Paris 06/07/2007 – Sortis à quelques semaines d’intervalle, les albums du reggaeman ivoirien Beta Simon, du singjay guinéen Takana Zion et le second volume de Dub To Mali transportent avec eux l’air vivifiant du reggae d’Afrique. Enregistrés tous les trois à Bamako, ils mettent en lumière le rôle grandissant joué par le chanteur Tiken Jah Fakoly et le musicien-ingénieur du son Manjul, ensemble ou séparément.
Pour Beta Simon, dont la prestation sur scène laissait deviner qu’il n’avait rien d’un débutant, le précieux soutien de l’ancien lauréat du prix RFI Découvertes s’est prolongé et vient de se matérialiser en un album. Kraity Payan Guez, première sortie du label Fakoly Production, permet à son auteur de mettre fin au long silence dans lequel il était plongé depuis son arrivée en France en 1999. "J’étais venu pour donner un concert, mais j’avais l’ambition de découvrir l’Europe", raconte le chanteur ivoirien qui a vécu dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest.
Après deux années à Paris, il prend la direction de la Bretagne, où il démarre une autre vie… dans une ferme. Lorsque le paysan qui l’accueille doit s’absenter pendant un an, il n’hésite pas à lui confier son affaire ! Resté "en brousse", dans le Morbihan, pas très loin de la forêt de Brocéliande, le reggaeman met sa carrière entre parenthèses. "J’étais davantage dans les champs en train de m’occuper des vaches, ou sous les serres en train de m’occuper des fleurs", explique-t-il.
Depuis Ramde, son troisième album sorti avant son départ d’Afrique, il n’est pas retourné en studio. Au moment où il
Au delà des retrouvailles, l’objectif est de prouver qu’Ivoiriens du Sud et du Nord sont capables de s’entendre. Enregistré dans le studio H. Camarah que Tiken a créé dans la capitale malienne où il s’est volontairement exilé, Kraity Payan Guez est constitué de chansons que son compatriote a composées sur ses terres de Bretagne (Malian Way, Jesus…) et d’autres plus anciennes. Le chanteur-producteur a aussi mis à disposition ses musiciens et, pour la batterie et les percussions, fait appel aux sensations roots de Manjul, en passe de devenir une référence.
L”outil Manjul
Retrouver sur ce projet le jeune Français, également installé à Bamako, n’est pas vraiment surprenant. Multi-instrumentiste et compositeur talentueux, ingénieur du son et réalisateur inspiré, il donne l’impression d’être sur tous les fronts, avec l’une ou l’autre casquette. L’enthousiasme suscité par le premier volume de Dub To Mali, sorti fin 2005, l’a conforté dans sa démarche artistique originale : s’approcher au plus près de la zone de confluence entre la musique rasta et celle d’Afrique dont elle procède.
Il n’a pas attendu longtemps pour concevoir le second volet de sa série, Jahtiguiya (adaptation rasta du terme "djatiguiya" désignant le principe d’hospitalité en bambara), en restant fidèle à sa méthode de travail : "J’ai toujours voulu témoigner de ce que je vivais, c’est l’élément motivant de mes albums. Tout est une question d’alchimie entre les lieux, les temps, les choses et les gens. Et là, quelque chose s’est mis en place. Souvent, je dis que je suis un outil, et je cherche juste à ouvrir les yeux et les oreilles pour bien faire mon travail d’outil. Je ressens une énergie en moi que je veux partager, et la musique est le seul moyen que j’ai de le faire. Ce n’est pas seulement pour dire aux gens d’aller en Afrique ou d’y revenir, mais surtout pour leur dire de prendre attention, de réfléchir." Autour de lui, l’équipe a un peu changé. Mamadou Fofana, membre du Symmetric Orchestra de Toumani Diabate, apporte sa connaissance des instruments traditionnels : balafon, flûtes peules, kamele n’goni…
C’est d’ailleurs ce qu’il a fait avec Takana Zion, venu au studio avec un sentiment d’urgence pour libérer le texte de I Am A Freeman présent sur Dub To Mali vol. 2 et qui sort parallèlement son premier album Zion Prophet, enregistré dans la même période. Ce Guinéen qui n’a pas encore 21 ans possède le profil des singjays jamaïcains, capable de chanter et de toaster avec cette intensité de ceux qui souffrent et n’ont que leur voix pour s’exprimer. Lorsqu’ils le croisent à Bamako au cours d’un de leurs séjours l’an dernier, Chid et Zaz du groupe français Sinsémilia sont époustouflés par ses performances. Manjul décèle son incroyable potentiel dès qu’il l’entend, lors d’une de ces soirées nyabinhgi (percussions et chants traditionnels rasta) organisée le samedi soir dans le quartier de Lassa. Tiken Jah Fakoly en est, lui aussi, convaincu. Il le programme aux côté de Beta Simon pour l’African Reggae Festival, décide de produire son disque et confie la réalisation au jeune Français. Mais le résultat n’est pas commercialisé, pas plus que la seconde expérience en studio toujours sous le patronage du chanteur ivoirien. La troisième tentative est la bonne.
Co-produit, arrangé, réalisé et en partie joué par Manjul, Zion Prophet pourrait être traduit en termes jamaïcains comme la rencontre – chronologiquement improbable – entre le singjay Sizzla et le maître du dub King Tubby. Du reggae solide, inventif, aussi tonique sur le plan musical que la voix qu’elle soutient, avec ses vrais moments de grâce. Si l’on commence à connaître les qualités du musicien français, qui s’illustre ici dans un registre un peu différent, la prestation de Takana Zion sort de l’ordinaire. "C’est vrai qu’il fait partie des gens que l’on remarque", reconnaît Manjul. "En lui, il y a quelque chose qui s’exprime qui est bien plus vieux que lui." C’est aussi ce qui les réunit.
Manjul Jahtiguiya, Dub To Mali vol. 2 (Humble Ark/Discograph) 2007
Takana Zion Zion Prophet (Makasound/Discograph) 2007
Beta Simon Kraity Payan Guez (Fakoly Prod/Nocturne) 2007
Bertrand Lavaine
RFI Musique (rfi.fr, 6/7/2007)
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