Entretien avec Alou Sam, artiste musicien malien : “Je suis fier de ce que j’ai pu accomplir en 25 ans de carrière” “La musique n’est pas que de l’ambiance, elle doit éduquer surtout”

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En 25 ans de carrière, Alou Sam a produit huit albums. Sa carrière est lancée depuis son premier album intitulé “Soubéke Mali” (les jeunes du Mali) sorti en 1995. Cet album lui donne la notoriété dans son pays où il se fait davantage découvrir à travers l’émission “Top Etoiles” et des festivals au Mali. Son album ” Mali 2002 ” lui ouvre les portes du showbiz international. Aujourd’hui, il est le porte-drapeau de la culture Gawlo, peulh et malienne. Dans cet entretien, Alou Sam se confie sur sa carrière et n’hésite pas à élucider certaines questions dont celle liée à ses origines sénégalaises.

Aujourd’hui-Mali : Bonjour, cela fait déjà des années que vous n’avez plus sorti d’album. Pourquoi ?

Alou Sam : C’est vrai, mon dernier album Dounia remonte effectivement à 2008. Tout simplement parce que les cassettes ne se vendaient plus avec l’avènement des nouvelles technologies. Les gens avaient votre musique sans payer un centime et cela ne m’arrangeait pas car je déboursais énormément d’argent pour produire un album et, résultat, je ne gagnais pas grand-chose en retour. Donc il fallait s’adapter à la réalité du moment. C’est pourquoi, depuis lors, je fais des singles qui coûtent moins cher et permettent de rester sur la scène. Rester sur la scène, c’est-à-dire être invité à des évènements culturels et artistiques par exemple des concerts et des festivals. Ce qui nous permet aujourd’hui de gagner notre vie. Mais on essaie aussi de s’adapter au système de vente en ligne. Si tu produis ton album ou tes chansons, il y a des plateformes de streaming qui se chargent de la distribution en contrepartie d’une part des ventes réalisées. Je crois qu’on n’a pas le choix et je compte aussi tenter cette expérience avec mes projets.

On va faire une petite rétrospection. Peut-on savoir comment Alou est devenu artiste musicien ?

Je crois que j’étais destiné à devenir chanteur. Pour preuve quand j’étais encore très jeune, j’aimais beaucoup chanter, notamment à l’école coranique car je n’ai pas eu la chance d’aller à l’école française. Mes parents étaient très attachés à la culture musulmane. Déjà à l’école cornique que je fréquentais ici à Bamako, toutes les personnes qui m’ont connu à l’époque disaient que j’allais devenir chanteur parce que je gagnais ma meilleure note de classe dans l’épreuve de chant lors des compositions. J’avais un maître qui aimait bien mes passages et il était impatient que mon tour arrive. Même dans la famille, personne n’ignorait mon talent de chanteur. Je chantais surtout en peulh et je chantais rarement des chansons d’autres personnes. Je chantais déjà mes propres chansons inspirées de mes journées d’école, de famille, de la rue, entres autres. Ma famille trouvait ça drôle et parfois en riait, mais elle ne m’a jamais interdit de chanter. Ce qui m’a le plus encouragé à aller plus loin.

Quelles sont les difficultés rencontrées dans votre carrière, notamment au début ?

Dans toute chose dans cette vie, il y a des difficultés. Mais quand on fait quelque chose par passion, cela permet de voir les choses d’une autre manière. J’ai surtout été confronté à des problèmes de studio au départ, notamment pour mon premier album Soubéke Mali, sorti en 1995. A l’époque, il y avait des artistes qui partaient réaliser leur album à Abidjan. On n’avait que deux studios de production au Mali à l’époque, le studio de Salif Keita et Mali-Cassette chez Alou Mahamane Tandina qui réside actuellement en France. C’est ce dernier qui a produit mon tout premier album. C’est le lieu pour moi de remercier Boubacar Lah, un grand monsieur qui a été d’un apport incontestable dans ma carrière musicale.

Vous l’avez dit, vous ne savez lire ni écrire le français. Alors, comment composez- vous vos chansons ?

Comme je vous le disais plus haut, la musique est un don chez moi. Certaines choses peuvent être des difficultés pour certains artistes, mais ne le sont pas pour moi. J’aime la musique et je la fais avec ce que j’ai. Je n’écris pas mes chansons et il n’y a personne qui les écrit. Tout ce que je chante, je le prépare dans ma tête. Toutes mes chansons sont mémorisées et on ne me verra pas oublier un passage. J’ai produit 8 albums dans ma carrière et aucune chanson de ces albums n’a été écrite.

Nous avons remarqué que vous chantez dans différentes langues. Peut-on savoir lesquelles et pourquoi ces langues ?

C’est vrai ! La plupart de mes chansons sont en langue peulh. Je suis peulh, c’est dans cette langue que j’ai fait mes débuts dans la musique. Cependant, j’ai décidé de chanter en Bambara aussi parce que des fans m’ont demandé de le faire.

Au début c’était difficile, mais au fur et à mesure j’ai retrouvé la maitrise. Cela est arrivé quand des fans que je croisais en ville et en circulation me félicitaient et me demandaient de chanter plus en bambara. Ils m’ont dit qu’ils aiment ma musique et que ce serait vraiment bien si je chante plus dans cette langue.

Avez-vous déjà reçu des distinctions de votre carrière ?

De 1995 à nos jours, cela fait plus de 25 ans ans que je fais la musique, mais je n’ai jamais reçu de récompense dans mon pays. Mais j’ai été primé dans d’autres pays. J’ai par exemple reçu le Djembé d’Or en Guinée Conakry et d’autres récompenses dans d’autres pays. C’est vraiment dommage de ne pas être récompensé dans mon pays pendant les autres pays reconnaissent mes mérites. Mais je me dis que mon tour viendra un jour dans mon pays. Un jour où mon pays dirait que je mérite une récompense et une reconnaissance du Mali pour tout ce que j’ai fait pour la musique et la culture malienne à travers le monde entier.

Il n’est pas rare d’entendre au Mali qu’Alou Sam n’est pas un Malien. Que répondez-vous à cela ?

En effet ! Plusieurs personnes m’ont posé la question au Mali. Il est vrai que je suis d’origine sénégalaise. Nos arrières grands-parents sont venus du Sénégal pour s’installer vers Kayes, mais cela ne fait pas de moi un Sénégalais. Mes parents sont nés au Mali, je suis né au Mali. Cela n’est-il pas suffisant pour que je sois malien ? Cependant, d’autres ne savent pas tout sur mes origines. Ils se réfèrent à ma musique pour dire que je ne suis pas un Malien par ce que j’ai un style musical proche de celui du Sénégal. Mais cela ne fait pas de moi un Sénégalais. Je suis fier d’être malien et je n’oublie pas non plus mes origines sénégalaises.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur la scène musicale malienne ?

Je pense que la musique malienne se porte bien. Le Mali a toujours eu de grands musiciens qui l’ont fièrement représenté partout dans le monde, mais si je dois donner mon avis sur la musique malienne aujourd’hui, je dirai qu’elle est en train de perdre certaines valeurs. La musique est sensée, en plus de nous distraire, nous éduquer surtout. Aujourd’hui, la musique malienne est en train de perdre son côté didactique car la jeune génération n’en fait qu’un instrument de distraction. Les chansons ne contiennent généralement aucun conseil ou leçon de morale. Je crois que les jeunes artistes devraient penser à ce côté. La musique n’est pas que de l’ambiance, elle doit éduquer surtout.

Vous l’avez dit tantôt, cela fait à peu près 30 ans que vous faites de la musique, alors quel bilan faites-vous aujourd’hui de ce parcours dans un pays où il est dit que ” l’art ne nourrit pas son homme ” ?

Merci d’avoir posé cette question. Je ne suis pas du genre à me vanter ou exhiber mes biens, ma vie d’artiste sur les réseaux sociaux. Mais si je dois faire un bilan de mon parcours artistique, je dirais qu’il est satisfaisant, même très satisfaisant. Je suis fier de ce que j’ai pu accomplir en 25 ans de carrière et ce n’est pas encore terminé parce que, la musique, c’est toute ma vie. Je ferai de la musique tant que j’en serais capable. Je rends grâce à Dieu qui m’a permis de réaliser cette carrière. La musique m’a beaucoup apporté. J’ai beaucoup voyagé grâce à elle et j’ai représenté mon pays partout dans le monde grâce à elle. Il n’y a pas un continent où Alou Sam n’a pas mis les pieds. J’ai fait plusieurs pays du monde.  Grace à Dieu, je vis aujourd’hui dans ma propre maison à Yirimadjo avec ma famille. Que puis-je encore demander à Dieu, si ce n’est que de le remercier pour sa grâce ?

Qu’il en soit remercié ! Pouvez-vous nous parler de vos projets ?

Pour le moment, j’e n’ai pas vraiment des grands projets. Les choses ont été touchées par la pandémie de coronavirus. Aucun rassemblement or nous vivons des spectacles, notamment des concerts et des festivals. C’est vraiment difficile pour nous les artistes ces temps-ci.

Comme projet, je suis sur un nouveau single mais je préfère ne pas trop en parler. Il arrive bientôt et il y aura d’autres projets après cette période de pandémie dont on reparlera. Comme je vous le dis, la musique c’est ma vie donc je continuerai à chanter.

Quel sera votre mot de la fin ?

C’est d’inviter tous les Maliens à la cohésion et à l’entente. Nous sommes un grand pays. Le Mali, comme aucun autre pays, ne mérite pas ce que nous traversons aujourd’hui. J’invite tous les Maliens à s’écouter afin de trouver une issue favorable à cette situation de crise sociopolitique. Aussi, je voudrais inviter les autorités à repenser la politique de la culture au Mali. Le Mali est un pays culturellement riche et que je pense que la culture peut beaucoup apporter à notre pays si on la valorise.

        Réalisée par Youssouf KONE 

 

 

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