Bassekou Kouyaté, bluesman enragé Nouvel album, Jama Ko

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Dans Jama Ko, “l’entente” enregistré en plein coup d’Etat, le Malien Bassekou Kouyaté branche une pédale wah-wah à son ngoni et livre un troisième album électrique. Certains disques naissent dans des contextes si particuliers que leur son traduit l’atmosphère ambiante, de l’état d’âme des musiciens jusqu’aux rumeurs de la ville qui les a vus naître. Comme une photo d’archive, dont le cadrage interrogerait autant que le hors-champ. Jama Ko, troisième album du Malien Bassekou Kouyaté fait partie de ces projets, dont on sait qu’il sera exceptionnel, de fait, tant il est traversé par une énergie unique.

Coup du sort

Pour comprendre, il faut d’abord raconter cette journée folle, qui restera dans les livres d’histoire comme le jour où le Mali a basculé. Exactement un an plus tard, au téléphone de Bamako, Bassekou Kouyaté détaille la joie qu’il avait à rentrer en studio, ce 21 mars 2012. De plus en plus remarqué sur la scène internationale, il accueillait pour l’occasion Howard Bilerman (Arcade Fire, Godspeed), ingénieur du son canadien dont c’était le premier voyage en Afrique, des journalistes, un photographe. À 14 heures, l’enregistrement commence, en famille avec Amy Sacko, sa femme au micro, Madou et Mustafa, deux de leurs fils au ngoni, le violoniste Zoumana Tereta et les membres habituels de sa formation Ngoni Ba. Deux heures plus tard, les coups de feu résonnent dans la ville, des mutins prennent le contrôle de l’ORTM. Un vent de panique souffle sur Bamako, les coups de feu s’échangent à balles réelles et l’image d’une Bamako sereine, accueillante et sûre vole en éclats. «Je pensais au départ que c’était faux. Pour moi le Mali était un pays démocratique ! Jusqu’à ce que le photographe qui était en ville m’appelle complètement paniqué pour qu’on vienne le chercher…», se souvient Bassekou. L’aéroport est fermé, aucun avion ne peut décoller. «Dans ces conditions, j’ai simplement dit aux invités, ‘nous sommes là pour la musique, la politique, c’est autre chose’. J’ai pris sur moi, fait comme si tout allait bien. Mais au fond, j’étais très touché». Alors malgré les coupures de courant, l’inquiétude grandissante, le manque d’informations, l’enregistrement se poursuit, entre le studio Bogolan et la maison de Bassekou Kouyaté. L’album finira d’être mixé à Montréal. Au final, les treize morceaux irrigués par la grande tradition griotique dont Bassekou Kouyaté est l’un des fiers représentants, sont furieusement campés dans le présent. Ce sont des compositions ou des morceaux traditionnels, dont l’histoire prend un sens particulier dans le contexte de crise : Sinaly est un chant d’hommage à Sinaly Diarra, un roi de Ségou au XIXe siècle, résistant à l’islamisation, dont le courage donna lieu à de nombreuses louanges. Segu Jajiri rappelle l’histoire d’un guerrier de Ségou, musulman et buveur occasionnel de bière traditionnelle de millet. Dans Kele Magni, Amy Sacko appelle à la paix en duo avec la diva de Tombouctou Khaïra Arby et dans Jama Ko, elle chante l’unité entre chrétiens, musulmans, animistes, plus largement «un Mali un et indivisible», slogan cher à Bassekou Kouyaté.

Electrique

Sur la plupart des morceaux, le ngoni est branché sur une pédale wah-wah et le son presque distordu, parfois jusqu’à saturation : «c’est moi qui en ai eu l’idée, car les enfants d’aujourd’hui aiment la guitare électrique. Et j’aimerais faire la promotion de cet instrument jusqu’à ce qu’il y ait autant de joueurs de ngoni que de guitaristes dans le monde”. Difficile de ne pas y entendre aussi une tension qui parcourt la musique de l’affable Bassekou Kouyaté, “sur le morceau Ne me fatigue pas, j’étais fâché à l’intérieur, oui” concède-t-il.

 

Le maître et ses ngonis

Le blues, lointain cousin d’Amérique

L’Afrique de Damon Albarn

La seconde moitié du disque donne à entendre un Mali plus apaisé, mais la crise politique malienne affleure toujours… Amy Sacko chante les louanges de l’ancien président Amadou Toumani Touré, dont Bassekou Kouyaté était proche, ainsi que d’autres personnalités qui ont matériellement soutenu la carrière du rénovateur du ngoni. Depuis le coup d’Etat, le gouvernement de transition s’est-il adressé aux artistes ? «Ils ont stoppé la musique», répond sobrement Bassekou Kouyaté. En effet, depuis l’instauration de l’état d’urgence mis en place mi-janvier dernier, la capitale malienne joue en sourdine.

Tout juste de retour d’Australie et avec plus de cent concerts internationaux cette année, Bassekou n’est évidemment pas directement concerné par ce coup d’arrêt … Mais nombre de ses proches amis, oui. Et en artiste reconnu, il se doit donc de les aider, pour que les musiciens maliens survivent à la crise. Dans l’avant-dernier morceau de Jama Ko, l’Américain Taj Mahal chante en français “Vous avez le blues ? Oh, alors jouez bien, jouez encore”. Alors, pourquoi et comment la musique, quand dehors tout s’effondre ? Pour sublimer la confusion, répond avec son ngoni Bassekou Kouyaté. De préférence avec un blues enragé.

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