A Bamako, pour bon nombre de gens, tous les moyens sont bons pour devenir riche. Peu importe la morale, la mosquée ou l’église. L’un des secteurs le plus convoité par les prédateurs, c’est celui des artistes. Leurs œuvres font l’objet de piraterie outrancière. Malgré la guerre larvée pour protéger le secteur, les vampires de sons et de lumière continuent de sévir. Comme c’est le cas d’un ingénieur informaticien dont le rêve a été brisé par la brigade de recherche du commissariat de police du 3e arrondissement, courant juin dernier.
« L’industriel en sons et lumière » s’appelle Youssouf Diaby. Ingénieur informaticien, âgé de 48 ans, natif de Barouéli à Ségou, domicilié à Baco-Djicoroni ACI. Puisqu’il s’agit de lui, il est tombé dans le panier de L’Epervier du Mandé, l’inspecteur principal de police Papa Mambi Keita, chef de la brigade de recherche du 3e arrondissement. C’était au mois de juin dernier. On lui reproche le piratage d’œuvres des artistes nationaux, voire étrangers. L’information est venue d’un honnête citoyen qui a fait la découverte du faussaire dans son atelier au grand marché de Bamako. Indigné par l’acte, ce dernier a saisi les éléments de la brigade de recherche du 3e arrondissement afin qu’ils interviennent le plus rapidement possible pour arrêter le mal. L’informateur explique que l’intéressé, répondant au nom de Youssouf Diaby, a son atelier sur la rue Loverand au grand marché de Bamako. Convaincu par les propos de son interlocuteur, l’Epervier du Mandé respecte la tradition en informant ses chefs hiérarchiques, le Contrôleur général de police Moussa Sissoko, commissaire chargé du 3e arrondissement et son adjoint, le Commissaire principal de police Adama Baradji, le sorcier de tous les temps.
Ce rituel terminé, il organise un briefing avec ses hommes au cours duquel il monte un plan. Ceci consiste à déguiser un élément en client. Son rôle est non seulement de localiser l’atelier du suspect, mais de l’infiltrer afin d’avoir tous les renseignements fiables à son sujet. Celui-ci mène à bien sa mission. Il choisit le bon moment pour alerter discrètement son chef de la brigade de recherche. Toute activité cessante, l’Epervier du Mandé et ses cobras s’engouffrent dans un tacot pour foncer sur les lieux, mais bien entendu, avec prudence, car, on n’opère pas au cœur du grand marché qui le veut. Aux environs de 19 heures, pendant que plusieurs commerçants et badauds avaient pris le chemin de retour à la maison, ils surprennent le pirate en pleine opération.
Le faussaire et son atelier déménagent à la police
La visite des policiers tétanise Youssouf Diaby. Il ne croit pas ses yeux et ses oreilles. A peine les visiteurs ont-ils décliné leur identité que les machines se sont vite tues, laissant sombrer du coup l’atelier dans un silence inhabituel. Le propriétaire des lieux est prié de se mettre à la disposition de la police et tout en se considérant comme aux arrêts. Les éléments de l’Epervier ont aussitôt commencé à rassembler tous les matériels de nature à intéresser leur enquête. Au nombre des objets saisis, il y a : un magnétophone combiné marque Sanyo, un magnétophone combiné marque SHARP, un magnétophone combiné marque Samsung, un magnétophone combiné marque SONY, un lecteur cassette-vidéo marque Aïwa avec équarisseur, un lecteur cassette-vidéo marque Grundig avec équarisseur, trois écrans ordinateur Dell, deux téléviseurs Sharp et Sony, treize magnétoscopes dont : Sharp, Sony, Samsung, Panasonic, Toshiba, Philips, Hitachi, LG) JVC, quatre unités centrales,six DVD,deux VCD, Sept graveurs quatre imprimantes, neuf lecteurs CD, deux caméras JVC, deux cent cinquante quatre vidéocassettes piratées, deux mille cinq cent six CD, cinq cent quatre vingt neuf CD vierges, quinze cassettes-audio, quatorze DVD. Après tout ce travail, les portes de l’atelier du faussaire se referment pour de bon. Ce faisant, toute autre consultation se fait désormais soit à la police soit à la grande prison de Bamako.
Le pirate minimise la gravité de son acte
Pas étonnant. Comme tous les prédateurs qui se croient en territoire conquis, Youssouf Diaby ne mesure pas la gravité des faits dont il s’est rendu coupable. Ses déclarations faites à la police au cours de l’enquête préliminaire le prouvent à suffisance. Interrogé s’il reconnaît les faits, le présumé ne les nie pas. Il déclare en ces termes à l’officier de police chargé de son dossier : « Certains clients venaient dans mon atelier avec des CD originaux pour faire plusieurs copies. Et c’est ce travail qui a fait que je suis entré dans ce que vous appelez la piraterie, à mon insu… Je ne vis pas de piratage malgré la découverte de tous ces matériels chez moi. » Sans se gêner, il explique cependant comment il en est arrivé là. Selon Youssouf Diaby, courant 2001, il a ouvert son atelier au grand marché de Bamako, sur la rue Loverand.
Dans un premier temps, il s’essaye dans le secrétariat public en faisant des traitements de texte et des photocopies pour ses clients. Les choses ne prospèrent pas comme il le souhaite. Courant 2005, les choses se compliquent davantage. Il ne parvient plus à payer les frais de loyer de son atelier. Pire, ils s’accumulent jusqu’à concurrence de 850.000FCFA. Couvert de dette, Youssouf Diaby change de fusil d’épaule. Il bascule dans l’univers des sons et lumière. Il hypothèque sa maison sise à Baco-Djicoroni ACI. Avec cet argent, il achète un ordinateur Pentium 4 pour transformer les cassettes VHS en CD. En quelques mois, il s’impose sur le marché. Il ouvre les portes de « sa nouvelle industrie » aux associations villageoises, à des cameramen de la place, à des artistes désireux de faire des copies de leurs œuvres.
Des revendeurs de cassettes qui règnent en maîtres incontestés au grand marché pourraient se ravitailler chez le « nouvel industriel. » interrogé sur les pochettes de CD de plusieurs artistes nationaux retrouvées sur lui, Youssouf Diaby déclare qu’elles servent plutôt à loger les copies, une fois les gravures terminées. S’agissant des CD de ces mêmes artistes, il soutient qu’ils sont ses collections. Les imprimantes en couleur et les papiers Jacket servent à imprimer les pochettes des CD qu’il vend à ses clients potentiels. Pour Youssouf Diaby, certains artistes de la place louent ses services pour faire la copie de leurs propres œuvres, mais sans pouvoir apporter la preuve.
La colère du ministre et du Bureau malien des droits d’auteurs
Le ministre de la Culture Cheick Oumar Sissoko, informé de l’arrestation de Youssouf Diaby pour piraterie d’œuvres artistiques du Mali et d’ailleurs, a piqué une colère indescriptible. En sa qualité d’homme de culture, il est inconcevable pour lui de voir ce grand patrimoine périclité du fait des gens sans foi ni loi. Après avoir félicité les autorités policières du 3e arrondissement pour leur exploit combien salutaire, il invite l’Epervier du Mandé et ses hommes à sévir pour faire échec aux faussaires de sons et de lumière.
Leur acte n’est ni plus ni moins qu’un crime. Les responsables du Bureau malien des droits d’auteurs, quant à eux, se présentent à la police où ils portent plainte contre Youssouf Diaby. Le maestro M’Baye Boubacar Diarra et d’autres artistes se succèdent au bureau de l’inspecteur principal Papa Mambi pour l’encourager avec ses hommes dans le travail qu’ils viennent d’entreprendre. Car, disent-il, le phénomène s’est tellement implanté dans notre pays que les artistes eux-mêmes se demandent s’il faut encore faire parler les cuirs. Ces paroles ne sont pas tombées dans les oreilles d’un sourd. Le dossier de Youssouf Diaby terminé, sous la supervision du Contrôleur général de police Moussa Sissoko, l’Epervier du Mandé l’a mis à la disposition du tribunal de la Commune II pour toutes fins utiles. Il reste à savoir s’il pourra se tirer d’affaire.
O. BOUARE
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