Jean Philippe Rykiel, musicien français aveugle : «Je préfère qu’on me dise aveugle, plutôt que non-voyant»

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Jean Philippe Rykiel
Jean Philippe Rykiel

C’est dans son studio situé dans le 14ème arrondissement qu’il nous a accordé cet entretien. Jean Philipe Rykiel  s’amuse un peu, car  il  vient  de rentrer de vacances, après avoir passé 3 semaines chez ses parents à  la campagne. C’était une détente et après ces moments, il est en train de reprendre le boulot progressivement. Il n’a pas beaucoup touché à ses  claviers, donc ses doigts sont au ralenti. Il nous parle de sa carrière, de ses relations avec les artistes maliens et sa vision de la musique. Il ne veut pas qu’on l’appelle non voyant, mais aveugle.

 

Le Reporter : Vous êtes non voyant, la cinquantaine bien révolue, 52 ans précisément. Comment  faites-vous ?

 

Jean Philippe Rykiel: Je vous interrompe un peu, car je préfère qu’on me dise aveugle plutôt que non voyant. Je t’explique : aveugle, ça veut dire que les yeux ne fonctionnent pas ;  or non voyant, ça veut dire  qu’on ne voit pas bien. Nous, on voit avec tout notre corps, on voit avec les mains, les oreilles,  le nez, on voit absolument avec tout, sauf les yeux.

 

Vous êtes  aveugle de naissance, aujourd’hui ingénieur de son, instrumentiste, comment  êtes-vous arrivé  à ce niveau ?

 

J’ai de la chance de vivre dans un pays riche, un pays occidental, un pays où les handicapés ne sont pas négligés, où le gouvernement fait beaucoup de choses pour eux. Il y a des écoles spécialisées, du matériel spécialisé, des aides pour ceux qui n’ont pas assez d’argent pour se payer ce matériel. C’est une chose qui est vraiment importante. En Afrique, on n’a pas la chance malheureusement. La deuxième chance que j’ai eue, ce sont mes parents ; ils ont voulu que je réussisse ma vie et que je ne sois pas considéré comme un handicapé, un mendiant ou que je ne sois pas à la charge des autres, mais que je sois quelqu’un qui se bat, qui fait des choses, qui agit et non quelqu’un qui subit. Je ne cesserai jamais de les remercier pour m’avoir donné cette chance.

 

Comment ont été vos débuts dans  la musique et le monde du show biz ?

J’ai toujours été un passionné de la musique et surtout quand on est aveugle, on est particulièrement sensible au son. J’ai été attiré par la musique depuis tout petit et la chance que j’ai eue  aussi, c’est qu’il y avait un piano à la maison qui appartenait à ma grande sœur, mais qui ne s’en servait pas beaucoup, alors qu’elle prenait des cours de piano. Ça ne l’attirait pas énormément .Quand j’ai eu 5 ans, j’ai commencé à sauter sur le piano et quand ma grande sœur essayait d’approcher, je lui disais que c’est à moi et c’est resté mon instrument. La musique est devenue mon dada. C’est quelque chose qui me passionnait, toute mon énergie y était consacrée et même dans ma scolarité, les cours de musique étaient primordiaux. Il faut savoir aussi que je n’étais pas un très bon élève, pardon (rires !)

 

Vous aviez commencé à travailler depuis les années 80 avec des artistes africains tels que Salif Kéïta, Youssou N’Dour, etc. D’où vient cet amour pour les artistes et pour la musique du plus vieux continent ?

 

Le premier artiste que j’ai rencontré s’appelle Fredua Adjimane, un batteur ghanéen. C’est lui qui m’a fait voyager pour  la première fois en Afrique en 1982. Pour ceux qui s’en souviennent, en ce mois de janvier 1982, il y a eu le coup d’Etat de Jerry Rawlings. En instaurant le couvre-feu, notre projet musical est tombé à l’eau. J’ai passé un mois dans une famille ghanéenne qui m’a fait découvrir cette vie africaine et m’a beaucoup plu.  À l’époque,  les maisons n’étaient pas fermées ; il n’y avait pas de clôture et on trouvait cinq générations sous le même toit, du plus  jeune au plus vieux. On mangeait tous dans le même plat avec les mains, on se lavait avec un seul seau d’eau. Il  n’y avait pas grand-chose, mais il y avait la bonne humeur et la joie. Il y a plein de choses que je ne trouvais pas en Occident, et c’est tout ça qui m’a attiré vers ce continent. Quand je suis rentré à Paris, j’ai voulu rester en contact avec l’Afrique. Mon ami Adjimane m’a mis en contact avec pleins de musiciens avec lesquels j’ai joué. Parmi les musiciens que j’ai côtoyés, il y avait un guitariste du nom d’Alain Agbo qui m’a présenté à quelqu’un qui a changé ma vie. Il s’appelait Prosper Niang, il est décédé. Paix à son âme. C’était le fondateur et batteur du groupe sénégalais Xalam 2. Il  était la deuxième monture du groupe. Il m’a fait intégrer au groupe où il y avait une osmose. C’est lui qui m’a fait rencontrer toutes les stars sénégalaises, même africaines dont Salif Keïta. Notre première rencontre s’est faite dans un studio où il était en répétition. Il m’avait dit qu’il cherchait un arrangeur et c’est dans cette circonstance que je me suis retrouvé à faire trois morceaux de son album «Soro»,  le premier qu’il a fait en France.

 

 

 

Comment aviez-vous connu Youssouf N’Dour ?

La première rencontre fut dans un studio où nous avons enregistré l’album «Nelson Mandela» et après on s’est pas revu pendant très longtemps. Figurez-vous que c’est grâce à Salif que j’ai revu Youssou N’Dour quand il faisait son album «Easy open». C’est de là que son manager lui a dit ceci : «Pourquoi tu ne travaillerais pas avec ce garçon que tu aimes et qui avait fait l’album de Salif ?… ». Youssou N’Dour a alors accepté et son manager m’a appelé et je me suis retrouvé à Dakar chez lui, où j’ai passé trois mois avec ses fabuleux musiciens pour confectionner cet album et celui qui a suivi. On a fait un travail formidable et collectif avec le bassiste et arrangeur Habib Faye et les autres fantastiques musiciens. Chacun apportait des idées et je me suis bien intégré au groupe ; je n’avais pas une position hiérarchique. Il y avait un respect mutuel ; je leur apportais des choses d’Europe  et eux, m’inculquaient beaucoup de choses que je ne savais pas.

 

 

 

Toutes ces rencontres et collaborations n’ont pas eu raison de ta propre carrière solo ?

 

C’est vrai que ça m’a pris beaucoup de temps et d’énergie, mais je ne le regrette pas du tout, car ça m’a apporté beaucoup de choses humainement et musicalement. Si j’ai un regret effectivement, c’est que j’ai dû délaisser ma carrière solo à cause de toutes ces sollicitations.

 

 

 

Après les artistes de l’Afrique de l’Ouest,  vous vous retrouvez à arranger un certain Loukoua Kanza et Papa Wemba…

 

Vous savez, au moment où  je travaillais avec les artistes de l’Afrique de l’Ouest, j’ai aussi rencontré des artistes camerounais avec lesquels j’ai joué. Loukoua est quelqu’un pour qui j’ai beaucoup d’admiration et beaucoup de respect, avec une voix d’or. C’est une Afrique différente, mais tout le monde est uni par une force extraordinaire qui s’appelle la musique. Cette union n’a pas besoin de montrer sa carte d’identité ou son passeport, car quand on se voit, que tu sois Malien, Ivoirien, Congolais,  Camerounais, Mauritanien ou Béninois, etc. Moi, j’aime vibrer avec les gens. Je me suis retrouvé une fois avec des griots soninkés de Mauritanie, avec lesquels je suis toujours ami. Il ne parlait aucun mot du français, moi non plus, je ne parlais aucun mot soninké. On ne pouvait se parler qu’avec nos instruments. Quand on s’entend bien musicalement, il n’y a pas de barrière.

 

 

 

Avec l’apparition de nouvelles technologies, quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans les arrangements musicaux ?

 

La première difficulté, c’est le piratage qui est dû à une mauvaise éducation des gens, c’est-à-dire que les gens veulent la musique gratuitement ; ils ne savent pas que les instruments coûtent chers et que les artistes veulent vivre de leur art. Ils ne savent pas que sans la musique, un musicien meurt ou il est obligé de trouver un autre travail et il va moins se consacrer à la musique. C’est vraiment un gros problème, on ne  sait pas comment venir à bout de ce fléau. Deuxième problème, les ordinateurs nous permettent de faire beaucoup de choses ; c’est moins facile à utiliser pour un aveugle que les vieilles machines ou les anciens synthétiseurs, heureusement que j’y arrive avec les systèmes adaptés. J’ai un ordinateur qui parle, un téléphone qui parle, donc je peux me servir de la technologie. Mais, j’ai des limites par rapport à ceux qui voient.

 

 

Ta dernière collaboration a abouti à un album avec le Guinéen Mory Djély Kouyaté. Pourquoi  Mory Djély ?

 

On a sorti plein d’autres albums en Guinée. Là, on a eu la chance d’avoir un producteur français du nom de Gilbert Castro. Mory  a l’une des plus belles voix du monde. J’ai travaillé avec tellement de belles voix, mais celle de Mory Djély m’a particulièrement touchée. Cet album «Tinkisso» est très particulier, car il est fait uniquement de piano et de la voix de Mory avec quelques morceaux de deux guitaristes et un percussionniste. C’est un album qui plaît plus au public blanc, qui n’a malheureusement pas eu un grand succès en Afrique, parce que ce n’est pas assez rythmé.

 

 

 

Quels sont vos projets à venir ?

 

Je pars au Canada pour une collaboration avec des Indiens américains et pour rencontrer d’autres cultures, d’autres musiques. Pour me consacrer  aussi  à moi-même et faire de jolies choses. J’ai sorti un album en 2012 qui n’a pas eu de succès, mais moi, j’en suis fier et je vais vous en laisser un  d’ailleurs pour les radios africaines.

 

 

Réalisé par Mory TOURE

Depuis Paris

 

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1 commentaire

  1. 😉 😉 😉 😉 ,un grand merci à vous mory TOURE,de nous faire découvir un artiste hors pair je dit bien c’est un vrais hors pair,tant par son amour pour l’afrique,et les africains,merci à vous monsieur jean philippe RYKIEL,je vous souhaite une très très bonne continuation,et bon vent 😆 😆 😆 😆 😆 😆

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