Lettre ouverte – La route a encore tué, Président

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Monsieur le Président,

Nous vous avons suivi la semaine dernière au lancement de la décennie de la sécurité routière. Nous vous avions suivi dans les forums précédents où vous avez pris position sur les accidents de la route. L’on ne peut être que d’accord avec vous : les accidents de la route sont devenus un fléau national. Chaque famille l’a vécu dans sa chair ou à travers le deuil du voisin. Et quelques jours seulement après votre supplique, Monsieur le Président, voici qu’un car, véhicule de transport en commun, se renverse et tue treize de ses passagers, blessant beaucoup d’autres. Avant cette tragédie, il y en eut d’autres, les unes plus mortelles que les autres alors que la plupart étaient évitables parce qu’imputables à l’excès de vitesse, aux défaillances techniques, à la somnolence du chauffeur.

Monsieur le Président, les statistiques présentées par votre ministre de l’Equipement la semaine dernière indiquent plus une stagnation qu’une augmentation du nombre d’accidents survenus dans notre pays ces cinq dernières années. La tendance est encourageante et nous la devons certainement aux différentes mesures contre l’insécurité routière. Mais ces statistiques restent alarmantes à la fois sur la fréquence des accidents et leurs conséquences. Permettez donc, Monsieur le Président, qu’en raison de votre engagement personnel sur ce front qui doit être celui de chaque famille et aussi parce que le débat public est nécessaire sur la question que je partage avec vous quelques constats, analyses et suggestions.

  1. La sociologie de l’insécurité routière reste d’actualité parce que la solution est partielle ou fausse si l’énoncé du problème n’est pas complet ou exact. Cette approche, naturellement, doit aller au-delà du jugement empirique ou des échafaudages de techniciens ou d’experts voulant s’agripper à leurs projets. Comprendre le comportement et la psychologie des usagers pour une réponse plus pertinente au problème posé relève de la nécessité, tout autant que l’étude et l’analyse des parties prenantes à la gouvernance routière. La route est le meilleur observatoire d’une société. Elle en est le reflet et sous cet angle elle constitue plus la conséquence que la cause. Universitaires, Instituts de recherche ou de prospective sociale, chercheurs divers ne peuvent être exclus du débat sur la route.

  2. Il est peut-être temps de repenser, évaluer et ou réévaluer les approches adoptées contre l’insécurité routière. Il s’agit alors d’analyser chaque action initiée, d’en examiner l’impact, de voir si elle doit être abandonnée ou démultipliée. Mais monsieur le Président, c’est souvent que nos orgueils personnels rejettent l’audit ou l’évaluation. Or sans ces outils nous n’arriverons jamais à la masse critique requise pour le changement de comportement, c’est-à-dire donc l’appropriation par les groupes-cibles du message que l’on veut faire passer. En clair, il s’agit d’interroger l’impact des formules-bateau du genre caravanes, sketchs et autres moyens conventionnels. Nous devons aller vers des formes plus audacieuses d’interaction. Et votre personne, Monsieur le Président, est la mieux indiquée, à travers les SMS du Président, ses minutes d’adresses dans les night-clubs, un débat live avec les jeunes, les chauffeurs et j’en passe.
  1. Il n’y aura pas de changement significatif, Monsieur le Président, sans agents de l’ordre vigilants, courtois mais fermes et qui se refusent à vendre la mort à 500 Cfa par infraction. Mais là-dessus, il faudra un débat franc car dans l’esprit de la génération Jakarta, la police n’est pas une solution, elle fait partie du problème. Ceux qui sont censés faire appliquer la loi ne peuvent pas être ceux qui la torpillent les premiers. Or il n’est pas possible d’avoir une police saine lorsque le reste du corps social est gangrené. C’est donc de rendre performant notre système d’intégrité publique qu’il s’agit.

  2. Bien entendu, des améliorations notables sont immédiatement possibles. Sur l’axe Bako-Djikoroni-Kalaban Coro, par exemple, une dizaine d’accidents par jour sont dus à notre conception de la route. Cette artère de quatre kilomètres comprend une vingtaine de points par lesquels un piéton peut passer ou une voiture manœuvrer en créant des risques sécuritaires totalement aberrants dans une République qui ne veut pas tuer ses enfants. Le pire, Monsieur le Président, c’est que les garde-fous ont même été écartelés pour que les usagers à pied ou à motos se jettent dans la circulation. Cela fait vingt ans que ça dure. Mais plusieurs milliers d’accidents plus tard, vous pouvez faire en sorte que votre gouvernement réagisse.

Sauf votre respect, Monsieur le Président et à mercredi prochain.

Adam Thiam

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