Exclusif: il existe des réseaux spécialisés dans la piraterie au Mali

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Naïny ni Bassékou ye a bè fo! Au cours de l’atelier de sensibilisation des élus nationaux sur la protection des droits d’auteurs en matière d’oeuvres musicales, ces deux grosses pointures de la musique malienne ont édifié les députés présents sur l’ampleur des dégâts et sur l’impunité dont jouissent les mafieux qui vivent sur le dos de nos artistes en piratant leurs créations. Première conséquence de leurs témoignages émouvants: un Honorable s’est écrié, après les avoir entendus: «Pas de débats, il faut une loi».

Le 29 juillet dernier, dans la salle Aoua Kéïta de l’Assemblée Nationale du Mali, une soixantaine de députés et d’assistants parlementaires s’est s’imprégnée des dures réalités auxquelles sont confrontées les artistes maliens en matière de protection de leurs droits.

De leur droits? On peut même parler de leur survie, tant la piraterie est importante au Mali, les réseaux qui la nourrissent et qui en vivent grassement étant bien structurés et leurs animateurs assurés d’une impunité quasi totale. C’est pourquoi le Projet Cadre Intégré, dont le Coordinateur est Mohamed Sidibé, a jugé opportun, au cours du second atelier de sensibilisation qu’il organisait sur le thème à l’AN, d’inviter «les bébés à être présents à leur propre baptême».

Comme le dit l’adage bamanan, «den kun tè di a yèrè ko». Ainsi, Mamoutou Kéïta, Administrateur de Salif Kéïta, Bassékou Kouyaté et Naïny Diabaté ont-ils été invités par le PCI à venir témoigner devant les élus de la Nation. En live and direct, comme disent les animateurs. Les députés ont été abasourdis par ce qui leur a été relaté. M. Kéïta a débuté en attirant l’attention des Honorables sur les montants en jeu et sur les amendements législatifs nécessaires à une réelle prise en compte des droits des artistes, afin que ceux-ci puissent efficacement ester devant les cours et tribunaux.

Prenant la parole juste après lui, Bassékou Kouyaté a véritablement ébahi l’auditoire par son intervention. Jugez-en vous même: «Nombre d’artistes ne connaissent pas leurs droits et ceux-ci sont mal défendus par nos autorités. Alors que le Mali est le seul pays d’Afrique Noire a avoir reçu trois Grammy Awards, les artistes nationaux ne touchent quasiment rien du BUMDA et sont piratés éhontément. Il y a quelque temps, un certain nombre d’artistes, dont King Massassi, Ramsès, moi-même et d’autres, avons décidé de prendre le taureau par les cornes pour récupérer auprès des revendeurs de cassettes pirates nos oeuvres et les détruire. Un jour, au cours d’une échauffourée entre King et un de ces jeunes, celui-ci a donné un coup de poing à l’artiste, qui a répliqué et s’est vu convoquer à la police et retenir dans les locaux d’un commissariat.

King a été obligé de mettre en gage son portable, pour la somme de 150 F CFA, afin de me téléphoner pour me mettre au courant de ce qui se passait. J’ai du payer 6 000 F CFa de frais d’ordonnance pour le petit. C’est un comble! Il m’a fallu faire appel à Salif Kéïta, Oumou Sangaré et d’autres collègues pour que, ceux-ci ayant déposé plainte contre le pirate, King soit libéré et que les agents comprennent que c’est nous qui étions, en fait, les victimes.

Peu après, on me proposa d’aller rencontrer l’un des boss des réseaux de piraterie, ici à Bamako, pour que nous échangions. Je me suis fait accompagner par un ami gendarme en civil. Le monsieur m’expliqua qu’il était importateur et qu’il pouvait faire entrer, par an, dix conteneurs de cassettes au Mali. Il déclara aussi que, normalement, pour chaque conteneur, il voulait bien payer les stickers, ce qui revenait à 18 millions par conteneur, mais que le Bureau malien des droit d’auteur avait refusé de lui en vendre. Comme il ne voulait pas perdre sa marchandise, il l’écoulait sur le marché illégalement! Il s’est même permis de me proposer de produire certains artistes. Mais cela n’est pas de la production, c’est de l’exploitation.

Quand on sait qu’un artiste devrait normalement percevoir 80 f CFa par cassette vendue, que même cela, il ne le reçoit pas, alors qu’une journée en studio nous coûte 300 000 FCFA et 150 000 F chez Salif Kéïta et que nous sommes persuadés que le BUMDA sait très bien qui ils sont, imaginez notre désarroi.

De plus, souvent, nos producteurs leur vendent des licences, car s’ils ne le font pas, les oeuvres sont piratées. Nous demandons aux députés de faire une loi qui nous permette d’être défendus, de continuer notre métier. Je fais plus de cinquante concerts par an à l’étranger, c’est ce qui me permet de vivre. Car le BUMDA ne nous reverse que 100 à 150 000 F CFA pour le même laps de temps. Il faudra vraiment, à cause de Dieu, faire appliquer la loi qui sera votée, en punissant les patrons, pas les sous-fifres».

Naïny, quant à elle, s’exprimera en ces termes: «C’est vraiment un problème très sérieux. En son temps, nous avions marché. On a brûlé quelques cassttes pirates, on a organisé un séminaire. Mais les artistes sont divisés et ne s’entendent pas entre eux. On a même été dire au ministre de la Culture de l’époque, Aminata Dramane Traoré, que la marche était dirigée contre elle. Nos producteurs et distributeurs sont les premiers à nous pirater. Il y a même des artistes qui piratent J’ai commencé ce métier il y a très longtemps, j’ai même représenté le Mali à Avignon en 1986, avec feu Batourou Sékou Kouyaté.

J’ai plus gagné d’argent avec la RTM, lorsque j’enregistrais là-bas, qu’aujourd’hui je n’en gagne avec mes cassettes. J’ai fait le premier play back de l’histoire de la TV malienne et la première émission Top Etoiles. Sachez aussi que les préjudices que nous subissons en termes de droits d’auteur, à cause du piratage, sont énormes à l’extérieur, surtout en France et aux Etats-Unis. Je viens de terminer un album chez Salif. Il m’a coûté 1 million deux cent mille francs. Par peur des pirates, il n’est pas encore sur le marché.

Je vous demande d’approcher les artistes de votre circonscription pour les associer à cette lutte, parce que nous sommes fatigués. Aidez-nous. Les radios libres ne paient pas les droits de diffusion, seule l’ORTM s’en acquitte un peu. Pire, certains animateurs de radios privés s’enrichissent par la piraterie. L’un d’entre eux vend les enregistrements publics à un producteur qui réside à Paris pour 15 millions la cassette. Celui-ci les duplique et les vend. Les prix sont connus: c’est 25 dollars au 116 aux USA et 40 euros à Paris. Les émissions Grand Sumu, Top Etoiles, Sambè sambè, Nuit du Bazin sont enregistrées ici et vendues en cassttes à l’étranger, sans que les artistes invités ne touchent un seul franc. A Bamako, un pirate et tellement connu qu’il a comme surnom Sumu! De plus nous ne passons pas sur les antennes nationales comme il se devrait. Au lieu de la promotion des artistes locaux, c’est celle des étrangers qui est faite. Résultat, aucun artiste malien, excepté Salif, ne touche de droits d’auteur dans la sous-région, alors que des Ivoiriens, Zaïrois et autres en touchent ici».

Ramata DIAOURE

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