Bassékou Kouyaté, le maitre du Ngoni : Mon projet d'orchestre de ngonis va révolutionner ce luth traditionnel africain

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De passage à Paris en direction de l’Allemagne où il doit faire une tournée, Bassékou Kouyaté a accordé une interview à nos confrères de la section musique de RFI. Nous vous proposons l’intégralité de cette interview. Remarquons qu’à chaque fois qu’il se produit sur scène avec son groupe de ngonis, le héros, récompensé à plusieurs reprises pour son album Segu Blue, le Malien Bassekou Kouyate a visiblement fait mouche depuis qu’il a mis en place son. Une démarche davantage affirmée à travers son second album " I Speak Fula ".

Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de monter une formation axée autour du ngoni ?

Bassekou Kouyate : le Ngoni est un très vieil instrument de griot mais nos parents n’ont pas essayé de le valoriser, de le faire connaître sur le plan international. Les jeunes le délaissent. Moi, comme j’ai beaucoup voyagé, beaucoup tourné, j’ai eu l’idée de former un orchestre de ngonis, avec en plus une calebasse et une petite yabara (ndlr : percussion en forme de gourde) à la place de la grosse caisse et du charleston de la batterie. J’ai donc créé un ngoni basse à la place de la guitare basse, car cela n’existait pas chez nous. J’ai fait un ngoni medium et j’ai cherché un son de ngoni solo. Le quatrième ngoni, c’est un peu pour renforcer la basse et le medium.

 Pourquoi avoir attendu si longtemps pour concrétiser cette initiative, alors que vous avez débuté votre carrière de musiciens il y a plusieurs décennies ?

Ce n’est pas facile de démarrer une carrière solo, j’ai préféré avancer petit à petit. J’ai commencé d’abord avec ma mère, Yagaré Damba. Mon père, grand joueur de ngoni, était malade à ce moment-là. Après, je me suis installé à Bamako et j’ai accompagné toutes les cantatrices maliennes. Avec le joueur de kora Toumani Diabaté, on a fait neuf CDs ensemble. La première fois que je suis allé en Europe, c’était avec Toumani et Habib Koité. On avait un groupe, tous les trois. J’ai travaillé avec Taj Mahal, Dee Dee Bridgewater, Damon Albarn, Youssou N’Dour, Ali Farka Touré… C’est à la mort d’Ali que j’ai décidé de former un orchestre de n’gonis.

En quoi a-t-elle été un déclic dans votre démarche ?

Quand je venais chez lui, il prenait toujours ma main et me disait que c’était comme du diamant noir. Il me demandait ce que je t’attendais pour faire quelque chose pour moi. Il me disait que je ne pouvais pas passer ma vie à accompagner les autres, qu’il fallait que le monde me découvre. Ali était un vieux qui avait un bon cœur avec nous, les jeunes. Un jour, alors que j’étais dans ma voiture en train d’arriver à la maison, le téléphone a sonné. C’était Nick Gold, le producteur d’Ali Farka Touré. Il était à Bamako et me disait qu’Ali avait besoin de moi le lendemain matin, à dix heures au studio Bogolan. Je suis venu avec mon ngoni. Ali était content, il m’a dit de m’asseoir et a fait installer un microphone. Il a pris sa guitare, et au bout de deux minutes, il a di : "On enregistre". Deux minutes de répétition et on a fait l’album Savane !

On connaît la légende du balafon qui remonte à l’époque glorieuse de l’empire mandingue, mais quelle est l’histoire mythique du ngoni ?

Elle n’est pas écrite, c’est seulement d’après ce qu’ont dit nos parents. Voilà l’histoire : un de mes aïeuls se trouvait à côté du fleuve Niger. Il y avait là une fille qui était assise en train de jouer du ngoni. Quand elle a arrêté de jouer, il a applaudi et lui a dit que c’était un très bel instrument avec un bon son. Comme il aimait le ngoni, elle lui a donné en ajoutant qu s’il savait le maîtriser, il pourrait gagner sa vie avec, et ses enfants et petits-enfants aussi. Dès qu’il a commencé à jouer, la femme a disparu. A l’époque de l’empire Ghana – les Blancs n’étaient pas encore arrivés en Afrique – on jouait déjà du ngoni pour le roi Djabé Cissé. La kora et le balafon sont arrivés après. Nos ancêtres l’ont gardé pour la musique royale. Pour écouter, il fallait être roi, ou grand guerrier.

On raconte aussi que vous avez modernisé la pratique du ngoni en le jouant debout, alors que la tradition voulait qu’on soit assis. Est-ce exact ?

Vers 1980, la cantatrice Naïny Diabaté voulait faire une émission à la télévision malienne et elle nous avait invités, les musiciens du Rail Band, pour qu’on l’accompagne. Tous les guitaristes, comme Djelimady Tounkara, étaient devant avec leur instrument en bretelle. J’étais le seul assis derrière. Alors j’ai cherché deux punaises que j’ai mises aux bouts du ngoni et j’ai déchiré une chambre à air pour l’accrocher. Quand les autres m’ont demandé ce que je faisais, je leur ai dit que je voulais faire la même chose qu’eux. Et depuis, tout le monde s’est mis debout avec le n’goni !

Vous avez été récemment décoré par le Président de la République malienne, qu’est-ce que cela représente pour vous ?

 

Etre cheva

lier de l’Ordre National du Mali, ce n’est pas rien. Ça donne une responsabilité car on représente notre pays partout comme des ambassadeurs : quand on fait quelque chose, c’est un peu comme si c’est le Mali qui l’avait fait. Comme mon premier album Segu Blue m’a permis de recevoir deux BBC Awards, dont celui de meilleur artiste africain en 2008, les jeunes de mon pays ont vu qu’on pouvait faire quelque chose avec le ngoni au lieu de prendre la guitare. C’est très important pour moi. Comme si j’avais sauvé un instrument.     

 

 Source RFI


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