«Beautiful africa» de Rokia Traoré : Une indépendance mature qui force l’estime

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Les 17, 18 et 19 avril 2013, Rokia Traoré était sur scène sur la Seine. Une salle de 400 places entièrement vendues sur l’eau pour 3 concerts événements. Un choix de la proximité pour la présentation sur scène de «Beautiful Africa» ou «Belle Afrique» (East West et Nonesuch), son nouvel et 5e album sorti en début du mois. Pour les critiques, il s’agissait surtout d’un «petit bain» intime avant les «grands bains» festivaliers et surtout avant d’entreprendre une tournée européenne qui ne concernera pas moins de 18 pays et les festivals majeurs du printemps et de l’été avec plus d’une trentaine de dates déjà confirmées.

Rokia Traoré
Rokia Traoré

Il est clair que Rokia marque un grand coup avec cet opus très bien accueilli par les critiques. Lumineux, énergique… ! Les qualificatifs ne manquent pas pour apprécier Beautiful Africa, le nouvel album de Rokia Traoré. Un opus signé par John Parish et disponible depuis le 1er  avril 2013. Enregistré à Bristol, Beautiful Africa confirme l’immense talent de Rokia Traoré. En tout cas, les critiques du milieu ne tarissent pas d’éloges sur cette œuvre. «L’album de la Malienne Rokia Traoré sonne comme une déclaration d’indépendance», peut-on lire sur lesinrocks.com, un site spécialisé. Pour un autre confrère «c’est le cinquième jalon discographique d’une trajectoire unique en son genre, tracée sous le double signe de l’exigence et du plaisir».

Indépendance, exigence, plaisir ! Peut-on autrement définir la personnalité de Rokia Traoré, la Rossignole du Bélédougou ? Difficilement pour qui sait que la liberté est fondamentale dans sa vie et dans son travail. Et elle a vite compris que «l’indépendance d’esprit ne se gagne pas que par des combats et des revendications. Elle s’acquiert aussi au jour le jour, par la compréhension intime de soi comme par l’attention portée à autrui et au monde extérieur ; elle s’apprend et se raffine au fil du temps, tel un métier qui exigerait patience et application».  C’est ce long mais sûr travail d’affranchissement de soi et de toutes les influences, de libération de la parole, des pensées et des désirs, que reflète et raconte Beautiful Africa. Mêlant un noyau musical malien (Mamah Diabaté au ngoni, Fatim Kouyaté et Bintou Soumbounou aux chœurs), un contingent d’instrumentistes européens (le contrebassiste danois Nicolai Munch-Hansen, le guitariste italien Stefano Pilia, le batteur anglais Seb Rochford) et un beatboxer australien (Jason Singh), le résultat de leur association est «confondant de musicalité».

Une initiative audacieuse, une œuvre atypique

Rokia aime surprendre en sondant des profondeurs pour proposer des mélodies originales, exceptionnelles. Cet opus ne déroge pas à cette passion de surprendre pour mieux séduire. Et même s’il surprend, le choix du réalisateur de l’opus n’est pas fortuit. «J’ai choisi John Parish parce qu’il travaille sur l’essentiel, ni trop ni pas assez. Mon album précédent était centré sur la guitare électrique. Après, j’ai eu envie de travailler avec quelqu’un qui a une culture de rock anglais, qui ne vienne pas de la musique africaine. Même chose pour les musiciens : à part les choristes et le joueur de ngoni, ils ne sont pas africains. Je voulais des gens qui soient là pour ma musique, sans a priori», explique Rokia qui séjourne fréquemment à Bamako pour ses projets dans le pays. «Je souhaitais sortir du son africain habituel, avec par exemple la batterie afrobeat qui s’impose partout», ajoute la chanteuse-guitariste. Et le résultat étonne et séduit car, commente un confrère : «La voix frémit sur un fil tendu entre orages électriques et accalmies acoustiques, dans un bel équilibre entre tradition et climat rock».

Cerise sur le gâteau, Beautiful Africa a été ajouté au dernier instant. Finalement, il a influencé le concept au point de donner son nom à l’album. Chanté en bambara, français et anglais, le texte est né de la détresse ressentie devant la situation de guerre, notamment de l’occupation du nord-Mali par des bandits armés et des jihadistes.  «J’ai écrit sous l’effet de la douleur, justifie Rokia. Je ne me considère pas comme une artiste engagée. Je ne veux pas bâtir ma carrière sur la souffrance de mes compatriotes», raconte-t-elle. Et pourtant, ces circonstances dramatiques lui ont inspiré sans doute une chanson de combat, d’espoir et riche en émotion.  Beautiful Africa, n’a pourtant rien d’une carte postale naïve car, Rokia, y évoque aussi les grands échecs politiques du continent noir sur fond de conflits postélectoraux, notamment en Côte d’Ivoire, au Congo, etc. C’est un chant de guerre donc, une fois n’est pas coutume, un titre engagé dans lequel elle dit «le grand Mali chavire accablé/Le flot de mes larmes s’emballe/Ardente est ma peine…». Peine et désespoir de voir une légendaire terre d’hospitalité et de tolérance sombrée dans l’extrémisme religieux au nord, et dans la mégalomanie au sud. C’est donc naturellement que Rokia a apporté son soutien à l’intervention militaire française lancée en janvier dernier et qui tire vers sa fin avec déjà le retrait de certains éléments et de quelques avions de combat. «C’est bien plus que le sort d’un seul pays qui s’est joué avec cette opération. Je suis convaincue qu’une Africaine progressiste et libre comme moi n’avait pas sa place dans le Mali qui se dessinait», affirme-t-elle.

Un attachement inconditionnel à ses racines

Installée à Amiens (France) depuis les années 90, la jeune star est néanmoins très attachée à son pays, à ses racines. Depuis quatre ans, elle y mène ses projets contre vents et marées, notamment la construction d’un studio-salle de concerts. Elle est déterminée à être une actrice influente de ce nouveau Mali attendu par tous. D’ailleurs, Rokia évoque le futur de sa patrie dans «Sarama», un hommage au charme et à la puissance des femmes de Bamako, de son pays. «On oublie souvent à quel point les femmes sont victimes d’une guerre, à travers les viols notamment, avant même d’être adultes. L’urgence, c’est de protéger les petites filles contre les abus, convaincre les parents de les scolariser et de les former. La reconstruction de mon pays passera forcément par l’éducation et la culture», plaide-t-elle chaque fois que l’opportunité lui est donnée de parler du Mali. Depuis, la chanteuse s’est imposée au monde comme une grande voix d’Afrique et une musicienne indépendante, donc libre de ses choix artistiques, de ses projets, de sa parole. Cette liberté, on la retrouve dans plusieurs titres du nouvel opus. Ainsi, dans Lalla (Peut-être), elle souligne que «dans notre petite existence d’homme, nul concept n’est absolu, nul précepte n’est figé. N’y aurait-il pas une évidence à accepter ? La certitude est relative et l’humilité adoucit les convictions».  Dans Kouma (La Parole), l’artiste dit se «méfier de ce regard qui m’épie, ce sourire intéressé, ces mots scrutateurs, les propos sournois… La parole est une braise ardente qui s’adoucit dans la bouche de l’érudit, brûle la langue de l’inculte, s’enflamme dans les mains de l’imprudent…».

Aujourd’hui, Rokia est plus que jamais libre. Indépendante des critiques des proches médisants et du silence hypocrite des faux amis à qui elle rappelle : «Ton opinion m’importe peu car ma voie est tout tracée… Ma volonté est précise… Mon choix vient du cœur et jusqu’au bout je l’assumerai… Ma détermination est grande, mon but m’apparaît clair, sans artifice ni malice» (Sikey).  Par contre, le regard des vrais amis sur ses «choix et principes» est «le plus beau cadeau» qu’ils puissent lui offrir (N’Teri, l’ami). Cet album est aussi un bel hommage à la Femme (Sarama), aux Maliennes comme Rokia qui assument leur indépendance et dont «l’élégance éblouit» et le «charme enchante». Dans cette belle poésie, Rokia souligne : «La femme d’Afrique enchante mes révérences. La féminité est un art, la maternité est une œuvre. Sont nombreuses celles qui en parlent. Mais, peu en ont la maîtrise… A la source de tout grand homme, règne une grande femme…». Le clip de la chanson Mélancolie est, quant à lui, à la fois «intriguant, sensuel et très personnel». La jeune ambassadrice de la musique malienne y décrit «cette intime alternance de bonheur et d’amertume qui teinte sa vie et sa solitude au quotidien».

Beautiful Africa est donc incontestablement l’œuvre de la maturité. Un opus dans lequel Rokia exprime en toute liberté son expérience de la musique et de la vie. Sans doute ce qui séduit le plus les critiques sur des sites comme Espace.mu (un site culturel),  pour qui la jeune star est «la seule, parmi les vedettes africaines, qui paraisse ainsi, à la fois fragile et forte, vulnérable et farouche». En effet, issue de la noblesse mandingue et fille de diplomate, la gracieuse Rokia Traoré n’était pas censée faire carrière dans la musique. Mais son talent a défié la tradition, forcé l’admiration de tous et forgé le respect du showbiz mondial !

Moussa BOLLY

Journaliste/Critique

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1 commentaire

  1. Qu’elle voix! quel style! quel conviction! Rokia ou la fierté d’être ce que l’on est! I like you!

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