Avant Brice Hortefeux, avant même Nicolas Sarkozy et leurs nombreuses doublures, la France a à l’égard des émigrés des comportements qui jurent avec sa prétention de « terre d’asile ». Nos compatriotes y ont souvent été plus maltraités que d’autres immigrés. Petit rappel de faits remontant à plus de quinze ans.
On se souvient que c’est le 22 septembre 1994, jour anniversaire de notre indépendance, que les autorités françaises de l’époque ont choisi pour expulser 10 Maliens en situation irrégulière. Mais au-delà de toutes les humiliations, des initiatives se sont multipliées pour aider au retour et à la réinsertion dans leurs pays d’origine ceux des immigrés qui le désiraient.
le 22 septembre 1994, donc, dix Maliens ont été expulsés de France, manu militari, menottes aux poings. Aujourd’hui encore, ces expulsions nous rappellent aussi tristement les charters des 101 Maliens de Charles Pasqua en 1986. Il est tout de même curieux que ces méthodes d’un autre âge existent encore au pays de la Déclaration des Droits de l’Homme en « France, terre d’asile », comme on le voit souvent.
De fait, il est un constat établi depuis un certain temps, à savoir que dans ce pays les Maliens sont les plus maltraités parmi les immigrés sans qu’on sache pourquoi. Cependant, quelques indices permettent de croire que c’est le trafic organisé autour du passeport malien qui est source de cette situation. A cet effet, on se rappelle, il y a vingt ans, les affaires des ambassades du Mali et du Zaïre où de simples conseillers vendaient les passeports à des ressortissants étrangers à l’insu de leurs supérieurs hiérarchiques. Ici, maintenant à Bamako, n’importe quel étranger peut facilement se procurer un passeport malien en graissant la patte à des policiers corrompus jusqu’aux os. Il n’y a qu’à tester pour s’en convaincre. Il s’ensuit que les trafiquants de drogues ou des criminels tout court, pour échapper à la juridiction de leurs pays ou pour tout simplement commettre des forfaits ailleurs, se glissent tranquillement dans la peau d’un Malien, et le tour est joué ! Le plus souvent, ces crapules d’un autre âge ne comprennent pas un traître mot d’une langue malienne. Pour la petite histoire, on les recrute plutôt chez des ressortissants non francophones. Justement, les policiers français, qui ne sont pas nés de la dernière pluie, sont au courant de cet immense trafic. Ils en informent l’administration de l’intérieur et le ministère de la justice qui, fort de ces présomptions, font peu du cas des Maliens en situation irrégulière. Les vrais Maliens en sont eux – mêmes écoeurés.
Les raisons de ces trafics
Pris en situation irrégulière, les « Maliens » étaient traqués jusque dans les locaux de l’ambassade à Paris, menottes aux poings. Là, on faisait le tri entre les faux et les vrais Maliens parce que tous sont détenteurs des visas maliens. C’est sur l’insistance de certaines associations maliennes en France que ces « irréguliers » ne portaient plus de menottes dans l’enceinte de l’ambassade considérée comme une partie intégrante du territoire malien. Pour établir la balance ou, au moins rendre un semblant de justice afin d’atténuer les frustrations des Maliens, la Transition a établi, en 1991, la réciprocité, c’est- à -dire le visa d’entrée obligatoire pour tous les Français désirant se rendre au Mali. On sait ce qu’il en est, car de réciprocité, il n’y en a point. Pour avoir un visa d’entrée en France, un Malien doit se lever tôt. A ce sujet, les mesquineries au consulat de France au Mali sont légendaires bien que, pour être honnête, des efforts louables dans le sens du respect de nos concitoyens ont été faits, tandis que, de l’autre côté de l’ambassade du Mali à Paris, c’est de l’eau à boire pour un Français que d’obtenir son visa. S’il est malaisé, en l’absence de statistiques, de se faire une idée du nombre de Français résident au Mali, on estime actuellement à des dizaines de milliers le nombre de Maliens vivant dans l’Hexagone. Ce chiffre excluant, évidemment, ceux qui ne sont pas en situation régulière. A l’humiliation des expulsions s’ajoute, pour les Maliens en particulier, l’effet psychologique des campagnes électorales, celles menées principalement par Jean Marie Le Pen, leader du front national (dont le flambeau est aujourd’hui par sa fille Maryline) le plus racistes des Français pour qui ces « indésirables » sont la cause du chômage en France. Par exemple, le 16 mars 1984 à Baladart, lors de la quatrième fête de son parti, Jean Marie Le Pen déclarait : « Le phénomène de l’immigration continue de faire peser sur l’avenir de notre pays une menace mortelle, dans la mesure où il serait un foyer potentiel de soulèvement et de terrorisme qui ne sera jugulé sinon au prix de torrents de sang ».
En réalité, le débat sur l’immigration a beaucoup évolué ces dernières années. Actuellement, il s’articule autour de trois axes : l’immigration des immigrés en situation irrégulière, le renvoi des clandestins et la dissuasion des aspirants. Même un Charles Pasqua, l’homme du charter des 101 Maliens, reconnaissait dans un article paru dans « le Monde » le 2 juin 1993 « qu’on peut prendre toutes les décisions administratives possibles, on ne résoudra le problème de l’immigration, de l’Est comme au Sud, que par le développement des pays d’origine ». Mieux, il poursuivait : «Actuellement, on cumule tous les risques : la poussée démographique et l’effondrement des ressources chez eux pendant que chez nous on sclérose des terres fertiles. Tout cela risque de se payer un jour ». Dans cette déclaration, intervenue au moment de la promulgation des mesures les plus contraignantes sur l’immigration. (Adoption des « lois Pasqua »), un ministre français en exercice proposait ouvertement de lier la maîtrise de l’immigration à la problématique du développement. Il avait pourtant été précédé sur ce terrain deux ans plus tôt par le Président Abdou Diouf qui, dans un interview accordée à « Antenne2 » le 15 juin 1991, craignait que la jeunesse africaine très nombreuse soit forcée, si elle ne trouvait pas de travail sur le continent « d’essayer d’en trouver ailleurs, de franchir les mers et, alors, aucune législation, aucune police ne pourra arrêter cette vague qui va déferler ». Le même Président Diouf de réclamer un « plan Marshal » pour l’Afrique afin de sortir le continent de la pauvreté et d’enrayer l’immigration. « La vraie immigration, disait il, c’est la pauvreté. De la même manière que je lutte contre l’exode rural qui pousse les paysans vers Dakar, il faut lutter à l’échelon mondial. Vous êtes le centre et nous sommes la périphérie ». Ce « plan Marshal » consisterait, selon le directeur de l’hebdomadaire Jeune Afrique (à l’époque Béchir Ben Yahmed), que l’Europe des douze consacre 1% de son PNB (soit 70 milliards de dollars au moins à l’époque) aux Etats africains pour aider à leur développement et au contrôle des flux migratoires sud – nord. Mais, quarante années au moins de coopération en développement avec les mêmes pouvoirs africains ont cependant donné des résultats exactement inverses, à savoir de plus en plus de candidats au départ vers le Nord.
Révolution des mentalités.
Malgré les tentatives politiques de combiner le « moins d’immigration au plus de coopération », il convient de noter qu’en France, le débat est encore souvent mené en termes de séparation. Les immigrés, ici, relèvent d’une politique d’intégration pilotée par le ministre français des affaires sociales sous l’œil du gendarme du ministère de l’intérieur. Leur action de développement en direction de leurs pays d’origine n’est pas prise en compte par la politique du ministre de la coopération qui, on le voit, traite soit avec les Etats, soit avec les organisations de solidarité (O.I.S). Une telle perception interdit d’intégrer les actions de développement initiées par les immigrés en direction de leurs villages d’origine, sauf par OSI interposée. L’idée de fond qui sous – entend cette vision est que l’existence de liens des immigrés avec leurs pays d’origine est contradictoire avec leur intégration dans la société d’accueil. A ce niveau, une révolution des mentalités est donc nécessaire. Mais cette révolution des mentalités doit d’abord se faire chez les immigrés eux – mêmes qui doivent comprendre que quel que soit leur statut social en France, ils ne doivent pas rompre tout lien ombilical avec la mère patrie. Car, ne dit- on pas que le bois à beau s’éterniser dans l’eau, il ne sera jamais caïman ? Certains d’entre eux, en tout cas, n’ont jamais perdu de vue une telle philosophie. Les chiffres de l’immigration malienne l’attestent éloquemment. On les prendra selon toutes les époques que l’on comptera des dizaines d’associations de développement enregistrées à l’ambassade du Mali à Paris. On considère que ces chiffres sont, tout compte bien fait, en deçà de la réalité. En 1993, la seule BIAO (BIM aujourd’hui) enregistrait un transfert de fond de 75 milliards de FCFA pour le compte des immigrés maliens. A cette somme colossale, il convient d’ajouter les transferts effectués dans les autres banques de la place. A la même période, 560 Maliens avaient regagné le pays dans le cadre du programme d’aide au retour. Les Maliens ne constituaient pourtant à cette époque que 0,9% des étrangers vivant en France, soient 3 millions d’individus dont 19% d’Africains. Cependant, en 1990, 40 000 Maliens ont encore demandé un visa d’entrée en France, principalement pour des raisons de regroupement familial. Le nombre croissant des associations de développement et l’importance des flux financiers en direction des pays d’origine ont abouti à la multiplication des initiatives pour le retour et l’insertion des immigrés.
C’est ainsi qu’en décembre 1987 a eu lieu la signature d’un accord entre le Mali pour le retour à la réinsertion des immigrés. En septembre 1991, un séminaire fut organisé à Kayes sur la réinsertion et le développement. Fin de la même année, avant que les mesures visant à l’expulsion des « invités à quitter le territoire français avant d’entrer en situation irrégulière » ne soient appliquées, le Mali a été le seul pays à mettre sur pied des dispositifs d’accueil. Enfin, en 1994 ou début 1995 devraient être ouvertes à Kayes une antenne de l’Office des Migrations Internationales (OMI) et une mission d’assistance technique par le ministère français de la coopération chargée uniquement du problème des immigrés. Le chemin parcouru depuis doit être aujourd’hui mesuré par chacun.
Des Maliens avaient été déjà intéressés par cette assistance qui devait porter sur toutes les formes d’activités et qui concerne le financement du projet des immigrés qui voudront retourner au pays.
Force dont le pays a besoin
Quelle que soit la solution choisie, il est évident que les immigrés constituent une force dont le pays a besoin. Un ancien ambassadeur du Mali en France, Moussa Makan Camara, ne s’y était pas trompé, qui insistait quant à lui sur l’importance des associations de Maliens à l’extérieur pour notre pays : « Au moment où nous assistons à un investissement généralisé dans les pays du Tiers- Monde, en Afrique plus particulièrement et dans les pays du Sahel plus singulièrement, le Mali doit compter sur les prêts de quatre millions d’âmes à l’extérieur de ses frontières pour s’engager financièrement ».
En effet, depuis la révolution démocratique de mars 1991, le gouvernement a fourni beaucoup d’efforts dans ce sens. Non seulement il suit de près les initiatives des Maliens de l’extérieur (création du Haut Conseil des Maliens de l’extérieur, notamment), mais aussi la constitution de 1991 prévoit à l’Assemblée nationale treize sièges pour les immigrés. Justement, le Président du haut Conseil des Maliens de l’extérieur, Abdrahamane Chérif Haïdara à cette époque-là, avait agi pour la création d’une banque des Maliens de l’extérieur chargée de canaliser les transferts financiers de ces derniers au profit de la construction nationale. Une initiative heureuse qui montre, en tout cas, qu’au-delà de toutes les humiliations subies à l’étranger, les immigrés demeurent avant tout des patriotes convaincus mais surtout de vrais agents de développement. Mais qu’en est – il aujourd’hui ?
(Correspondance particulière)