Dans l’enceinte encore calme, un petit bonhomme enflamme le public. Du haut de ses 11 ans, le rappeur Ramba Junior s’offre un tour du grand stade olympique d’Ebimpé, au nord d’Abidjan. Micro en main, il reprend en playback les paroles d’une chanson qu’il a écrite en hommage au premier ministre Hamed Bakayoko, mort le 10 mars en Allemagne des suites d’un cancer : « Adieu, il est parti, Hamed oooh, Hamed oooh, mon papa, papa Hamed oooh, papa s’en va oooh. »Le tout jeune artiste est orphelin. Comme des milliers d’autres chanteurs et personnalités du show-business de Côte d’Ivoire, du continent et de la diaspora. « C’était véritablement le parrain de la culture, explique A’salfo, le leader du groupe Magic System. Il était le ministre de la culture bis : disponible, toujours présent quand on le sollicitait. Le monde artistique lui devait bien ça. » Un hommage qui a eu lieu mercredi 17 mars au soir devant près de 30 000 personnes.
Sur la scène du stade d’Ebimpé, les stars locales et internationales se sont succédé jusqu’au petit matin. Ami de longue date de « Hambak », c’est Yves Zogbo Junior, ancienne icône de la télévision ivoirienne reconvertie dans la communication gouvernementale, qui a joué les maîtres de cérémonie. Dans le bourdonnement des vuvuzelas et de la sono, il tient à montrer sur son téléphone une photo prise avec le défunt dans les années 1980. « Pour lui, la culture c’était l’exutoire de la pression politique, a-t-il confié. Une fois qu’il entrait dans le monde culturel, il relâchait tout. Il y avait deux Hambak : le méthodique politique et l’homme de culture passionné. »
Didier Bilé, chanteur et producteur ivoirien, confirme : « Même quand on était étudiants, c’était le gars qui aimait mettre l’ambiance, qui adorait le show, ça a toujours été dans son ADN. » Hamed Bakayoko avait à peine 28 ans quand il est devenu PDG de la radio Nostalgie en 1993. Homme d’affaires devenu homme politique, l’ancien premier ministre était resté un mécène. Il a été un soutien de la première heure du Festival des musiques urbaines d’Anoumabo (Femua), organisé par Magic System, et il lui arrivait d’aider financièrement des artistes.
Populaire de Kinshasa à Lagos
Ces derniers le lui rendaient bien : Hamed Bakayoko était le politicien le plus cité par les chanteurs ivoiriens. Mais sa popularité dépassait les frontières. Dans les jours qui ont suivi l’annonce de sa mort, les hommages ont afflué de tout le continent. L’ancien ministre a été particulièrement pleuré à Kinshasa, où sa passion pour la rumba congolaise et ses représentants était célèbre. « Il a lancé la carrière de nombreux artistes zaïrois, fait observer Didier Bilé. Abidjan était devenue une escale obligatoire pour eux, certains lui doivent beaucoup. »
De passage en Côte d’Ivoire en janvier pour une série de concerts, Fally Ipupa était lui aussi de la partie mercredi soir. Souvent photographié aux côtés du flamboyant ministre, qu’il appelait « le demi-dieu », le chanteur congolais lui a rendu un hommage appuyé au stade d’Ebimpé. « Je me demande encore si c’est vrai […] Le soleil ne se lève plus, au revoir mon frère », a lui aussi fredonné Koffi Olomidé, dont une chanson sortie le 15 mars est dédiée à celui qui l’invitait régulièrement à se produire dans la capitale économique ivoirienne.
La mort de « l’ami des stars » n’a non plus pas laissé indifférent à Lagos, la Mecque musicale de l’Afrique de l’Ouest. Le chanteur et producteur américano-nigérian Davido a publié sur le réseau social Instagram une copie d’un échange privé avec Hamed Bakayoko, dans lequel ce dernier lui disait l’attendre en décembre 2020 à Abidjan.
Mais si beaucoup d’artistes peuvent se prévaloir de liens forts avec « Hambak », aucune relation n’a jamais égalé celle qu’il entretenait avec DJ Arafat, le « roi du coupé-décalé », mort dans un accident de moto en août 2019. Des liens quasi fusionnels unissaient les deux hommes, tous deux issus de familles et de quartiers modestes et considérés comme des « fils du peuple ». « Hambak » protégeait celui qu’il appelait son « fils » de ses excès, lui épargnant sans doute à plusieurs reprises la prison. Bandanas noirs, pantalons déchirés, drapeaux rouges… Dans les tribunes mercredi soir, « la Chine », comme DJ Arafat appelait ses fans, était présente en nombre.
« Personne en Côte d’Ivoire n’a autant soutenu la musique que lui, estime Didier Bilé. Et ce qui faisait sa force, c’est qu’il le faisait de manière transpartisane, sans sectarisme ni tribalisme. » Ces derniers jours, les reggaemen Alpha Blondy et Tiken Jah Fakoly, comme les zougloumen Yodé et Siro, qui ont tous eu maille à partir avec les autorités, ont eux aussi rendu hommage à celui qui savait les défendre. Réputé proche des jeunes, Hamed Bakayoko « ne mettait pas d’écart entre la politique et la société, c’était lui le pont », développe Siro : « Quand un ministre vient à ton concert, tu es honoré, mais quand tu le vois danser, c’est plus que tout. »