Politique : Lettre ouverte au Président

0

Un jeune Malien étudiant, interpelle le président et lui suggère les missions prioritaires. Texte intégral.

Monsieur le Président,

Je suis un simple citoyen, profondĂ©ment attachĂ© Ă  l’ordre rĂ©publicain, Ă  l’autoritĂ© de l’État, Ă  sa patrie. Je ne reprĂ©sente aucune organisation, aucune association ; je ne suis donc porteur d’aucune lĂ©gitimitĂ©, si ce n’est l’autoritĂ© de ma rĂ©flexion singulière et de mes opinions relatives. Ainsi, veillez donc comprendre que les idĂ©es exprimĂ©es dans cette lettre Ă©manent d’un simple citoyen lambda – n’exerçant aucune responsabilitĂ© publique, ne militant dans aucun parti politique, dans aucune organisation, n’Ă©tant influencĂ© par personne, par aucun mouvement politique, par aucun courant idĂ©ologique, par aucune force extĂ©rieure – qui sait tout simplement que la libertĂ© de publier et d’exprimer ses opinions font partie des libertĂ©s individuelles et les principes Ă©thiques fondamentaux garantis par notre constitution.

D’autant plus que vous disiez, s’adressant Ă  la jeunesse le 22 dĂ©cembre 2023 Ă  la clĂ´ture des Ă©tats gĂ©nĂ©raux, je cite : je suis jeune au mĂŞme titre que vous, et si j’échoue, c’est toute la jeunesse malienne qui aura Ă©chouĂ©. Je me sens donc lĂ©gitimement interpellĂ©, en tant que jeune, pour exprimer et vous exprimer mon avis, mes inquiĂ©tudes ; pour Ă©viter et prĂ©venir l’avalanche. Car je commence Ă  avoir peur quant Ă  la destination de la direction empruntĂ©e, j’ai du mal Ă  apercevoir le fond de l’abĂ®me, qui me semble sans fond. Ceci Ă©tant dit, Monsieur le prĂ©sident, je tenterai, le plus clairement et respectueusement possible, d’émettre mon opinion tout en restant dans les limites qui me sont assignĂ©es par la loi, par la constitution. Sans outrepasser mes droits et sans porter atteinte Ă  l’honneur et Ă  la dignitĂ© de l’aĂ®nĂ© et de l’ĂŞtre collectif que vous ĂŞtes.

Monsieur le Président,

Sachant que, avant votre accession Ă  la tĂŞte du pays, je n’ai pas Ă©tĂ© consultĂ© en tant que sujet et citoyen qui se veut souverain vis-Ă -vis de ses dirigeants et auto-lĂ©gislateur et producteur de ses propres lois, je m’exprimerai sans haine et sans colère, avec l’indĂ©pendance d’esprit et l’impartialitĂ© d’opinions qui sied au citoyen dĂ©pourvu de toute coloration politique, avec le calme et la tranquillitĂ© d’âme libre que je suis. Ce faisant, j’ose espĂ©rer, du fait de ces opinions libres, que je ne serai pas inquiĂ©tĂ© par vos grands magistrats. Ces concepts – outrage Ă  magistrat, mandant de dĂ©pĂ´t, atteinte aux crĂ©dits de l’État –, au nom desquels on dĂ©nie les formes constitutionnelles de l’expression collective, Ă©taient jusqu’à-lĂ  inconnus au grand public. Ils sembleraient, depuis votre accession Ă  la tĂŞte du pays, devenir des instruments par lesquels on oblige le silence partout, on impose Ă  tous la philosophie des maĂ®tres de Zen : la mĂ©ditation dans le silence. Et par peur d’aller en prison, les journalistes ne portent plus la plume dans la plaie, les esprits critiques se taisent, les valeurs qui dĂ©pĂ©rissent, les experts qui disparaissent. Et c’est l’État de droit qui en souffre ! Malheureusement.

Monsieur le Président,

Avant d’étaler et de dessiner le contour de ma pensĂ©e et les raisons qui m’ont obligĂ© Ă  rĂ©diger cette lettre – qui je le sais n’est pas sans consĂ©quence – je m’empresse de vous remercier pour la prise de Kidal, pour cette action empreinte d’un caractère de grandeur dans un Mali oĂą la pagaille rĂ©gnait, oĂą il n’y avait plus ni d’ordre Ă  respecter, ni valeur qui valait, ni devoir qui s’imposait, oĂą l’histoire elle-mĂŞme Ă©tait devenue orpheline. Agir en homme et en bĂŞte, se vĂŞtir de la peau du lion et celle du renard, vous en avez fait preuve face Ă  ceux qui avaient refusĂ© de se contenir et d’être contenus dans l’obĂ©issance aux lois de la RĂ©publique. Vous avez osĂ© relever les grands dĂ©fis en franchissant la porte de Kidal. Et c’est ce qui donne bonne conscience au peuple, qui redonne vigueur Ă  l’histoire commune. Et c’est lĂ  les prĂ©rogatives rĂ©galiennes d’un chef d’État, sa première mission, la plus suprĂŞme et la plus sacrĂ©e : l’exercice de l’autoritĂ© de l’État sur l’ensemble du territoire national et le monopole de la violence lĂ©gitime.

Prenant Kidal de cette belle manière, vous avez brisĂ© cet espoir absurde, ces symptĂ´mes de dĂ©sespoir qu’avaient toujours entretenus les pouvoirs prĂ©cĂ©dents, quand il fallait demander l’autorisation aux rebelles pour se rendre Ă  Kidal. La souverainetĂ© Ă©tait dĂ©capitĂ©e. Bref, vous avez rĂ©ussi lĂ  oĂą les pouvoirs dits dĂ©mocratiques ont Ă©chouĂ©. Vous venez, en cet effet, de prendre rang dans l’histoire, dans l’histoire du Mali et celle de la RĂ©publique, Ă  travers cette victoire qui inspirera Ă©ternellement les armĂ©es africaines. Car, disait le stratège militaire chinois, Sun Tzu, le meilleur stratège militaire n’est pas celui qui obtient cent victoires dans cent batailles, mais plutĂ´t celui qui sait vaincre l’ennemi sans combattre. Obtenir la victoire sans livrer la bataille. Faire exprimer la force sans y exercer. Obliger l’ennemi Ă  apercevoir et Ă  sentir la prĂ©sence de l’État quand elle est invisible, imposer la volontĂ© gĂ©nĂ©rale partout et par la force s’il le faut. Se faire aimer par la vertu du dialogue devant les plus faibles, et ĂŞtre craint par la puissance du feu devant ceux qui tiennent tĂŞte Ă  l’État. ĂŠtre humble devant les faibles, cruel devant les forts. Bref, la finesse du renard et l’audace du lion. VoilĂ  la mission qu’incombe au chef suprĂŞme des armĂ©es. Rappelez-vous-en !

De ce passage, je m’incline devant la mĂ©moire de tous ces fils qui ont perdu leur vie en dĂ©fendant la partie. Mon estime pour leur bravoure, ma reconnaissance pour leur sacrifice, mon zèle pour leur sens Ă©levĂ© du patriotisme, ma peine pour leur souffrance, mon angoisse pour leur perte.

Monsieur le PrĂ©sident, les bonnes bases pour tout pouvoir sont les bonnes lois, et lĂ  oĂą il n’y point de bonnes armes, il ne peut y avoir de bonnes lois, selon le secrĂ©taire florentin (Machiavel). Vous semblez parfaitement comprendre et assimiler cette maxime. Et je vous en fĂ©licite. Que dĂ©sormais les institutions Ă©tatiques soient les seuls moyens et lieux de revendications ! Que cesse cette arrogance Ă©ternelle de rebelles devant le grand LĂ©viathan (l’État), afin que les rapports de forces cèdent le pas devant les rapports d’idĂ©es, des arguments et des dialogues ! Que la RĂ©publique s’identifie au règne de la loi, celle qui est l’expression de la volontĂ© populaire. Et la volontĂ© populaire s’obtient non pas par des armes, mais par des formes d’expression collective : l’élection, le rĂ©fĂ©rendum…

Monsieur le Président,

ApprĂ©ciables sont aussi la situation sĂ©curitaire et la gestion des conflits dits sociaux. Que très longtemps nous n’avons pas entendu de ravage des villages entiers, comme ça s’est passĂ© couramment sous le rĂ©gime prĂ©cĂ©dent ! Ce qui traduit la nette stabilisation de la situation. Cependant, mĂŞme amĂ©liorĂ©e, elle est loin d’ĂŞtre idĂ©ale. Il y a beaucoup de choses Ă  faire, Ă  refaire, Ă  entreprendre. Les obstacles sont nombreux. La nature de ce qui nous attend est encore incertaine. Mais j’Ă©tais et suis toujours convaincu que c’est par l’inconnu et l’audace que le mouvement se crĂ©e, que les grandes dĂ©couvertes se font, que les grandes victoires s’obtiennent, que les grands chantiers se rĂ©alisent, que les grands peuples s’Ă©lèvent, etc. Il n’y a que le premier pas qui coĂ»te, disait Mark Twain. Autant pour dire qu’il n’y a pas une voie tracĂ©e d’avance.

Je croyais donc en demain, malgrĂ© tout. Et pourtant, depuis quelque temps, je ne me reconnais plus dans les Ă©vĂ©nements. Vous vous ĂŞtes inscrits dans une dynamique totalement nouvelle, qui dĂ©fie toutes les lois de la gouvernance et de la gestion de la Res-publika : l’isolement, l’emprisonnement, le repli sur soi, la division. Le pays s’isole de plus en plus et semble de plus en plus prendre position sur les questions gĂ©opolitiques ; ce qui, Ă  mon avis, risquerait encore de rendre les choses plus complexes.

Monsieur le PrĂ©sident, je me sens dĂ©passĂ© par les Ă©vĂ©nements pour y avoir perdu le fil, de par les sorties mĂ©diatiques Ă©lectoralistes de votre Premier ministre, qui semble avoir plus de facilitĂ© Ă  infantiliser et Ă  endormir la conscience collective du peuple en attribuant toujours et sans cesse les causes de tous nos malheurs aux seules implications extĂ©rieures dans la gestion de nos affaires internes. Comme si nous n’y sommes pour rien. Comme s’il ne sert Ă  rien de se mettre nous-mĂŞmes en cause, d’assumer et de faire face Ă  notre part de responsabilitĂ©. Oui, Monsieur le PrĂ©sident, comme tout esprit indĂ©pendant, je reconnais la grande part de responsabilitĂ© de la France dans la catastrophe que nous vivons, Ă  travers son intervention humanitaire qui a dĂ©jĂ  apportĂ© la dĂ©mocratie et la lumière chez les barbares libyens.

La France est victime de son regard condescendant sur ces (anciennes) colonies, de son arrogance dĂ©mesurĂ©e, de son orgueil, de son ton colonialiste, de sa conception diplomatique impĂ©rialiste vis-Ă -vis de ces (anciennes) possessions. Et surtout de sa grande mĂ©connaissance de l’Ă©volution et de la naissance d’une nouvelle conscience africaine. Mais je refuse tout de mĂŞme qu’elle soit responsable de la corruption qui gangrène notre administration, de sa lenteur, de l’anarchie qui y rĂ©gnait, etc

Monsieur le Président,

Le plus grand changement que vous aurez ou devrez opĂ©rer, n’est pas le retrait du Mali de la CĂ©dĂ©ao, ni le retrait au Mali de toutes les forces Ă©trangères. Le changement le plus structurel qui s’inscrit dans le temps, est celui-lĂ  qui impactera l’esprit et le mental du peuple. C’est celui qui empĂŞchera ce policier Ă  se transformer en agent de raquettes ; c’est exactement celui qui freinera ce magistrat qui identifie et confond sa volontĂ© Ă  celle de la loi ; celui qui obligerait ce mĂ©decin, payĂ© par le contribuable public, Ă  distinguer l’hĂ´pital public de l’hĂ´pital privĂ©. C’est effectivement celui qui encadrerait cet enseignant Ă  ne pas pervertir son mĂ©tier au profit du matĂ©riel. C’est celui qui inviterait et Ă©viterait Ă  ce que ce journaliste ne mette sa plume qu’au service de l’argent, au dĂ©triment des grands principes Ă©thiques et dĂ©ontologiques qui environnent ce noble mĂ©tier. Bref, c’est ce changement qui changera les mĹ“urs, les manières, les habitudes des gouvernants envers les gouvernĂ©s ; le regard que porte le peuple sur l’État, etc.

Cela passe par le nettoyage de l’administration, par des rĂ©formes institutionnellement solides et crĂ©dibles. Et aussi longtemps que le changement n’est pas opĂ©rĂ© par le bas, tant qu’il n’est pas profond, tant qu’il ne touche pas Ă  l’esprit et au mental du peuple, tant qu’il est liĂ© en votre personne ou rĂ©gime, toutes ces grandes dĂ©cisions et orientations politico-stratĂ©giques – dont les citoyens vivent et subissent difficilement les consĂ©quences et alĂ©as Ă©conomiques – n’auront servi Ă  rien.

Car vous le savez mieux que moi, l’être humain n’est qu’une cause partielle du temps, une parcelle de la vie, un crĂ©puscule silencieux qui s’en va dans l’ombre du silence sans avertir. Vous ne pouvez rester pour toujours ou dĂ©fier l’Ă©ternitĂ©. Rappelez-vous-en !

Enfin, Monsieur le PrĂ©sident, de par vos nouvelles orientations politiques, le Mali semblerait obtenir et affirmer sa souverainetĂ©, par le fait qu’aucune force extĂ©rieure n’y est prĂ©sente. Cependant, la souverainetĂ© d’un pays n’est pas seulement le respect et la reconnaissance de son pouvoir suprĂŞme par les autres États, c’est aussi la possibilitĂ© du peuple Ă  choisir librement ses propres reprĂ©sentants. C’est le règne de la loi, la seule voix de la souverainetĂ© du peuple. A quand donc la souverainetĂ© du peuple vis-Ă -vis de ses dirigeants ?

Belgrade, le 13.06.2024

Sekhou Sidi Diawara

Ă©tudiant–chercheur Ă  la facultĂ© des Sciences Politiques de Belgrade (Serbie). [email protected], Tel : 00 381 63 729 4360

Commentaires via Facebook :

REPONDRE

Please enter your comment!
Please enter your name here

Leave the field below empty!