Une femme balafoniste au Mali ? Il y a peu de temps, on aurait dit que c’était impossible, s’agissant de cet instrument sacré du terroir malien. Lumière sur une jeune femme, sans braver l’interdit, qui fait preuve d’un talent enviable. Découverte.
La célibataire de 28 ans nous accueille souriante, en pantalon multicolore, chemise noire et tapettes noires, téléphone à la main, dans la cour du Conservatoire. Il s’agit de la prestigieuse école des arts, de la culture et du multimédia, Conservatoire Balla Fasseké Kouyaté, perché sur le flanc de la colline du Point-G, au-dessus de Bamako. Dans cet espace unique au Mali, voué dans une splendide solitude à l’apprentissage des arts, Ouassa nous entraîne vers la salle des apprenants instrumentistes, passe dans une pièce à côté et ramène son balafon. Quelques notes suffisent à créer l’envoûtement…
Ouassa Sogoba est multiinstrumentiste, et joue aussi bien du balafon que du djembé, du tama (tambour d’aisselle) ou encore du piano. Elle est également chanteuse et comédienne. Or, selon les préjugés de la société malienne, le métier d’instrumentiste est exclusivement dédié aux hommes. Notre balafoniste en est consciente : « dans notre société, une fille balafoniste est mal perçue, surtout par les personnes âgées. Malgré tout, j’ai décidée de jouer du balafon, ainsi que d’autres instruments. Il s’agit de montrer que les Maliens savent faire la part des choses. Tant que je suis animée par cet objectif, il n’y a pas de raison de reculer ».
Ouassa se souvient des propos d’une vieille dame à son égard. A savoir que : « le métier de balafoniste n’est pas digne d’une femme. Par conséquent, je devais chercher un autre travail pour le bien être de ma famille, et pour moi-même ».
Elle sait que sa vocation fait régulièrement l’objet de questionnements. Mais avec fierté, elle a justifié son choix en ces termes : « Je ne vole pas, je ne me prostitue pas, je ne suis pas à la charge d’un homme ! Et je gagne bien ma vie. Rien ne peut me décourager » dit-elle avec fierté.
Du sport à la musique
Native de Koutiala, Ouassa fut d’abord une sportive passionnée. Elle jouait au football, voulait devenir une professionnelle, son premier rêve. Ayant évolué au sein du club AS Réal de Bamako, puis dans l’équipe nationale junior dames du Mali, et après un bref passage au Burkina Faso, la jeune femme fut sollicitée par la Fédération malienne de football. Mais faire carrière dans le sport n’était pas du goût de ses parents. En outre, elle était aussi comédienne dans l’âme et passait son temps à faire rire les gens. Une amie lui suggère alors d’étudier la comédie à l’Institut National des Arts. En 2015, ayant posé ses valises à Bamako, elle est admise au concours d’entrée à cet Institut avec spécialité théâtre. Dès le début, elle est parmi les meilleurs de sa classe, puis découvre qu’elle est piquée par le virus de la musique. A la descente, chaque jour à 17h, Ouassa se retrouvait aux côtés de Karim Bengaly, balafoniste et professeur de musique à l’INA ainsi qu’au Conservatoire Balla Fasséké Kouyaté.
« J’ai posée un jour la question à mon professeur : y a-t-il un instrument de musique dont les femmes ne jouent jamais au Mali ? Il me désigna alors le balafon. » C’est ainsi qu’elle jeta son dévolu sur l’instrument, « parce que dans tout ce que je fais, je voudrais être la première, je veux que mon nom soit gravé dans l’histoire ! »
Au fil du temps, et grâce à son talent, elle commence à jouer en public, ayant rejoint le groupe de son professeur, dénommé ‘’ Duophonie’’. Là, elle chante et joue du balafon, participe entre autres au Festival international Didadi de Bougouni, au Festival Arts Femmes, ou au Festival de Balafon et de Djembé.
Malgré des récompenses, la carrière de la jeune virtuose ne sera pas sans difficultés à l’instar de nombreuses femmes, objets de harcèlement sexuel alors qu’elles se battent pour subvenir dignement aux besoins de la famille. « Le harcèlement sexuel est une réalité dans notre société. Surtout lorsqu’on est une fille célibataire. Les hommes ont dans leur tête que tout peut s’acheter, à commencer par le consentement d’une femme. Mais le plus important pour moi est de ne pas perdre de vue par rapport à qui on est, d’où on vient, où on veut aller… » conclue – t – elle.
La voie est ouverte à d’autres balafonistes femmes
Selon l’encadreur de Ouassa Sogoba, Karim Bengaly, Ouassa a le courage et la patience nécessaires à la pratique du balafon. De plus, elle a servi d’exemple pour d’autres jeunes femmes : « à l’école, les filles qui la voyaient jouer étaient intéressées, beaucoup d’entre elles sont en train de lui emboiter le pas », témoigne le natif de Sikasso, un Sénoufo bon teint, et l’on sait l’intérêt de sa communauté pour la musique. « Dans le passé, poursuit-il, beaucoup de femmes qui s’intéressaient à la filière musique voulaient jouer des percussions comme le balafon, mais au finish elles abandonnaient et choisissaient d’autres filières. » Aujourd’hui, précise-t-il, tout un groupe de jeunes filles s’adonnent au balafon, et c’est nouveau.
Notons enfin que dans un proche avenir, Ouassa Sogoba compte créer un centre de formation de jeunes filles afin de leur apprendre les instruments de musique traditionnels. Une façon pour elle de lutter contre toute forme d’exclusion, et d’exploitation de ses sœurs.
Fatoumata Coulibaly