L’arrivée du Rail Band fit l’effet d’une bombe à Niono, entre 1975-1976. Pour la première fois, les populations locales ont pu voir un orchestre de cette dimension.
Perdue dans les rizières et les moustiques, la localité riche de son riz et de son poisson allait s’ouvrir à la “civilisation” avec l’avènement à sa tête du Capitaine Koureissy Aguibou Tall ; un homme d’une grande attention pour l’épanouissement de la jeunesse.
C’est dans ce contexte qu’un comité d’organisation a été mis en place avec pour mission unique de “faire venir” le Rail Band à Niono. Le pari était à la dimension de l’audace et de la témérité. Des réunions ont eu lieu et le message a été lancé dans tout le cercle. En classe, notre maitre, Moussa Diarra, se mit à nous expliquer quelle était la qualité de l’orchestre. C’est ce jour que nous comprîmes ce que représentait le folklore et quel a été le rôle du Rail Band dans la modernisation de ce genre. Il nous parla du chanteur Mory Kanté, de Makan Dianessy, du soliste Diélimady, de l’organiste Cheick Tidiane… Et pour nous montrer combien était populaire cet ensemble, il nous fit entonner “mbawdi, mbawdi”, “mamadou boutiqui”. C’était déjà beaucoup dans un milieu où seule la radio nationale pouvait atteindre tout le monde. Fodé Kouyaté, le regretté, était notre ainé d’un an à l’école. Il venait de Bamako et paraissait comme un individu “évolué” dans la grisaille locale. C’est lui qui nous fit comprendre que le Rail Band était de loin incomparable au Bronkoni de Niono, notre seule référence à l’époque. Ah le Bronkony, l’ineffable ! Oui, dans cet orchestre évoluait un soliste du nom de Mamane, Mamane Diarra. Tout doué qu’il était, Mamane n’arrivait jamais à identifier dans la gamme là où il devait “entrer” pour agrémenter la partie. Tout a été fait, au cours de moult répétitions, mais non, “la tête de Mamane ne retenait pas” son point de distanciation. De guerre lasse, Binkè Boua Diabaté, le chef d’orchestre, a trouvé une parade. Le chanteur Adama Goita devait titiller le soliste avec un “na Mamane”. C’est à ce moment seulement que Mamane a pu “sortir et rentrer” dans la gamme. C’était hilarant et nous dans notre candeur nous plaisions dans le refrain “na Mamani”, “na Mamani” ! Il suffisait à notre bonheur. Mais voilà que Fodé Kouyaté vient nous dire que le soliste du Rail Band, en plus de sa guitare, disposait d’un “wawani”, une sorte de pédale qui rehaussait la sensibilité du son. Et nous voici tous curieux, le jour J de voir ce fameux “wawani” dont notre Bronkony ne disposait pas.
La veille du jour J, notre équipée se rendit à bicyclette en éclaireur jusqu’à N’Galamandiakoro, à sept ou neuf kilomètres. Nous voulions tout voir. Après deux heures d’attente, nous vîmes débouler deux “cars rapides”, de marque “Saviem”. Nous regardions les bus et leurs occupants apparemment harassés par un tel voyage. Soudain Fodé se mit à citer des noms. Il reconnut d’emblée Mory Kanté et Diélimady, qui, nous dira-t-il après, était plus qu’un grand frère pour lui. Et nous suivîmes le convoi jusqu’au Campement.
A Niono, l’arrivée du Rail Band fit l’effet d’une bombe. Les jeunes les plus en vue ont taillé de nouvelles pièces d’habillement pour la circonstance. Pour la circonstance, il leur fallait se rendre à Bamako ou à Ségou. Certains paysans des villages voisins ont d’abord dépêché des émissaires pour voir s’il ne s’agissait pas encore d’un canular des “gens de Niono”. Mais, non le grand Rail Band était bien présent. Mon ami Baba Cissouma dont le père était d’une grande générosité nous paya les tickets. Et nous voici pour le premier spectacle, au “Complexe sportif”, un ensemble regroupant une arène de prestation artistique, un terrain de volley-ball, un terrain de basket-ball et une bibliothèque. Les musiciens ont été présentés au public à l’appel de leur nom. Après cette étape, Mory Kanté fit observer une pause pour aller saluer un groupe de vieilles femmes présentes dans l’assistance. Il expliqua après qu’il s’agissait de certaines amies d’enfance de sa maman. Il les saluât et demandât leurs bénédictions avant de monter sur scène. Sa côte monta dans l’estime des mélomanes après cette sortie. Et c’est parti.
“Dugou kamalemba” et nous vîmes de quoi était capable Mory Kanté. “Fodé nana, Bengaly Fodé, Fodé Kamalenba” et voici notre mentor Fodé sauter sur la piste et s’envoler avec le Rail Band, comme s’il en était un musicien. Sans complexe aucun. Comment Fodé a -t-il pu sauter ce pas ? Quand il est devenu le grand musicien qu’il a été par la suite nous n’avons pas été surpris. Le concert battait son rythme et nous nous mîmes à réclamer “notre wawani”. “wawani kè a la Diélimady”, “Diélimady wawani kè a la”, scandions nous. Diélimady alors releva le bas de son pantalon et se mit actionner son instrument qui avait tous les traits d’une pédale de couturier. “Non ! Ce n’est pas possible“, disent les uns ! ” Quel instrument ! Quand le Bronkoni va-t-il en avoir ? ” disent les autres. Nous étions aux anges quand l’orchestre se mit au son zaïrois avec “kafoul mayaye bari bari kafoulmayaye” ! On avait cru que Rochereau lui-même était là avec l’orchestre. Jagger, le danseur, se déhancha tel que personne ne pensa à Sékouba, notre Jagger local.
Cheick Tidiane, assis derrière son orgue, portait un béret. Après son départ, les bérets ont manqué sur le marché.
Le lendemain, l’orchestre a donné un second concert. Tout le monde en a eu pour son compte. Le Rail Band est venu ouvrir les yeux des nionois. Il y eut après le Badéma, l’ensemble instrumental, Nahawa…Le souvenir de la venue de ce grand groupe musical nous émerveilla tant. L’évènement s’est depuis estompé dans nos souvenirs de cette période.
Dr Ibrahim MAIGA
Dans L’Indépendant du 27 mai 2020