Depuis leur avènement, une volonté d’accélération de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger à travers habite les autorités de la Transition. Cette volonté s’est traduite par une « feuille de route actualisée des actions prioritaires » allant de décembre 2020 à Août 2022 dont le point d’orgue a été la signature et la publication de l’arrêté ci-dessous cité. Mais, visiblement, cette volonté, ou en tout cas, les mesures préconisées, ne sont pas du goût de tout le monde à l’image du Collectif «Songhay Chaawara Batoo» qui regroupe les populations sédentaires Songhoi du Nord. Soucieux du devenir des communautés des régions du Nord du Mali, «Songhay Chaawara Batoo» regroupant en son sein plusieurs associations du Nord et de l’Est comme de tout le reste du pays, juge insoutenable et injuste l’application de l’Article 5 de l’Accord pour la paix et les textes pris (sans concertation) par l’Etat pour mettre en œuvre ces clauses de l’Accord. Ce collectif qui soupçonne l’Etat de vouloir fabriquer une majorité territoriale, administrative et politique pour une minorité ethnique, au détriment des populations sédentaires de culture songhay démographiquement majoritaires a décidé de s’opposer par les moyens appropriés à la décision jusqu’à ce que réparation soit faite pour les communautés ainsi marginalisées.
C’est ce qui ressort de la Lettre Ouverte que ledit collectif vient d’adresser au Président de la transition Bah N’DAW, en date du 15 février 2021.
Lettre ouverte au président de la transition du Mali
Appel pour un redécoupage territorial plus juste et plus équitable des régions du Nord
Monsieur le Président de la Transition,
Le Mali est une nation multiséculaire, riche de sa culture et de sa diversité.
Dans ces régions du Nord, on y rencontre des populations de cultures diverses, des Sonrhaïs, Arabes, Touaregs, Bellahs, Peulhs, Bozos, Bambaras, Soninké, Dogons, mossi.
L’évolution historique, culturelle et démographique sur la même aire géographique a créé un brassage des populations, au point de créer et d’entretenir un sentiment d’appartenance à une même nation.
Hélas, ce qui devait constituer un avantage au bénéfice du vivre ensemble, n’a pas pu éviter à notre pays, le Mali, de connaitre des crises identitaires provoquées par une partie des citoyens de cet espace ; crises, souvent violentes et à caractère inter et intra-communautaire. A chaque fois, elles furent contenues grâce aux vertus du dialogue.
Après celles de 1968, 1990, 2006, 2007, depuis 2012, une crise multidimensionnelle sécuritaire et identitaire de plus forte ampleur, a mis à mal l’indivisibilité du pays. L’intégrité du territoire national a été sérieusement menacée et l’est encore. La cohésion sociale et le vivre ensemble en ont pris un coup dur. Comme jamais au paravent des communautés se regardent désormais en face à face, lorsque certains individus ressortissants de ces communautés ne se sont pas organisés en groupes armés pour se livrer à des attaques armées, l’une contre l’autre.
C’est dire combien les populations sédentaires du Nord dans toute leur diversité ethnique, ont souffert. Elles ont souvent donné de leur vie face aux menaces de tout genre (terrorisme, tueries de masse des populations, assassinats ciblés, chômage des jeunes, pillage des villages, écoles fermées sous la menace quasi permanente des djihadistes, des bandits armés).
Malheureusement, comme lors des crises précédentes, la réponse de l’Etat malien consistant à céder le territoire aux groupes armés qui le combattent, marginalise les communautés sédentaires de culture songhay. L’arrêté N°2020_3388/MATD-SG du 31 décembre 2020 portant nomination des membres du Conseil Consultatif de la Zone de développement du Nord, est l’épilogue de la fuite en avant dans lequel s’est engagé l’Etat.
Dans la situation actuelle du découpage territorial de la partie Nord du pays et dans la perspective de la régionalisation poussée, les populations sédentaires bien que majoritaires démographiquement, se retrouvent contre toute logique, face à des mesures visant à fabriquer une majorité territoriale, administrative et politique pour une minorité ethnique, comme c’est le cas actuellement avec la nomination des membres du Conseil Consultatif de la ZODERN par le gouvernement de la république du Mali. Pourtant, il est évident que cette décentralisation qui vise à transférer des compétences aux Collectivités Territoriales afin que les affaires locales soient gérées au plus près des populations, ne devait nullement aboutir à un arrangement institutionnel qui favoriserait une partie identifiée des communautés par rapport à une autre.
Les faits qui parlent d’eux-mêmes :
En effet, nous assistons depuis un certain temps, à une volonté d’accélération de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger à travers une « feuille de route actualisée des actions prioritaires » des autorités de la transition allant de décembre 2020 à Août 2022 dont le point d’orgue fut la signature et la publication de l’arrêté ci-dessus cité.
La composition de cette structure, ZODERN – en dit long sur les vraies intentions des autorités quant au découpage territorial des régions du Nord : sur 26 conseillers, 05 seulement sont sédentaires de culture songhaï pourtant démographiquement largement majoritaire au sein de cet espace imposé.
Nous le rappelons si besoin est que, ces intentions longtemps cachées, dévoilées sous forme de mesures iniques et injustes n’ont qu’une finalité : fabriquer une majorité territoriale, administrative et politique pour une minorité ethnique, au détriment des populations sédentaires de culture songhay démographiquement majoritaires. Une énième déception pour la nation entière, mais particulièrement pour les citoyens maliens sédentaires de culture songhay des régions concernées.
En l’état, nous ne pouvons accepter sa mise en application, comme d’ailleurs celle du découpage territorial de l’entité (la zone de développement des régions du nord) dans laquelle l’état nous oblige à rester.
Ce traitement d’une autre époque, qualifiable «d’apartheid» flagrant entre des communautés du même pays.
Monsieur le Président de la Transition
Cinq ans après sa signature, l’accord reste difficile à appliquer, car il est ressenti par la majorité de la population comme injuste et discriminatoire, ne traitant pas tous les citoyens maliens avec équité comme le voudrait la constitution de notre pays. Faut-il rappeler que les travaux du dialogue national inclusif, DNI en décembre 2019, ont recommandé sa relecture ?
Et pourtant, l’avènement du 18 août 2020 et la demande forte pour la refondation du Mali, laissaient présager d’une opportunité pour la mise en œuvre de ces recommandations.
Indignés par la décision du gouvernement de la république du Mali pour passer en force sans tenir compte des conclusions du Dialogue National Inclusif, sans concertation des populations concernées par la mise en application de la zone de développement des régions du nord, nous avons décidé de nous opposer par les moyens appropriés à la décision jusqu’à ce que réparation soit faite pour les communautés ainsi marginalisées.
Le manque de concertation dont il est question, se reflète aussi par la modification de l’appellation des régions septentrionales (Chapitre 2-article 5 de l’accord). Ce territoire hérité de l’Empire Songhay et dans lequel les communautés de cultures diverses (les Sonrhaïs, les Peulhs, les Bambaras, les Arabes, les Touaregs, les Bozos, les Soninkés, les Bobos, les Malinkés) trouvaient leur place, tout en vivant en symbiose et dans la fraternité. L’équilibre qui maintenait le ciment de la nation dans cette partie du territoire a été rompu par les choix de découpage territorial discriminatoires faits par l’état malien en réponse aux demandes identitaires des rebellions armées successives.
Pourtant, depuis le début de l’application de l’accord, les populations n’ont de cesse d’alerter les autorités du Mali par tous les moyens sur les failles très néfastes qui compromettent l’unité et la cohésion sociale de la nation malienne et particulièrement dans sa partie septentrionale. En effet plusieurs courriers, lettres ouvertes adressées au Président de la République, des communiqués et des marches et meetings ont eu lieu. Nous n’avons manifestement pas été entendus, malgré la marche contre la mise en place des autorités intérimaires illégales, marche réprimée dans le sang par notre propre état.
C’est à se demander s’il faut alors prendre des armes comme d’autres l’ont fait, pour se faire entendre et pour jouir de ses droits de citoyen à part entière ?
Monsieur le Président de la Transition,
Soucieux du devenir des communautés des régions du Nord du Mali, nous le Collectif «Songhay Chaawara Batoo» regroupé au sein de plusieurs associations du nord et de l’est comme de tout le reste du pays, vous lançons un appel citoyen et patriotique pour vous demander d’entendre nos cris, ceux des communautés sans voix, moins audibles certainement parce que n’ayant pas pris les armes de guerre contre leur patrie. Il urge pourtant de parler avec ce peuple et de satisfaire ses demandes pour éviter que le désespoir ne gagne les cœurs des citoyens qui sont restés jusque-là engagés pour la défense de leur patrie.
En tout état de cause, nous jugeons insoutenable et injuste l’application de l’Article 5 de l’accord et les textes décidés (sans concertation) par l’Etat pour mettre en œuvre ces clauses de l’accord. Ces textes visent à augmenter artificiellement le nombre d’élus de certaines circonscriptions au sein des institutions de la république à travers l’augmentation des circonscriptions administratives relatives aux seules populations Arabo-Touarègues. Il en sera de même au niveau des instances de décision au niveau régional, local et communal, mais surtout au sein de la zone de développement imposée.
En octobre 2018, lors des concertations régionales et participatives des citoyens à Gao, les populations sédentaires avaient fait des propositions d’organisation et de création de régions, de cercles et de communes, qui n’ont encore pas été considérées et étudiées par les autorités compétentes du pays. Pour être équitable, cette demande devra être satisfaite pour que les futures collectivités décentralisées puissent être prises en compte dans la préparation des prochaines échéances électorales.
C’est pourquoi, Monsieur le Président de la Transition,
Nous les Associations, Collectif, fédération et Amis, réunis au sein Collectif «Songhay Chaawara Batoo» :
Ainformons que bien qu’ignorée, elle s’est battue pour faire des propositions de sortie de crise à chaque fois, par sa participation active, aux rencontres, réunions et conférences en tirant la sonnette d’alarme, mais en vain. L’exemple concret est la conférence d’entente nationale du 27 mars au 2 avril 2017 censée être le point d’orge de l’accord et dont les conclusions ont abouti à une charte pour la paix au Mali qui n’a jamais été mise en œuvre ;
dénonçons les termes de l’accord qui portent des germes discriminatoires ;
demandons de revoir le découpage territorial, afin de le rendre juste et équitable et tenant compte des réalités socio linguistiques, démographiques et géographiques des régions du Nord du Mali, afin de préserver la cohésion sociale et le vivre ensemble. Il s’agit de la création des régions suivantes :
GAO : (Région de Bamba ; Région de Bourem ; Région d’Ansongo ; Région de Koukiya ; Région de Gao ; Région de Gabéro)
Tombouctou (Région de Niafunké ; Région de Goundam ; Région de Tombouctou ; Région Gourma Rharous, Région de Diré) ;
A demandons une concertation avec les populations concernées du nord afin de redéfinir les limites des zones de développement pour les adapter ;
A demandons conformément aux recommandations du dialogue national inclusif tenu du 14 au 22 décembre 2019, la relecture de l’Accord pour la paix et la Réconciliation issu du processus d’Alger, pour prendre en compte sur le même pied d’égalité, les préoccupations de tous les maliens et particulièrement, celles des communautés vivant au Nord.
A demandons le recrutement des jeunes de Gao qui ont remis leurs armes aux forces armées maliennes à la suite de la libération de la ville.
Pour un Mali stable et pacifié, toutes les communautés comptent.
Bamako, le 15 février 2021
Pour le Collectif