Cheick Tidiane Seck est un artiste multidimensionnel. Il joue de tous les instruments pour confirmer sa passion de la musique. Sociétaire du Rail Band du Buffet Hôtel de la Gare, bon nombre de Maliens l’ont découvert à travers l’émission Jouvence de la télévision malienne. L’animateur-vedette Thierno Ahmed Thiam (paix à son âme) aimait son morceau “Krougnougnou Watchoro” (un chant senoufo : le vainqueur du labour a passé). Cheick Tidiane Seck, déjà à 12 ans, composait des chansons pour sa mère, chanteuse du “barra traditionnel”, qui n’appréciait pas trop cet exercice de son fils. Elle se souciait de ses études, donc ne voulait pas qu’il prenne goût trop tôt à la musique. La vieille n’avait-elle pas raison face à la volonté et l’ambition du jeunot de devenir musicien au point qu’il s’est auto formé à la guitare artisane. Entre 1968 et 1970, loin de ses parents pour le BEPC au Cours normal privé de Sikasso, Cheick Tidiane Seck commence sa vraie formation en musique. Il joue du piano et de la guitare à l’église, épouse même les touches “noires et blanches” de l’harmonium. Admis au DEF, son directeur d’école, Emile Ramadier, lui conseille une école de métier d’arts, il choisit l’Institut national des arts (INA). Mais, contre toute attente, il opte pour la peinture à l’issue du test d’aptitude. Pourquoi ? Quel fut son parcours ? Pourquoi a-t-il abandonné la fonction publique ? Comment gère-t-il sa vie de famille ? Cheick Tidiane Seck, toucouleur de Ségou intronisé Hogon chez les Dogons sous le nom d’Ino Ogodolo, est notre héros de la semaine dans la rubrique “Que sont-ils devenu ?”
Cheick Tidiane Seck a agréé notre sollicitation sous conditionnalités : réaliser l’interview dans les heures qui suivent ou attendre son retour dans quelques mois. La première option guide nos pas jusque chez lui à Kalabancoura ACI. Sa belle-sœur, très gentille et joviale, nous conduit au salon. Le maestro y était confortablement assis. Remarque immédiate ? Des instruments de musique installés aux quatre coins du salon avec un sous la main qu’il maniait.
Entre-temps, Cheick Tidiane Seck envoie sa belle-sœur lui acheter une valisette pour son voyage. D’où notre question de savoir le nombre de festivals auxquels il a participé ? Un nombre incalculable, répond-il. A présent, il est impossible pour lui de passer dix jours à Bamako. Sinon il est entre deux avions pour des contrats, des festivals ou accompagner d’autres artistes dans les concerts. A son actif quatre albums : “Sarala Mamadou”, “Mandin groove”, “Sabaly”, “Guerrier”. L’homme mène-t-il réellement une vie de famille avec ses nombreux déplacements à l’étranger ? Cela fait plus de 40 ans qu’il est dans la même posture. Il soutient qu’il s’occupe bien de sa famille, communique plusieurs fois dans la journée, quand il est hors du pays. Il saute dans l’avion à la moindre occasion. “A un moment donné, tout va s’arranger et je serai avec les miens”, se console-t-il.
Durant tout le cycle, il alterne les deux options et s’offre même le luxe d’animer les soirées de fin d’année avec plusieurs cordes musicales. Il joue également au Koulé Star de Koutiala pendant trois ans (1972, 1973, 1974). Il a la ferme volonté d’enseigner ses cadets après sa sortie de l’INA en 1975, mais une affectation sur Gao brise ses ambitions.
Un rebelle
Il refuse de rejoindre son poste. Pour quelle raison ? “Mon refus d’aller à Gao était une réplique à la confiscation de ma bourse d’études sur la Hongrie. J’ai compris aussi que cette mutation sur Gao avait les allures d’une punition. J’étais hostile à la junte au pouvoir à l’époque. On m’a même surnommé Che Guevara, car j’avais des mentalités rebelles”.
A défaut Cheick Tidiane Seck rejoint l’orchestre emblématique Rail Band du Buffet Hôtel de la Gare, tenu par Djélimady Tounkara, Mory Kanté, Pacheco, Jagger, Durango, etc. Comment s’adapte-t-il à l’atmosphère de rivalité ? Faut-il rappeler que l’autre groupe musical, les Ambassadeurs sous la houlette de Salif Kéita, Manfila Kanté, Sambou Diakité dit Mince, Djossé, Vieux Sissoko, coupait le sommeil du Rail Band ?
Pour l’enfant de Ségou, il n’y avait pas d’animosité. Plutôt l’émulation sur scène et non une rivalité. Les musiciens se fréquentaient après les concerts. Autrement dit, pas de clash au risque de créer une haine. L’amour de la musique prenait le dessus. Les deux orchestres ont contribué à l’époque avec cet esprit de bon sens, à éviter des incompatibilités d’humeur. Ils avaient leurs sympathisants jusqu’au sommet de l’Etat.
Le week-end du Comité militaire de libération nationale (CMLN), pouvoir central se jouait entre le Buffet Hôtel de la Gare et le Motel. Cette divergence était visible même dans les familles. En 1979, l’orchestre les Ambassadeurs s’est disloqué. Les ténors : Salif Kéita, Sambo Diakité dit Mince, Alassane Soumano s’exilent en Côte d’Ivoire pour donner plus de visibilité à leur art. Cheick Tidiane Seck prétexte d’une permission de quinze jours pour les rejoindre. Ce départ sonne sa radiation de la fonction publique. Parce qu’il ne retournera plus pour dispenser les cours de peinture au lycée de Badalabougou, de musique au lycée Prosper Kamara et à l’école de Missira.
C’est un groupe plus soudé à Abidjan qui entreprend des tournées sous-régionales. L’année suivante, il crée son propre groupe “Asselor”, et produit deux albums. En 1982, “Les Ambassadeurs”, version ivoirienne, éclate à leur tour. Cheick Tidiane reste avec Salif Kéita pour des concerts en Sierra Leone, au Liberia, un festival à Angoulême et surtout un premier grand osé à Paris. Au terme de ces périples, ils décident de rentrer à Bamako pour mieux se préparer et affronter l’Europe.
Dans l’immédiat, il n’y a aucune piste. Cheick Tidiane Seck joue à l’hôtel Dakan, accompagne l’orchestre de Koly et ses Acolytes, et dispense des cours de musique à la fille d’un coopérant à l’hôtel de l’Amitié. C’est dans cet espace hôtelier que sa réussite se dessine.
Aventures
“Pendant mon séjour Abidjanais, j’ai aidé deux Français qui étaient en difficulté. Ils admirent mon genre musical, mais nos relations n’ont pas pris une grande dimension. Ils ont été reconnaissants à mon égard. Par le plus pur des hasards, ils m’ont croisé à l’hôtel de l’Amitié, et n’ont pas apprécié mes conditions de vie à Bamako compte tenu du succès engrangé à l’extérieur. Le 27 septembre 1985, les deux Français m’ont fait débarquer à Paris. Salif Kéita sur place me fait appel pour la production de son album «Soro». Répertorié dans l’Hexagone comme le pionnier de l’Afro Jazz, je joue avec tous les orchestres français. En un mot, je suis devenu un mercenaire de la musique. Il fallait finalement chercher à prendre mon indépendance, pour vivre de mon art. Ce qui m’a permis de participer à plusieurs festivals, et surtout organiser le plus grand festival au Mexique avec 120 000 spectateurs en 1990″.
Comment accepte-il d’abandonner trois sources de revenus pour une aventure inconnue ? Parce que Cheick Tidiane Seck en plus d’être fonctionnaire de l’Etat, avait des primes avec le Rail Band et l’orchestre Koly et ses Acolytes.
Piqué dès son enfance par le virus de la musique, il ne pouvait en aucun cas hésiter pour répondre à Salif, d’autant plus qu’il est convaincu de son talent, et leur relation permet de réussir tous ce qu’ils entreprendraient ensemble sur le plan musical.
La longue riche carrière musicale de notre héros de la semaine est liée à de bons souvenirs : le plébiscite que la profession lui a donné en tant artiste, ses cours de musique à l’Université de Californie en 2000, et sa rencontre avec les sommités de la musique à l’échelle planétaire, (Carlos Santana, Stevie Wonder, Jimmy Cliff, Demond Albarn, Rocking Squatt, Hosmo Poutchinou, Living Color, Oumou Sangaré, Coumba Sidibé).
En termes de mauvais souvenirs Cheick Tidiane Seck est encore hanté par la guerre entre Mali-Burkina Faso en 1985, parce qu’il est panafricaniste, la crise que traverse notre pays depuis 2012.
L’homme est marié avec cinq enfants.
O. Roger
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