Malgré toutes les difficultés que connaît le continent noir, la chanteuse malienne Rokia Traoré veut rester optimiste. Car les jeunes générations défendent les libertés récemment acquises.
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Vous connaissez un succès international en chantant en bamanan, une langue malienne ? Comment avez-vous réussi à imposer votre singularité ?
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Rokia Traoré : Je tourne un peu partout dans le monde avec le bamanan [bambara], une langue qui est loin d”être internationale. La plupart des instruments sont traditionnels et j”ai une carrière plus internationale que 80 % des chanteurs de pop, qui sont connus dans un pays, mais inconnus ailleurs. La solution, c”est d”arriver à trouver ce qu”on a en commun au-delà des langues.La diversité est une richesse, mais, malgré cette grande diversité, on a forcément quelque chose en commun. Il suffit d”être ouvert aux autres et d”aller vers les autres pour que les autres se sentent bien. Quand j”ai débarqué dans la musique, les gens m”ont dit : "Cela ne va intéresser personne. C”est pas possible ! Des instruments acoustiques d”Afrique de l”Ouest. Ce sera pas pour l”Europe, ce sera pas pour le Mali non plus, parce que tu n”es pas griotte et tu ne veux pas faire de louanges." Finalement, si ça marche c”est parce que c”est de la musique avant tout. Je ne pourrais pas faire la musique comme une griotte et je ne pourrais pas faire la musique comme quelqu”un qui a fait le conservatoire, qui a vécu en France, qui a une histoire en France, qui a été découvert en France.
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Je serai celle qui vient d”ailleurs pour tout le monde, finalement. Même au Mali. C”est très drôle quand les Maliens me disent que je fais une musique de Blancs. Quand on sait que les instruments que j”utilise sont les plus acoustiques parmi les musiciens maliens qui font des tournées internationales. Et que les Maliens trouvent que c”est trop européen.
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Votre personnalité laisse perplexes beaucoup de Maliens.
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En effet. Mais je ne le prends pas mal. J”ai mon public. Avant d”être chanteuse, je suis malienne. C”est le plus important. Avoir une histoire au Mali. Je ne pensais pas vivre en France au départ. C”est des choses de la vie qu”on ne contrôle pas. Je vis une partie de l”année à Amiens.
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Et j”ai aussi la nationalité française. Je suis malienne avant tout. Cela se passe bien avec mon public malien aussi.
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Le fait que vous ne soyez pas issue de la caste des griots a-t-il compliqué votre insertion dans le milieu musical malien ?
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C”est vrai que je constitue un cas particulier. Je ne suis pas une griotte. Je n”ai pas chanté lors des mariages et des baptêmes.
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A l”époque, j”étais la première musicienne de ce genre-là. Pendant longtemps, soit les musiciens étaient griots, soit ils avaient arrêté très tôt leurs études.
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J”étais la première à l”époque à avoir choisi de me lancer dans une carrière de chanteuse après avoir fait des études. A vouloir écrire mes textes moi-même, à vouloir faire des arrangements musicaux. Avant d”opter pour une carrière de chanteuse, j”avais commencé des études de sciences sociales à Bruxelles.
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Chanter en bamanan et mener à bien une carrière internationale, c”est donc possible ?
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C”est possible, c”est vrai, mais si je disais que c”est facile, je mentirais. En France, c”est très facile d”être dans un cercle familial où l”on ne connaît pas du tout l”Afrique. Donc, il y a du boulot à faire. C”est très difficile d”intéresser les médias audiovisuels à la culture africaine, notamment les télés.
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Etes-vous tentée de chanter en français pour élargir votre public ?
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Mes premiers textes, je les ai écrits en français. Ça m”intéressait d”écrire en bamanan parce que ça m”était difficile. C”est comme ça que j”ai arrêté d”écrire en français. Après je ne savais plus le faire. Dans l”avenir, je réécrirais en français parce que j”ai envie de le faire. Le succès en soi n”est pas vraiment une chose qui m”attire. Ce qui est essentiel pour moi, c”est l”idée d”évolution, pas d”être quelqu”un d”hyperpopulaire ou d”hyperriche. Quand je chanterai en français, cela se fera de façon naturelle, mais il ne s”agira pas d”une stratégie marketing.
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Que pensez-vous du succès grandissant de vos compatriotes Amadou et Mariam, dont le dernier album a été produit par Manu Chao ?
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J”adore Amadou et Mariam. Je suis heureuse pour eux. C”est bien de continuer à faire une musique qui nous ressemble et dans laquelle on croit. Mais pour pouvoir agir ainsi, nous avons besoin d”aide. Car comment faire une musique qui ne passe pas à la télé parce que cela n”intéresse pas les animateurs ? Pourtant, s”il y a un public pour ces musiques, c”est qu”il y a des gens curieux de nous, de ce qu”on fait.
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Courrier international
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Alou B HAIDARA
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30 novembre 2007
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