Décès de Ibrahima Sylla : La musique mandingue perd un illustre mécène

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La musique mandingue perd un illustre mécène
Ibrahima Sylla, vers 1999. © Vincent Fournier/J.A.

En Afrique, on ne rendra jamais assez hommage à Ibrahima Sylla, un producteur (Syllart Production, Syllart Mélodie, Africando…) historique de la musique africaine arraché à l’affection des artistes et des mélomanes, le 30 décembre 2013. Cet illustre disparu est catalogué comme l’un des pionniers de la production scénique et discographique de l’Afrique. C’est dire que la musique africaine vient de perdre l’un de ses plus grands mécènes.

 

À 59 ans, le cœur à l’œuvre et la tête pleine de projets rivalisant d’originalité, Ibrahima Sylla s’est éteint à Paris où il s’était installé au début des années 80. Producteur de musique bien connu sous le label «Syllart», il s’est définitivement éclipsé de la scène après de longues années de bataille contre le mal qui le rongeait à petit feu. Réputé dans le showbiz international comme «un découvreur de talents», ses écuries ont été un tremplin international pour beaucoup de stars qui font aujourd’hui la fierté des Africains. Au Sénégal, son pays d’origine, on peut pêle-mêle citer Ismaël Lô, Omar Pène, Baba Maal, Youssou N’Dour, Coumba Gawlo Seck, Thione Seck, Kiné Lam… Et sur le continent, «Syllart» a produit aussi la plupart des grands noms de la musique africaine révélés au cours des trente dernières années comme Alpha Blondy, Koffi Olomidé, Sékouba Bambino, Salif Kéita, Fodé Barro, Nando Da Cruz, le Cabo verde show, etc.

 

C’est une lapalissade que dire qu’Ibrahima Sylla était un fin-connaisseur de la musique africaine. Il était doté d’une extraordinaire capacité de détection de talents. Avec un catalogue incomparable de la musique africaine, Syllart était un producteur indépendant.  «Il m’a produit  au moins trois albums avant que je ne signe à Barclay en 1990. Nous avions dépassé le rapport professionnel du producteur qu’il était et de l’artiste que je suis.  Nous sommes devenus des frères et nos familles ont des liens fraternels», témoigne Ismaël Lô. Il ajoute : «Je l’ai revu récemment à Paris et je me souviens que, malgré la maladie qui le rongeait depuis des années, il envisageait toujours de nouveaux projets et voulait travailler coûte que coûte».

 

 

Pour Iso (Ismaël Lô), Ibrahima «insistait sur la qualité musicale. Il a su donner une dimension exceptionnelle à la musique africaine…». Au Mali, au-delà de nombreux artistes comme Djénéba Seck et son époux Sékou Kouyaté, Kandia Kouyaté, Abdoulaye Diabaté, le Rail Band…, Sylla a beaucoup brillé par son soutien à la musique mandingue.

 

Mandekalou ou regard sur un glorieux passé

 

Producteur passionné de musique, Sylla ne s’est donc pas contenté seulement de découvrir et de lancer de jeunes talents. Mais, il fut aussi un créateur de concepts novateurs dans la vulgarisation et la promotion de l’immense patrimoine artistique de l’Afrique, de l’Ouest notamment. C’est ainsi qu’Africando (mélange de salsa avec mélodies et rythmes connus comme le manding groove) a vu le jour au grand bonheur des salseros du continent. Que dire alors de «Mandekalou», dont le premier opus date de 2004 (Syllart-Mélodie) ? Un concept avec des virtuosités instrumentales (kora, balafon, kamalen ngoni et ngoniba) et des merveilles vocales (Bako Dagnon, Kandia Kouyaté, Kémo Kouyaté, Kassé Mady Diabaté, Sékouba Bambino Diabaté, Kerfala Kanté, Fodé Baro)  réunies pour remettre à jour les classiques du Grand Mandé Culturel comme Malisadio, Kanimba…

 

 

Dirigé de main de maître par l’emblématique Djéli Mady Tounkara, Mandekalou (Gens ou peuples du Mandé) revisite surtout l’épopée de Soundiata Kéita, légendaire fondateur de l’Empire mandingue au XIIIe siècle. Pour les historiens et économistes, l’Empire mandingue du XIIIe siècle, qui s’étendait de la Mauritanie à la Côte d’Ivoire, préfigurait déjà la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) fondée au XXe.  Et pour le regretté Ibrahima Sylla, «cet empire légendaire, symbole de la grandeur passée de l’Afrique médiévale, se doit de ne pas être oublié des jeunes générations».

 

 

«Je réalise maintenant un rêve qui me tenait à cœur pendant de longues années : rassembler toutes ces virtuosités manding. Plus qu’un regard nostalgique sur le passé, c’est un devoir de mémoire. Il ne faut pas que l’héritage artistique se perde jamais. Il faut donc donner l’opportunité à ses acteurs de le restituer pour les générations futures», nous avait dit Sylla lors d’une causerie au Studio Bogolan de Qinzambougou (Bamako) où ses stars mandingues étaient rassemblées pour la bonne cause. Comme Africando pour la salsa et Kekelé pour la rumba, Mandekalou conte «un des moments marquants de l’histoire ouest-africaine à travers des chansons traditionnelles».

 

 

Pour Malick Konaté dit Jacques (responsable de production de Mali K7 à l’époque), «c’est un bel hommage à cette épopée qui restera toujours une référence dans l’histoire de l’humanité». «En tant que Djéli (griot), on fait toujours des recherches puisqu’on doit enseigner le passé à la génération suivante. Il faut donc apprendre chaque jour un peu plus. Et Mandekalou nous a donné l’occasion de retrouver des détails oubliés de notre histoire pour les faire revivre 700 ans plus tard dans un studio d’enregistrement», témoignait à l’époque Kassé Mady Diabaté, l’une des plus belles voix masculines d’Afrique. «Les chansons sont l’histoire d’un peuple. Vous pouvez apprendre plus sur les gens en écoutant leurs chansons que de toute autre manière, car elles expriment toutes les espérances et toutes les blessures, toutes les craintes et toutes les aspirations», disait Mamadou Cherif Diabaté, conteur de l’original Ensemble National !

 

 

Ces ambassadeurs de l’art oratoire ont su donner corps à cette conviction en mariant l’héritage mandingue aux courants musicaux actuels. Et cela grâce à la clairvoyance et la passion d’Ibrahima Sylla. Sans une grande passion et le sens de la diplomatie, il n’est pas évident de persuader tant de monstres sacrés à produire des merveilles sans faire de vague. D’ailleurs la Diva Kandia Kouyaté, l’a reconnu en disant qu’il est rare que «les griots acceptent ainsi de jouer ensemble». Une façon pour elle de rendre un hommage mérité à celui qui était beaucoup plus un mécène qu’un producteur classique.  Chez lui, la portée culturelle et historique d’un album l’emportait toujours sur les bénéfices à réaliser.

 

 

«Je suis plutôt dans l’artistique que dans le financement productionnel. J’ai conseillé beaucoup d’artistes comme Youssou N’Dour, Ismaël Lo… que j’ai fait découvrir sur le plan international», rappelait-il souvent sans se départir de son légendaire humilité et de sa contagieuse jovialité. Le succès artistique et commercial de Mandekalou est à la hauteur du talent de producteur et de la passion musicale d’Ibrahima Sylla. Son décès est incontestablement une immense perte pour la musique africaine, malienne qui lui doit en partie son rayonnement international. Il a donné pour plusieurs de nos artistes une chance de s’imposer dans le showbiz international ! Sylla était un homme chaleureux que nous avons souvent côtoyé à Mali K7 lors de ses multiples séjours au Mali dans la années 2000. Très pieux et généreux, Sylla était une «bête du travail» et un très grand perfectionniste. Et fait rare dans le milieu du showbiz, il ne fumait pas et ne buvait pas. Et il ne baissait jamais les bras devant les difficultés, savait garder le calme devant n’importe quelle situation et s’en remettait toujours à Dieu.

Moussa BOLLY

Journaliste/Critique

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Ibrahima Sory Sylla : une juteuse carrière financière sacrifiée sur l’autel de la passion musicale

 

 

Fils d’un dignitaire religieux du Sénégal, Ibrahima Sory Sylla n’a pas eu un parcours aisé dans ce milieu. «J’avais 24 ans quand mon père m’a giflé et ne m’a plus parlé pendant trois ans. Je lui avais demandé de l’argent pour me lancer dans la musique», se rappelait-il dans un article que lui avait consacré le quotidien français, Libération, il y a quelques années.

 

 

Il a été formé à la finance, son père l’ayant envoyé faire gestion et droit à Tolbiac à Paris. «Ce que je retiens surtout de l’expérience, c’est qu’il faut connaître les différences culturelles africaines, les tempéraments des divers pays», expliquait-il dans le même article pour donner une clef de sa réussite comme producteur de musique. Son diplôme en poche, le jeune Ibrahima rentra à Dakar avec la ferme intention de réussir dans la musique.

 

 

C’est ainsi qu’il commence à produire, avec Francis Senghor, fils du célèbre président sénégalais de l’époque. «Je travaillais avec les musiciens sénégalais, qui m’ont fait confiance. Ma première production en 1979 est celle de l’Orchestre Baobab, groupe de salsa sénégalaise. Cela a marché. Puis, l’Etoile de Dakar avec Youssou N’Dour, Ismaël Lô… Je suis revenu à Paris en 1981 parce qu’en Afrique, la seule musique que tout le monde écoute, c’est la rumba congolaise. La plupart des artistes congolais vivent entre Kinshasa et Paris», confessait-il dans l’une de ses nombreuses interviews à la presse.  «Il avait l’œil sur toute la musique. Il a contribué à faire connaître presque toutes les têtes d’affiche de la musique africaine», souligne l’un de ses amis et compagnons d’aventure, Alain Josse ! «On lui doit aujourd’hui une éternelle reconnaissance pour les actes qu’il a posés pour la sauvegarde de la musique africaine», écrivait un confrère sénégalais au lendemain de son décès. Une reconnaissance qui se mue vite en devoir pour artistes et mélomanes !

 

 

Ibrahima Sory Sylla est né de parents guinéens en 1956 à Kaolack au Sénégal. Décédé à Paris le lundi 30 décembre 2013, des suites d’une longue maladie, il a été enterré au cimetière musulman de Yoff (Dakar) le samedi 4 janvier 2014, près de son père et de son frère aîné. Repose en paix maestro de la détection de talents, gardien du passé et producteur aux sources d’inspiration intarissables ! Ta famille et tes amis te pleureront toujours, et les artistes loueront à jamais ton ingéniosité et ta générosité !

M.B

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