Dans une lettre ouverte adressée au Premier ministre, chef du gouvernement, le parti de l’indépendance, de la démocratie et de la solidarité (PIDS) a formulé des observations pertinentes sur un certain nombre de sujets brûlants qui préoccupent en ce moment les Maliens. Il s’agit notamment de la conclusion du pacte pour la paix au Mali, l’adoption d’un projet de loi organique portant prorogation du mandat des députés, la tenue prochaine de conférences régionales sur le projet de découpage administratif.
Pour le PIDS, le doute n’est guère permis : « Les deux premiers sont constitutifs d’une violation manifeste de la Constitution du Mali, qui consacre les principes de la Souveraineté Nationale et de l’Etat de droit. Le troisième révèle d’une grave illusion, celle de croire qu’il serait possible de rendre opérationnel le découpage administratif envisagé dans un délai d’environ huit mois ». Lisez plutôt !
Lettre ouverte du Parti, de l’Indépendance, de la Démocratie et de la Solidarité (PIDS) à Monsieur le Premier ministre, chef du Gouvernement
Monsieur le Premier ministre,
Votre Gouvernement vient de poser des actes hautement politiques sur lesquels mon parti, le P.I.D.S, Parti de l’indépendance, de la démocratie et de la solidarité, croît, par devoir républicain, utile de vous faire part de ses observations.
Il s’agit de :
- la conclusion du Pacte pour la paix au Mali ;
- de l’adoption d’un projet de loi organique portant prorogation du mandat des députés jusqu’au 30 juin 2019 et ;
- de l’annonce de la tenue prochaine de conférences régionales sur le projet de découpage administratif.
Les deux premiers sont constitutifs d’une violation manifeste de la Constitution du Mali qui consacre les principes de la Souveraineté Nationale et de l’État de droit. Le troisième révèle une grave illusion, celle de croire qu’il serait possible de rendre opérationnel le découpage administratif envisagé dans un délai d’environ huit mois.
- Sur la conclusion du Pacte pour la paix au Mali
1.1. Le Pacte pour la paix au Mali a été conclu le 15 août 2018 par le Gouvernement du Mali et l’Organisation des Nations Unies. Il a été signé par le ministre de la Cohésion sociale, de la Paix et de la Réconciliation nationale, pour le Mali et le représentant spécial du Secrétaire Général des Nations Unies au Mali, pour l’O.N.U.
1.1.1 Dans le préambule dudit Pacte, les parties indiquent agir conformément au paragraphe 5 de la résolution 2423 du Conseil de sécurité adopté le 28 juin 2018.
1.1.2. Dans le Pacte, le gouvernement du Mali s’engage à :
– accélérer la mise en œuvre intégrale et inclusive de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger ;
– effectuer un point de situation des actions prioritaires de la Feuille de route du 22 mars 2018, en identifiant notamment les obstacles persistants et s’assure que ces actions prioritaires sont réalisées ainsi que les critères de suivi de mise en œuvre de l’Accord remplis dans le temps imparti ;
– poursuivre résolument, avec toute la diligence requise, la mise en œuvre de réformes clés relatives aux questions politiques et institutionnelles, à la défense et à la sécurité, au développement socio-économique et culturel ainsi qu’à la réconciliation, à la justice et aux questions humanitaires, et ceci en conformité avec la résolution 2423
1.1.3. Dans le Pacte, le gouvernement réitère son profond attachement à une approche inclusive en tenant compte des réalités du terrain et en associant toutes les forces vives de la Nation, conformément à l’article 51 de l’Accord issu du processus d’Alger.
1.1.4. Le gouvernement du Mali et les Nations Unies demandent à la Plateforme et à la CMA d’exprimer leur pleine adhésion au Pacte.
1.1.5. Après avoir rappelé que le gouvernement du Mali et les mouvements signataires, la Plateforme et la CMA se concertent dans un cadre créé à cet effet, le Pacte consigne que le gouvernement du Mali accepte :
– « qu’en cas de divergences dans la mise en œuvre de l’Accord, les décisions et les arbitrages de la Médiation internationale auront un caractère exécutoire en vue d’accélérer la mise en œuvre dudit accord » ;
– « qu’au regard des engagements pris dans le cadre de ce Pacte, l’Observateur indépendant formulera les recommandations qu’il jugera pertinentes et le Comité des sanctions du Conseil de sécurité prendra toute action considérée comme nécessaire pour supprimer les entraves à la mise en œuvre de cet Accord, en particulier, celles en lien avec l’article 29 ».
1.1.6. Le paragraphe 5 de la résolution 2423 du Conseil de sécurité adopté le 28 juin 2018 qui prie le Secrétaire Général de prendre les mesures adéquates en vue de la conclusion rapide d’un « pacte pour la paix » entre le Gouvernement malien et l’Organisation des Nations Unies, avec l’appui des membres de la médiation internationale, « souhaite que ce pacte repose sur des critères convenus liés à la gouvernance, à l’état de droit et à la mise en œuvre de l’Accord…et demande que le Secrétaire Général lui fournisse régulièrement des informations actualisées sur l’élaboration du « pacte pour la paix ».
1.2. Les deux parties signataires, en l’occurrence, le Gouvernement malien et l’Organisation des Nations Unies sont sujets de droit international, de ce fait, le Pacte pour la paix au Mali est un accord international.
1.2.1. En souhaitant qu’il repose sur des critères convenus liés à la gouvernance et à l’état de droit, le Conseil de Sécurité des Nations Unies indique clairement qu’il doit être conclu dans le strict respect des normes maliennes. Celles-ci exigent qu’un accord international ne comporte aucune clause contraire à la Constitution et que la procédure de conclusion soit celle prescrite par la Constitution pour la catégorie à laquelle il appartient.
1.2.2. Ces exigences n’ont pas été respectées par le Gouvernement du Mali. Le Pacte pour la paix au Mali comporte au moins une clause contraire à la Constitution d’une part et, il ne peut être considéré comme ayant été régulièrement conclu, d’autre part.
1.2.3. Est assurément contraire à la Constitution, le paragraphe qui prescrit « qu’en cas de divergences dans la mise en œuvre de l’Accord, les décisions et les arbitrages de la Médiation internationale auront un caractère exécutoire en vue d’accélérer la mise en œuvre dudit accord ». Cette clause est contraire à la Constitution en tant qu’elle consacre de jure un abandon de souveraineté par le Mali au profit de la Médiation internationale (un groupe d’Etats et d’organisations internationales). Ce que proscrit l’article 26 de la Constitution du 25 février 1992 qui dispose que « La souveraineté́ nationale appartient au peuple tout entier qui l’exerce par ses représentants ou par voie de referendum. Aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ». La seule possibilité d’abandon de souveraineté est celle prévue par l’article 117 qui dispose que « La République du Mali peut conclure avec tout État africain des accords d’association ou de communauté́ comprenant abandon partiel ou total de souveraineté́ en vue de réaliser l’unité́ africaine. »
1.2.4. Le Pacte pour la paix au Mali ne peut être considéré comme ayant été régulièrement conclu. Les engagements qu’il comporte pour le Mali en font un accord qui engage les finances de l’État. Donc un accord dont la conclusion ne peut être parfaite avec la seule signature d’un membre du gouvernement. La Constitution du Mali impose, en ses articles 90 et 115, qu’un accord de ce type soit approuvé par le gouvernement en vertu de la loi et après que la Cour constitutionnelle ait constaté qu’il ne comporte aucune clause contraire à la Constitution. Sauf erreur de notre part, cette procédure n’a pas été suivie dans le cas d’espèce.
1.3. Suivre cette procédure, permettrait d’éviter que le Mali ne se trouve placé, suivant une procédure absolument irrégulière, sous la tutelle de puissances étrangères. Cela ne nous semble pas politiquement correct, d’autant plus que la Résolution 2423 ne l’impose nullement, contrairement à ce que l’on veut faire croire. Plus encore, suivre la procédure constitutionnelle prévue pour ce type d’accord donnerait l’occasion au gouvernement de faire des réserves expresses sur la clause d’abandon de souveraineté.
- Sur l’adoption d’un projet de loi organique portant prorogation du mandat des députés jusqu’au 30 juin 2019
2.1. Le Conseil des ministres du 24 octobre 2018 a adopté un projet de loi organique autorisant la prorogation du mandat des députés de la Vème législature jusqu’au 30 juin 2019 alors qu’il arrivait à expiration le 31 décembre 2018. Et le gouvernement fonde sa décision sur l’avis n°2018-02/CCM du 12 octobre 2018 dans laquelle la Cour constitutionnelle se dit favorable à la demande de prorogation de la Vème législature jusqu’à la fin du premier semestre 2019 en application de l’article 85 de la Constitution et dit que ladite prorogation doit intervenir au moyen d’une loi organique, sans autre précision.
2.2. Il s’agit là, indubitablement, d’une grave faute politique car rien n’obligeait le gouvernement à suivre cet avis de la Cour constitutionnelle donc dire qu’elle s’est trompée, une fois de plus, est un truisme.
2.2.1. Cet avis a été donné en violation flagrante de la Constitution. Et, jamais, l’interprétation erronée de l’article 85, à laquelle la Cour s’accroche, ne l’avait conduite à se fourvoyer ainsi et à ouvrir la voie à toutes sortes de dérives.
2.2.2. L’article 85 ne permet pas à la Cour constitutionnelle de modifier la Constitution. C’est pourtant ce qu’elle fait en disant non seulement que la prorogation de la Vème législature est possible mais aussi qu’elle doit intervenir par une loi organique. Elle méconnait ainsi allègrement l’article 61 qui fixe la durée du mandat des députés à cinq ans sans ouvrir une possibilité de prorogation et l’article 70 qui, parce qu’il dit que c’est la Constitution qui confère à une loi le caractère de loi organique, donne ce pouvoir au seul Constituant. Et, sauf erreur de notre part, aucune disposition de la Constitution ne prévoit une loi organique autorisant la prorogation du mandat des députés.
2.2.3. Ainsi, en disant que la prorogation doit intervenir au moyen d’une loi organique, la Cour constitutionnelle se reconnait pouvoir constituant et ouvre une nouvelle voie de révision de la Constitution : celle qu’elle se donne sur la base de l’article 85.
2.2.4. Ce faisant, la Cour ouvre la voie à toutes sortes de dérives anticonstitutionnelles. Parce que si l’on suit sa logique, non seulement n’importe qui peut solliciter son avis sur la base de l’article 85, mais plus encore, elle a le droit de tout faire dans ce cas, même modifier (reviser) la Constitution.
2.3. À notre sens et comme la mention dans l’avis de cette disposition semble l’indiquer, le respect de la Constitution impose de trouver la solution du problème posé par la mise en œuvre du second alinéa de l’article 63 de la Constitution.
2.3.1. Ledit article 63 dispose que « La loi organique détermine aussi les conditions dans lesquelles sont élues les personnes appelées à assurer en cas de vacance de siège, le remplacement des Députés jusqu’au renouvellement de l’Assemblée Nationale. »
2.3.2. Il est vrai que la loi organique prévue par cet article n’a porté, jusque-là, que sur les élections législatives partielles consécutives au décès d’un ou de plusieurs députés. Ce qui a fait oublier que la vacance de siège peut être consécutive à l’expiration des pouvoirs de l’Assemblée elle-même et concerner, dans ce cas, tous les sièges.
2.3.3. La première occasion d’appliquer l’article 63 a été offerte avec l’expiration des pouvoirs de l’Assemblée Nationale qui était en place au moment du coup d’État de 2012. Elle a été perdue simplement parce que dans la grande confusion juridique consécutive au coup d’État, les décideurs, à tort d’ailleurs, ont fait prévaloir sur la Constitution, l’Accord-cadre qui prescrivait la prorogation du mandat des députés par une loi.
2.3.4. Aujourd’hui, dans un contexte institutionnel normal, le passage par l’article 63 est juridiquement la seule voie ouverte par la Constitution. Sans compter le bénéfice politique qui peut en être tiré en ce qu’elle seule peut éviter de nouvelles prorogations du mandat des députés que l’ampleur des réformes envisagées va certainement commander, tant il semble évident que tout ce qui doit être fait ne peut l’être dans la rallonge de six mois donnée par la Cour constitutionnelle.
2.3.5. Certes, la mise en œuvre de l’article 63 paraît plus difficile que la simple prorogation de mandat parce qu’elle impose de trouver réponses à des questions plus complexes, mais c’est justement pour permettre de tels ajustements que les lois organiques ont été prévues.
- Sur la faisabilité des réformes envisagées dans le délai retenu
3.1. S’agissant du projet de loi de réorganisation territoriale, supposé être celui de votre gouvernement, le P.I.D.S fait d’abord remarquer que sur les vingt (20) régions qui y sont mentionnées, dix-neuf ont été créées depuis 2012 par la loi n°2012-017/ du 02 mars 2012 portant création de circonscriptions administratives en République du Mali. Et aussi que la loi n°2012-018/ du 02 mars 2012 a fixé la structuration en cercles et arrondissements des régions de Tombouctou, de Taoudénit, de Gao, de Ménaka et de Kidal.
3.1.1. Le P.I.D.S, pour avoir appartenu au gouvernement de l’époque, réitère son adhésion pleine et entière au projet, en ce qui concerne les régions, parce qu’il ne fait que reconduire ce qui a été déjà fait en 2012. Il en est de même pour la division en cercles et arrondissements des régions de Tombouctou, de Taoudénit, de Gao, de Ménaka et de Kidal.
3.1.2. Par contre, il n’adhère pas à la décision d’’organiser, en ce mois de novembre, des conférences régionales sur le projet de redécoupage territorial de votre gouvernement. Le P.I.D.S estime que la fixation des subdivisions des autres nouvelles régions ainsi que la réorganisation du District de Bamako doivent faire l’objet d’une étude technique et politique approfondie préalablement à l’organisation d’un quelconque débat avec les forces vives de la Nation.
3.1.3. Les régions de Taoudénit et de Ménaka, dont les cercles et les arrondissements ont été créés depuis 2012, ont été exclues du parrainage des candidats de la dernière élection présidentielle et les communales n’ont pas pu y être organisées parce qu’ils n’étaient pas encore « opérationnels », cinq ans après leur création.
3.1.4. Aussi, le P.I.D.S estime qu’il est légitime de penser que, sauf miracle, il sera impossible de rendre opérationnels lesdits cercles et arrondissements ainsi que ceux des neuf ou dix nouvelles régions dans le délai d’environ huit mois que la Cour constitutionnelle donne pour l’élection d’une nouvelle Assemblée Nationale.
3.2. Cela d’autant plus que le P.I.D.S estime cette question, comme la gestion de l’expiration des pouvoirs de l’Assemblée Nationale, la refonte complète du système électoral, la révision constitutionnelle et la mise en place de mécanismes pertinents de lutte contre la corruption et de garantie de la transparence de la vie publique entres autres, participe d’une réforme en profondeur de l’État dont notre pays ne peut plus faire l’économie, et qui impose l’organisation d’un dialogue politique national dont il vous reviendra de fixer le cadre en concertation avec les partis politiques, les groupes signataires de l’Accord issu du processus d’Alger et les organisations représentatives de la société civile.
3.3. Le P.I.D.S a pris acte de la proclamation par la Cour constitutionnelle de l’élection d’un nouveau président de la République et de la volonté exprimée par celui-ci de travailler avec tous les Maliens. C’est dire qu’il est prêt à apporter sa contribution à la tenue du dialogue politique national qu’il propose.
En espérant que la présente lettre, qui sera publiée, retiendra votre haute attention, pour l’intérêt supérieur du Mali, je vous prie, Monsieur le premier ministre d’accepter l’assurance de ma très haute considération.
Bamako, le 5/11/2018
Pour le Bureau politique national, p.o.
Le premier vice-président
Nouhoum SIDIBÉ
Officier de l’ordre national
Faut-il s’amputer pour avoir la paix comme adorent appliquer ces Atlantistes? (Allemagne, Corée, Soudan, Irlande?
Comments are closed.