Le célèbre guitariste du mythique Super Rail Band, Djélimady Tounkara à propos du Super Raïl Band : “Un grand orchestre comme ce groupe ne devrait pas végéter”

0

On ne présente plus ce pilier de la musique moderne malienne, célèbre guitariste du mythique Super Rail Band de Bamako aux côtés de Mory Kanté  et Salif Kéïta. Djélimady Tounkara remonte sur les planches pour le plus grand plaisir de nos oreilles. Djélimady Tounkara s’est imposé dans les années 60, à l’heure où le Mali était fraîchement indépendant et reconstruisait son identité. Guitare en main, il a contribué à la révalorisation de la musique traditionnelle avec ses compères de l’époque. Comme eux, il est revenu depuis quelques années à des sonorités plus acoustiques. Né dans une famille de griots, Djélimady Tounkara apprit, dès l’adolescence, à jouer de la kora, du n’goni et de la guitare. Après avoir joué avec l’Orchestre National “A” du Mali, il rejoint dès 1971 le Rail Band de Bamako, l’orchestre mythique du buffet hôtel de la gare de Bamako dont il devient rapidement le leader. En 2001, il sort un album “solo” intitulé Sigui, accompagné de plusieurs musiciens et chanteurs issus du Super Rail Band, comme Samba Sissoko. Cet album a reçu la BBC World Music Awards en 2002 (catégorie Afrique). Un deuxième album sort en 2005. Dans cet entretien qu’il a bien voulu nous accorder, Djélimady nous parle de sa carrière, l’orchestre Super Raïl Band, sa fille et la piraterie musicale.

L’Indépendant Week-end : ça fait belle lurette qu’on ne voit pas  jouer Djélimady Tounkara sur les scènes au Mali. On peut en connaitre les raisons?

Djélimady Tounkara: Effectivement cela fait très longtemps que je ne joue pas au Mali. Si j’ai une très bonne mémoire, cela va faire un an. Sinon, j’ai eu à faire quelques spectacles avec Cheick Tidiane Seck et un concert avec mon groupe ”Djélimady Acoustic” au Centre culturel français devenu aujourd’hui l’Institut français.  Vu l’engouement de pour ce spectacle, le nouveau directeur de l’Institut, ayant appris les échos à décider de me reprogrammer. Autrement, je joue rarement avec le groupe mythique du ”Super Raïl Band”.  Pour l’instant j’évolue avec un artiste cubain du nom d’Eliadez avec qui on a formé un groupe ”Mali Cuba” avec Toumani Diabaté, Lassana Diabaté (au balafon), Yacouba (au tamani) et Bassékou Kouyaté. Ce groupe marche parfaitement sur le plan international. Raison pour laquelle on me voit jouer rarement au Mali.

Vous qui étiez le leader du ”Super Raïl Band”, qu’en est-il avec ce groupe ?

Le Super Raïl Band existe et continue à évoluer même si l’on ne joue pas régulièrement au Mali. Sinon, je suis toujours en contact avec les autres membres du groupe. Depuis l’année dernière, on n’a pas encore tourné. J’espère que l’année prochaine sera meilleure pour nous. Il faut signaler que quelques fois aussi, il est très difficile de faire évoluer ce groupe au Mali à cause des énormes difficultés qu’il rencontre. Cela étant, nous avons effectué les années précédentes une dizaine de spectacles en Europe.

Quel est le problème qui se pose pour faire évoluer ce groupe au Mali ?

Il existe de nombreux problèmes pour faire évoluer ce groupe au Mali. Tout d’abord, ce grand groupe connait un problème d’instruments et il a été privatisé au Buffet de la gare. Après la privatisation du Chemin de fer, le Super Raïl Band a connu d’énormes difficultés. En plus des problèmes d’instruments, nous avons un sérieux problème de déplacement. Pour qu’un groupe évolue, il faut que toutes les conditions soient réunies afin de mettre tous les artistes à l’aise. Alors qu’en 1995, lorsque ce groupe connaissait un véritable succès, nous avons fait un disque intitulé ”Makan” qui continue de marcher jusqu’à présent. Inchallah, si tous les autres membres du groupe décident de se mettre ensemble encore pour travailler, je crois que l’année prochaine le Super Raïl Band signera son retour. Sans oublier l’aide de tout le monde. Si possible, nous réaliserons un album si nous trouvons un producteur. Car au Mali, il est très difficile de rencontrer un producteur professionnel.

Et si on mettait les moyens à votre  disposition, le groupe va-t-il se relancer ?

Bien sûr. Si aujourd’hui on met les moyens à notre disposition, l’orchestre va très vite redémarrer. Il y a trois ans, nous avons essayé de demander de l’aide auprès de la Coopération française. Malheureusement, le résultat a été négatif. Si, réellement, les autorités voulaient le bonheur de cet orchestre, elles allaient tout faire pour que le Super Raïl Band ne rencontre pas des difficultés. Un grand orchestre comme ce groupe ne devrait pas rencontrer de problème.

Avez-vous approché les autorités qui sont en charge de la culture?

Pour l’instant, on n’a pas demandé. Mais auparavant, on avait soumis le vœu aux autorités de nous aider, hélas pas de résultat satisfaisant.  Imaginez-vous qu’un grand orchestre comme le Super Raïl Band, qui a formé de grands artistes de renommée internationale, rencontre des difficultés au Mali.  Un orchestre qui est renommé mondialement est en train de mourir à petit feu dans son propre pays. Plus rien n’est fait pour nous encourager alors que nous avons vaillamment lancé le nom du Mali dans les quatre coins du monde. Même les clips de l’orchestre ne passent plus sur les antennes de la télévision. A part les radios qui se souviennent de nos anciennes chansons. On se demande si on doit aller payer de l’argent pour que nos clips passent sur les antennes.  Au Mali, il y a une chose dont l’Etat doit tenir compte. Le soutien absolu aux hommes de la culture. Il faut que l’Etat nous aide à valoriser nos œuvres. Avec une telle situation, comment voulez-vous que les artistes évoluent  dans leur propre pays? Raison pour laquelle chaque artiste malien essaye de produire ailleurs pour se débrouiller.

 Avez-vous combien d’albums solo à votre actif ?

J‘ai deux albums solos à mon actif. Le premier est sorti en 2001 et le second en 2005 ”Solo Kônô” qui marche très bien sur le plan international.

Pourquoi cet album a connu plus de visibilité en Europe et aux USA qu’au Mali ?

Tout simplement parce que le producteur est Français. Il a mené une très bonne communication autour de l’album en Europe.

Pourquoi l’album n’a  pas été distribué au Mali?

Le producteur ne pouvait pas s’occuper de l’Europe et de l’Afrique. Moi, j’ai eu peur de trouver un distributeur à cause de la piraterie. Un fléau qui continue toujours de prendre de plus en plus d’ampleur au Mali. Un mal qui tue les artistes. Voyez-vous le drame. Sinon, le producteur m’a autorisé à venir avec quelques disques pour les vendre. J’ai carrément refusé à cause de la piraterie. Là également, il faut que l’Etat prenne des décisions pour mettre fin à ce fléau et protéger les artistes. La musique évolue au Mali plus rapidement que partout en Afrique. Moi je vais pour deux ou trois concerts où je gagne deux à trois millions de FCFA. Alors qu’au Mali si j’organise un concert géant, je peux avoir plus de dix millions de FCFA comme bénéfice. Si les artistes sont bien traités ici, nous n’allons pas sortir. Car nous aimons beaucoup notre beau pays. La seule structure qui aide le Mali c’est l’Institut français. A chaque moment, il y a des programmations des artistes nationaux voire internationaux.  Moi, personnellement, cette institution m’a énormément aidé. Je ne peux que la remercier pour tout ce qu’elle fait pour les artistes. Je demande également à tous les artistes d’être solidaires.

Vous, en tant que maestro de la musique malienne, quel regard portez-vous sur la musique et surtout sur la nouvelle génération d’artistes au Mali ?

Je dirai que la musique malienne évolue positivement surtout au niveau du rap. Les jeunes rappeurs maliens ont beaucoup évolué à travers leurs musiques et leurs paroles. Côté traditionnel, techniquement, les artistes chanteurs et leurs musiciens font d’énormes progrès. Ils ont créé leur propre style qui est différent de celui des anciens. Il faut  qu’on essaie d’aider ces jeunes en les encadrant. Mais ces jeunes ne peuvent rien gagner si on ne protège pas les artistes comme en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Congo. Tout le problème des artistes au Mal, c’est les pirates. J’en profite pour dire également aux jeunes artistes d’être plus originaux et de continuer à toujours fouiller dans la source. Ils ont du talent mais ils ne sont pas très originaux.

S’agissant de la carrière de votre fille, quelle assistance  lui apportez-vous ?

Comme vous le savez, ma fille MBaou Tounkara a commencé sa carrière depuis son enfance. A chaque fois que je composais, elle essayait  d’introduire sa voix ou de composer une chanson sur les notes que je jouais. A l’âge de 14 ans, elle a commencé à accompagner des artistes en tant que choriste jusqu’à ce qu’elle se lance elle-même dans la musique. C’est ainsi que je l’ai aidée à réaliser son premier album qui a connu un vrai succès et ensuite le deuxième. Actuellement, elle prépare le troisième où musicalement je l’aide.

A quand un album de Djélimady-MBaou ?

Inchallah pour très bientôt. J’ai envie de préparer un album typiquement acoustique sur lequel MBaou posera sa voix.

Une dédicace

Je remercie tous ceux qui m’ont soutenu durant toute ma carrière notamment le président de la République Amadou Toumani Touré. Il a été le seul à me récompenser en me décorant du grade de Chevalier de l’Ordre national. C’est la seule distinction que j’ai reçue au Mali.  Je souhaite également que la France nous attribue des distinctions comme elle l’a fait à Manu Dibango. Car, c’est en Europe, plus précisément en France, qu’on a connu et continue toujours de connaitre tous nos succès.

Bandiougou DIABATE
Bandjoul@hotmail.com

 

Commentaires via Facebook :