Madina Ndiaye, unique femme malienne joueuse de la Kora : – ‘’Apparemment, l’état d’urgence ne vise que les artistes. Sinon pourquoi continuer à organiser des matches de football ? ” – ” Ce n’est pas la Kora qui m’a rendue aveugle, mais un glaucome…”

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Personnalité atypique de la musique africaine, Madina N’Diaye est la fille des feux El Hadj Mamadou Ndiaye et Mme Ndiaye Fily Cissé. C’est en 1982 qu’elle  se laisse porter par son amour des mélodies mandingues et se met à étudier la musique au sein de l’Institut des jeunes aveugles du Mali. Si les rencontres avec Salif Keita et Alpha Blondy l’influencent particulièrement, c’est bien celle de Toumani Diabaté qui va bouleverser son destin. C’est auprès de ce dernier qu’elle a fait ses premiers pas dans la Kora et c’est encore lui  qui lui offre sa première Kora. Malgré les foudres de certains traditionalistes, hostiles à l’idée de voir une femme jouer de la Kora,  Madina a poursuivi son enseignement, s’est  perfectionnée et s’est lancée dans une carrière professionnelle en autodidacte, arpentant différentes scènes. C’est lors du diner gala organisé à l’occasion de la journée internationale de la liberté de la presse que nous l’avons approchée et elle a bien voulu répondre à cœur ouvert à nos questions. 

L'artiste Madina NDiaye
L’artiste Madina NDiaye

Bamako hebdo: De qui avez-vous hérité la musique ?

Je n’ai pas fait l’Ina, j’ai appris la musique sur le tas. Toumani Diabaté, Djelymadi Sissoko, Mady Kouyaté, Djely Kedjan m’ont formée dans la musique et m’ont donné un véritable coup de pouce. Aujourd’hui, je leur rend un grand hommage.

Pouvez-vous nous relater votre parcours ?

C’est en 1993, que j’ai commencé à jouer de la Kora. Mes débuts n’ont pas été faciles car mon professeur Toumani Diabaté avait un programme très chargé. Donc toute seule, je faisais régulièrement les répétitions des notes qu’il m’apprenait. En 1995,  j’ai fait la rencontre de Lo’Jo, un groupe français avec lequel j’ai collaboré activement. En 2002, j’ai eu une infection de glaucome qui a attaqué mon nerf optique d’où la perte définitive de ma vue. Mais cela ne m’a pas dissuadée. Malgré ce handicap, j’ai continué d’enchaîner les concerts et milité en faveur de la cause féminine. En 2004, j’ai enregistré mon premier album, ‘Bimogow’. Depuis l’année dernière, mon 2ème album est fin prêt, mais  je suis toujours à la recherche d’un producteur.

Que pensez-vous de ceux qui sont hostiles à l’idée de voir une femme jouer de la Kora ?

Ce ne sont que de simples croyances rétrogrades. J’ai perdu la vue à la suite d’une infection qui a attaqué mon premier œil et après je devais subir une opération, mais je n’ai pas pu le faire à temps. D’où que le second œil aussi a été infecté. C’est suite à cette infection que je suis devenue aveugle, ce n’est pas le fait de jouer de la Kora, ça n’a rien à voir. Aujourd’hui, je n’envie personne, je vis aux dépens de cet instrument et je me prend entièrement en charge. Je mène ma petite vie de façon paisible et modeste, sans toutefois mendier et c’est grâce à cet instrument.

Vous êtes pratiquement la seule femme à jouer la Kora au Mali. Quelles sont vos impressions ?

J’ai un sentiment de satisfaction. Je suis très fière de ce que je fais. Je suis une toute débutante tant dans la Kora que dans la chanson et je demande le soutien de tous.

 Nous voyons ceux qui profitent de leur handicap pour mendier. Comment jugez-vous cette situation ?

Je condamne la mendicité sous toutes ses formes. Nous les handicapés, nous devons plutôt redoubler d’effort pour nous en sortir et pour nous faire respecter. Nous devons consentir plus de sacrifices que les personnes normales. Le handicap, ce n’est que le nom. Il faut savoir se battre malgré tout ! Et manger à la sueur de son front.

Vous sortez d’une tournée en Espagne. C’était à quelle occasion ?

J’étais en Espagne, invitée dans un festival de musique traditionnelle. Dans ce festival, il n’y avait que deux instruments qu’on joue, le Balafon et la Kora. J’ai été invitée grâce à mon manager.

Comment vivez-vous l’état d’urgence décrété depuis plusieurs mois  dans le pays ?

Ce n’est pas honnête ce que font nos autorités. J’ai comme l’impression que l’état d’urgence ne concerne que les artistes. Sinon comment expliquer l’organisation des matches de football ? C’est juste un moyen pour mettre les artistes dans la galère. Bref un moyen de fermer la bouche des artistes, afin de ne pas parler, de ne pas dénoncer la gestion calamiteuse de l’Etat. Je trouve cela injuste. En interdisant aux artistes surtout au Mali de faire le Sumu ou des concerts, comment voulez-vous qu’on vive ? C’est vraiment mesquin.

Vous vous plaignez du fait que l’état d’urgence n’a été décrété que pour les artistes. Ne pensez-vous pas que le fait que les artistes maliens soient désunis joue en leur défaveur ?

Nous ne pouvons pas être unis, car il existe l’égoïsme, la jalousie et l’hypocrisie dans le milieu artistique malien. Chacun a son étoile dans la vie et tant que nous les artistes nous ne taisons pas nos divergences, nous verrons toujours nos droits bafoués et nous resterons toujours impuissants face à tout ce qui nous arrivera. C’est ce qui se passe et c’est dommage.

Un message ?

A toutes les femmes qui aimeraient jouer la Kora, n’écoutez pas les mauvaises langues.  Suivez votre destin. Il n’y a rien de tout ce qui se raconte. Seul Dieu a le pouvoir sur les hommes.

A tous ceux qui ont un handicap, évitez la mendicité et redoublez d’effort, car chacun ne devrait manger qu’à la sueur de son front.

 

Réalisé par clarisse NJIKAM

 

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7 COMMENTAIRES

  1. Bonjour
    magnifique!
    pour info la kora s’exporte plus qu’on ne le croit! Il y a un festival dédié à la kora en France, le festival La Kora Dans Tous Ses Etats dont la 6ème édition a lieu les 12-13 octobre prochain à Paris avec notamment Cherif Soumano et Djeli Moussa Diawara
    plus d’infos sur http://www.korafollart.com

  2. Madina Ndiaye.C’est bien votre voix et votre habileté de jouer la kora est reconnue par tous, mais cet instrument (tout comme le mandé bala) est spécifiquement reservé à nos seuls griots du Mandé!C’est comme ça et personne ne peut le changer même Koro KING peut en témoigner.Est-ce compliqué à comprendre? 🙄 🙄 🙄

  3. Salut jecte connais dina depuis des annees a missira face la pmi ,je partais meme chez vous ,tu aimais t’habiller en tenue traditionnelle bôgôlan avec ton inseparable cora prendre le duruni sur la rue 18 pour aller a tes séances repetitions.courage et ne baisse surtout jamais les bras.c’est diru qui a decider ainsi,salutation a tes soeurs….

  4. Le discours est honnête et plein d’espoir sans condescendance. C’est cette vision positive et combattante que nous avons besoin dans ce pays. Je retiens ici une femme modeste qui se bat dignement pour gagner sa vie. Elle a choisi un métier au-delà de toute restriction sociale. Elle est issue d’une grande noblesse du côté paternel et d’une grande famille maraboutique du côté maternel. Je vous adore ma chère cousine.

  5. En voila quelqu’un qui voit juste et le dit comme il se doit! Bravo Madame, je vous souhaite encore plus de success!

  6. Félicitations Madina, je te connais une patente depuis l’ECICA de 1986 a 1990 ou nous avons fréquente cet établissement ensemble ou nous marchions ensemble de missira a au bout de médina coura.
    Je te souhaite encore plein de succès

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