Issa Bagayogo dit Techno Issa : De la daba à la musique

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Issa Bagayogo est avant tout un paysan natif de Korin, un petit village du cercle de Bougouni dans la 3ème région administrative du Mali, Sikasso. Il est né en 1961. Issa cultivait le mil à la daba (houe en français) sur des dizaines d”hectares, les travaux champêtres étant, traditionnellement, l”affaire de toute la famille. Son père avait quatre épouses et, étant le fils de la première femme, Issa se devait de donner le bon exemple, car il vivait avec plus de quinze autres enfants du même père.

Dès sa plus tendre enfance, Issa s”essayera pourtant à la musique en jouant du daro, sorte de cloche rustique en ferraille qu”on fait tinter bruyamment derrière les cultivateurs pour les stimuler, les encourager dans les travaux champêtres. "Il le fallait, parce qu”il n”était pas donné à n”importe qui d”avoir un champ de plus de dix hectares. Comme il n y avait pas de machines, il fallait quelque chose pour galvaniser les bras valides de la maison ".

Le kamalé n”goni, une sorte de guitare du terroir, sera maîtrisé par lui à l”âge de 12 ans, comme tous les jeunes de son village. Dans le Wassoulou, kamalé n”goni et chant vont de pair, car la plupart des grands joueurs de cet instrument sont des chanteurs. C”est pourquoi, pour le chant, Issa n”a pas rencontré de grandes difficultés. Les chants du terroir sont magnifiés par lui et les paysans et membres des autres couches sociales se reconnaissent à travers ses morceaux. "Les gens venaient massivement écouter mes chansons parce que ce que je disais les concernait directement".

La bravoure, le travail bien fait, l”entente et la dénonciation des maux qui minaient la société de l”époque étaient les thèmes abordés par l”enfant de Korin. Comme sa voix plaît et qu”il joue de mieux en mieux, Issa Bagayogo commence à se faire un nom et débarque à Bamako en 1991 pour chercher à enregistrer une première cassette. "J”ai été accueilli dans le studio monté par Philippe Berthier, qui avait décidé de s”installer au Mali". Ce studio cherchait un bon joueur de kamélé n”goni, ce qui a permis à Issa d”enregistrer ses premières chansons.

"Je n”ai pas eu de chance, parce que mes morceaux n”intéressaient pas les Bamakois". Il fera un deuxième album en 1993, sans plus de succès. "C”est à ce moment que j”ai décidé de rejoindre les chauffeurs de bus de Bamako, pour devenir apprenti. Déçu par mon échec, j”ai pris beaucoup de comprimés, des mélanges de médicaments dopants. Ma femme m”a quitté. Au village, on disait que j”étais devenu fou et ma mère était désespérée".

Un matin, il décide d”arrêter les médicaments pour se lancer de nouveau dans la musique. Il retourne en studio et rencontre Yves Wernert, ingénieur du son et Moussa Koné, un ancien guitariste d”Ali Farka Touré, qui lui proposent de travailler complètement différemment pour se lancer dans une aventure musicale que personne n”a encore tentée au Mali. Partir de la tradition en la mixant avec des samples rythmiques.

Au début, Issa a peur. Il ne s”habitue pas au travail avec la boite à rythmes et ne comprend pas vraiment où il va. Après plusieurs mois de travail, la cassette sort fin 98. C”est un gros succès au Mali (plus de 15 000 exemplaires vendus, sans parler des pirates). Issa n”en n”est pas surpris et trouve qu”après tout ce boulot, c”est tout à fait normal. Il est à nouveau respecté et sa mère est ravie. Quand il retourne au village, il est fêté et sa femme accepte de revenir vivre avec lui.

Tout va beaucoup mieux et il pourra même peut-être bientôt quitter le cercle des apprentis-chauffeurs de bus pour vivre uniquement de sa musique, lui qui a reçu en mars 1999 le prix du Meilleur espoir de la chanson malienne décerné par la radiotélévision nationale et les professionnels. Issa Bagayogo a aujourd”hui plus de vingt ans de carrière musicale. Il a connu des hauts et des bas, ce qui ne l”a pas découragé. Il a continué à se battre.

Le paysan apprenti-chauffeur est devenu un vrai musicien, non sans difficultés. Techno Issa comme l”appellent ses fans, a déjà enregistré trois albums : "Sya" en 1999, "Timbuktu" en 2002 et, en 2004, "Tassou ma kan". Tous ces albums ont été réalisés au Studio Bogolan de Bamako.

"J”ai plusieurs morceaux qui n”ont pas encore été enregistrés mais qui sont sur des cassettes. La musique est devenue ma passion et ma profession".

K. TRAORE
Bko Hebdo du 15 juin 2007

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