’abord ma famille n’aimait même pas que je la fasse. Or, depuis à notre bas-âge,  nous étions les premiers de notre génération à savoir qu’avec une ardoise on peut fabriquer une guitare. Par exemple, tu prends deux ardoises, tu écris sur chacune d’elles le chiffre trois (3) que tu découpes après. Cela te donne la  forme d’une guitare. Ensuite, avec un câble du vélo, tu peux fabriquer facilement une guitare. Alors, mon grand-frère cassait systématiquement mes guitares, car il n’aimait pas me voir chanter. Il souhaitait que je puisse continuer mes études. Je pense que chacun a un chemin à suivre dans la vie. C’est à l’école Farendjirey de Gao que j’aie commencé à chanter. En classe, le directeur de l’établissement a demandé  à mon professeur de ne pas me programmer en premier position, s’il y avait chant, car il estimait que je perturbais les cours dans les autres classes. C’est d’ailleurs grâce à lui que je suis venu à l’orchestre régional de Gao  «le  Songhaï Star en 1976». Moi et un autre jeune du nom de Doumma Albarka qui est actuellement au Niger. Nous étions les plus petits du groupe. Par la suite, mon maître Ibrahim  Soumaré a crié mon talent sur tous les toits et il m’a même dit que  je ferai un jour carrière dans la musique. Toute chose que je n’arrive pas à oublier à chaque fois que je pense à lui.

 

 

Parlez-nous un peu de votre passage à l’orchestre régional de Gao  «le  Songhaï  star» et le Badema National ?

Je suis venu retrouver mon grand maître, Feu Ibrahim Hamma Dicko, qui a conduit l’équipe jusqu’à 1982 où il s’est retiré. C’est après lui que j’ai pris les rênes de l’orchestre comme chanteur soliste. De 1982 à 1984, nous avons chanté «Bortieni talo», c’est la chanson Takamba qu’Oumou Sangaré a repris avec Wayena de Sabou Dorintie. La partie vocale est de moi, plus la chanson «Maroutierey». Avec laquelle, nous avons été classés premier en 1984. Et deux ans après, nous avons fait «Karaw» qu’Ali Farka a repris,  plus Izafoutou. C’est à partir de ça que le Songhaï star a commencé à briller. Nous avons participé à des tournées culturelles à Tombouctou, Mopti. Nous avons également participé aux échanges culturels Gao-Algérie, Gao-Niger. Je me souviens encore de notre passage au Festival d’Argourmou au Niger. Ce festival restera pour moi un événement inoubliable, car le Nigérien en son temps était étonné de voir un orchestre régional jouer exactement de la musique «ZARMA» avec la chanson Maroutierey, c’est en Zarma. Les Nigériens ne pouvaient pas imaginer qu’un orchestre régional puisse se produire de la sorte.

 

 

 

Quant à Badema national, depuis que j’étais à Gao, Feu Harouna Barry était l’intime ami de mon grand-frère. Vous savez, Feu Harouna Barry a servi à Gao en tant qu’enseignant, mais il fut aussi un grand amoureux et pratiquant de basket-ball. De mon retour d’une petite aventure au Niger, j’ai décidé de produire un album dans mon pays et je n’avais que deux personnes en tête pour réaliser l’un de mon souhait, c’est-à-dire faire sortir un album. Il s’agit de Feu Harouna Barry et de Feu Zani Diabaté. D’ailleurs, c’est Zani qui m’a pris sur sa moto pour me chercher un producteur au grand marché de Bamako. Malheureusement, nous avons parcouru tous le marché sans avoir obtenu un producteur. Selon lui, un producteur doit être un professionnel, quelqu’un qui connaît bien la musique. Il n’a pas trouvé quelque pour moi. C’est par la suite que Harouna Barry m’a dit : album ou pas, tu peux venir au Bademba National. En plus, c’est lui personnellement  qui m’a inscrit en tant que contractuel au Badema National. Avant son décès, lorsqu’il est allé à la retraite, il a eu l’initiative de créer le Baron de la Capitale. Il nous a alors dit que le Bademba est primordial. Mais que les éléments du Bademba National pouvaient être utilisés pour animer le Baron de la Capitale lorsque le Badema n’avait pas de spectacle. Nous avons travaillé ensemble jusqu’à son décès. Voilà,  un homme  humble, un homme exceptionnel qui n’avait ni petit-frère, ni grand-frère, ni neveux. Il mettait les gens sur le même pied d’égalité.

 

 

Parlez-nous de votre carrière solo ?

Ma carrière, ça va. Je peux dire que je suis dans la grande «soutoura». Car depuis 2011 jusqu’à nos jours, je suis en tournée en Europe et aux Etats-Unis. Grâce à Dieu, j’ai un label à Chicago qui ne jure que par mon nom. Pour moi, ça c’est plus que de l’or ! À mon actif, j’ai 4 albums. «Koima», sorti officiellement en 1991 ; «Hogga» dont je n’aimerai pas en parler car ça été trop piraté ; «Holley tiemaye» ou «la dense des possédés» sorti en 1996 ; «Sahel Folke». Puis, en 2012, l’album «A lafia» qui veut dire la paix en arabe, partagé par quatre langues : tamasheq, bambara, sonrai et Mossi.

 

 

Quels commentaires faites-vous des émissions culturelles qui passent sur le petit écran de  l’ORTM ?

(Rire). Je ne sais même pas quoi dire, car je vois rarement nos œuvres sur notre propre chaîne nationale. Il faut que les animateurs culturels sachent que nous, artistes, sommes des porte-drapeaux du Mali. Donc, la promotion de la musique malienne passe par la promotion de nos artistes. Or rien n’est fait dans ce sens, alors que la chaîne II fait son mieux. Mais la télé, c’est autre chose. Nous sommes des pionniers dans ce pays. Pendant la crise que le pays a traversée (2012-2013), qui ne nous a entendus crier sur les ondes des chaînes internationales pour défendre les couleurs du pays ? Je crois que l’ORTM doit faire la promotion des artistes maliens. Lors de mon passage à Washington, Salif Sanogo m’a vu et m’a dit quelque chose qui m’a trop touché. Il m’a dit de lui faire signe prochainement pour qu’il parle de moi, car aux Etats-Unis, dit-il, on m’a beaucoup parlé de Sidi Toure, or, au Mali, tel n’est pas le cas. Je pense que la presse a un grand rôle à jouer dans la vie d’un artiste. C’est pourquoi, je remercie l’ensemble des hommes et femmes de médias. Pour moi, un artiste ne vaut rien sans la presse.

 

 

Qu’est-ce qui explique votre non-présence dans les différents festivals  organisés au Mali ?

C’est vrai. Je ne suis pas trop visible dans les différents festivals au Mali. Peut-être que je ne suis pas à la hauteur (Rire). Sinon la faute ne m’incombe pas. Il faut plutôt demander aux promoteurs des festivals. Peut-être qu’ils ont la réponse, si on voit qu’il préfère chercher ailleurs. Je pense que c’est plutôt des complexés devant les autres. Sinon comment peut-on expliquer cela ? Nous sommes invités dans les grands festivals en Europe et aux Etats-Unis, mais chez nous, au Mali, tel n’est pas le cas. Et le plus souvent nous nous interrogeons ? Nous pensons que le rayonnement de la musique malienne passe par là, car la promotion de la culture malienne doit être le combat de chacun et de tous.

 

 

Parlez-nous de votre récente tournée effectuée en Europe et Amérique ?

Elle a été fructueuse, pas en terme d’argent, mais en matière d’expérience. J’ai appris beaucoup de choses durant cette tournée. Elle  m’a permis de partager ma petite expérience en tant qu’artiste. Aussi, j’ai rencontré de grands musiciens d’Europe et d’Amérique qui ont eu des mots très aimables à l’endroit de la culture malienne. J’ai eu l’honneur de rencontrer un des grands bluesmen de Chicago, Bill Brichet, qui m’a dit : «Quand tu joues, j’ai  la chair de poule». D’ailleurs, il a même promis de participer à mon prochain album. En terme du donner et du recevoir, cette tournée l’a été. C’est pourquoi je lance un appel à la jeunesse de mon pays, de continuer à travailler. Et aussi, qu’ils soient très sûrs  d’eux-mêmes. Car après le dur labeur, c’est le bonheur. Donc, le découragement n’est pas bon. Si tu te décourages, tu n’iras nulle part d’après un adage qui dit : «Celui qui cherche du miel dans une grotte ne regarde pas le bout de sa hache».

 

 

Quel regard avez-vous de la musique malienne ?

La musique malienne est au sommet de sa gloire avec des ténors comme Salif Keita, Oumou Sangaré, Bassékou Kouyaté, Habib Koïté, Sidi Touré, Vieux Farka, les Groupes Tinariwene et Kamitreze… Franchement, je trouve que la musique malienne est au sommet. Je profite de vos colonnes pour inviter la jeune génération d’artistes à accepter de bosser, d’aller vers les aînés. Qui cherche, trouve, car le Mali dispose d’un patrimoine riche et varié. Par exemple, tu peux prendre n’importe quel  festival dans le monde, tu verras au moins 5 à 6 artistes maliens se produire sur la même scène. Chacun présente le Mali dans ses différentes couleurs. Ça, c’est une chance pour notre culture.

 

 

Quelles sont vos relations avec les autres artistes maliens et comment comptez-vous accompagner la génération montante ?

Mes relations avec les artistes sont bonnes. Je ne veux pas citer de nom pour ne pas faire des frustrés. J’ai de bonnes relations avec beaucoup d’artistes maliens, avec lesquels j’ai eu l’occasion de me produire sur scène, en Europe, en Amérique. Durant mon séjour au Badema National, j’ai eu à connaître beaucoup d’artistes avec qui j’ai gardé de bonnes relations. En ce qui concerne la jeune génération, je la respecte beaucoup. Souvent, ils font de belles choses. Je prends par exemple les rappeurs maliens, ils font de la musique engagée, très constructive avec des messages souvent clairs et précis. C’est pourquoi, je reste ouvert aux jeunes qui doivent aussi venir vers nous. Car d’après un adage : «Si la colline ne va pas au gorille, il faut que le gorille vienne vers la colline». Je pense pouvoir former et aider des jeunes de mon pays.

Quels sont vos projets ?

(Rire). Vous savez, un projet, c’est une affaire de sous. C’est pourquoi, quand j’étais aux Etats-Unis, j’avais lancé un appel aux bailleurs de fonds. Mon ambition, aujourd’hui, c’est de m’engager dans la formation de la jeune génération. Vous savez, il y a des instruments chez nous qui sont en voie de disparition ou qui ont même disparu. Je compte m’engager pour sauver ces instruments. J’invite les autorités politiques à œuvrer pour le rayonnement de notre culture, car notre seul trésor, notre pétrole et l’avenir du Mali, c’est notre culture ! Pour le moment dans notre sous-sol, on n’a rien vu. Sur le plan culturel, le Mali a remporté plusieurs trophées en Afrique, en Europe, en Amérique. Aussi, suis-je à la recherche de matériel pour compléter ce que j’ai dans mon studio. Certainement pour aider la jeune génération, pour qu’ils puissent émerger un jour. Parmi mes projets, je compte aussi  m’investir dans la terre, comme dirait l’autre, «la terre ne ment pas» car tout commence par la terre et tout finit par la terre. Nous avons un immense territoire traversé par de grands fleuves (le Niger et le Sénégal).

 

 

Un dernier message…

J’invite tout le monde à aller vers la paix, gage de tout développement. C’est vrai, les gens ont été victimes d’atrocités, ce qui est difficile à oublier, mais nous devons aller vers le pardon. Le Mali a besoin de toutes ses filles et de tous ses fils, pour qu’il puisse remettre de la crise que le pays a traversée. Le rôle des artistes est très important dans ce sens ; ils doivent être associés au processus de réconciliation nationale en cours.

Alhousseini TOURE

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