En juillet et en août, Jeune Afrique revient sur des œuvres majeures qui font toujours parler d’elles, inspirant le présent. Cette semaine, c’est au tour de « Talking Timbuktu » d’Ali Farka Touré.
On dit d’Ali Farka Touré qu’il était l’un des musiciens les plus emblématiques du blues malien. Quand le cinéaste Martin Scorsese le rencontre pour les besoins de son documentaire Du Mali au Mississippi (Feel Like Going Home, 2004), il définit la musique de l’agriculteur de Niafunké comme étant « l’ADN du blues ». En 1994 paraît Talking Timbuktu, l’un des plus gros succès à l’international d’Ali Farka Touré, signé avec le guitariste américain Ry Cooder, rencontré deux ans auparavant. Et force est de constater que l’ancrage sahélien s’orne d’un blues américain imparable.
Je ne le vois plus du tout comme un musicien de blues. Pour moi, il est indomptable, il est aussi le dernier des authentiques musiciens traditionnels africains.
En témoignent des titres comme « Amandrai », dont les riffs de guitare électrique, signés Ry Cooder, nous plongent au cœur du Deep South, ou encore le fameux « Ai Du », porté par le violon plaintif d’un vétéran du blues, Clarence « Gatemouth » Brown, et une section rythmique des plus ciselées.
Mais on ne saurait réduire ce disque à cette seule dimension. D’ailleurs, Ali Farka Touré faisait peu de cas de cette étiquette. « C’est notre héritage tribal africain. L’appeler du “blues”, c’est votre problème. » Quelque mois après la sortie de l’album, Ry Cooder lui-même enfonçait le clou : « Je ne le vois plus du tout comme un musicien de blues. Pour moi, il est indomptable, il est aussi le dernier des authentiques musiciens traditionnels africains. »
Et c’est sûrement en cela que Talking Timbuktu a tant marqué les esprits. Comment oublier le timbre ensorcelant du njarka, ce petit violon monocorde, ou les complaintes amoureuses que sont « Soukora » ou « Diaraby » ? Sur « Keito », Farka Touré rend hommage à ces soldats africains qui ont sacrifié leur vie pour une guerre qui n’était pas la leur.
Du fleuve Niger aux Grammy Awards
C’est dans sa maison de Niafunké, petite ville de la région de Tombouctou bordant le fleuve Niger, qu’Ali Farka Touré a composé les dix titres de l’album. Il fait ensuite parvenir une cassette à Ry Cooder, qui, pendant trois mois, s’imprègne de ces morceaux en pular, bambara, songhaï et tamasheq.
À Los Angeles, le duo enregistre le disque en trois jours. Cette septième livrée d’Ali Farka Touré, publiée chez World Circuit, a remporté, sans surprise, le Grammy Award du meilleur album de musique du monde en 1995.
Le trophée plaqué or, en forme de gramophone, est actuellement exposé, aux côtés de ceux qui ont consacré In The Heart of The Moon (2005) et Ali and Toumani (2010), à la Documenta 14, rendez-vous d’art contemporain de Kassel, en Allemagne. Et ce dans le cadre d’une rétrospective autour du musicien malien lancée par Igo Lassana Diarra, directeur de la Médina, galerie d’art de Bamako. Laquelle galerie met également Ali Farka Touré à l’honneur depuis le début de juin.
Tombouctou est le cœur du monde
À Kassel, on peut admirer ses instruments de musique et autres objets personnels, vêtements, passeports et même permis de conduire ! Des photos d’archive, dont une le représentant avec Ry Cooder, et l’ensemble des pochettes de sa discographie finissent de ravir le visiteur. Sans oublier une installation sonore et des performances de l’Ali Farka Touré Band. Cette année, la Documenta 14 s’est d’abord tenue à Athènes, en Grèce (de début avril à mi-juillet). La rétrospective autour d’Ali Farka Touré était alors couplée à une exposition consacrée à Tombouctou, perle du désert que célèbre le musicien sur Talking Timbuktu.
Le leitmotiv de ces expositions est d’ailleurs une citation tirée du livret de ce disque magistral et intemporel : « Pour certains, parler de Tombouctou, c’est parler du bout du monde. Mais ce n’est pas vrai. Je suis de Tombouctou, et je peux affirmer que c’est le cœur du monde. »