Monsieur le Premier ministre,
Je ne vous apprends rien, en vous disant, que le tout sécuritaire comme stratégie pour le centre, n’est pas la solution pérenne. Les populations doivent être au début et à la fin dans le processus du retour de la paix.
Depuis quelques jours, nous suivons sur le petit écran de la télévision nationale, ORTM, des cérémonies de retour de la paix entre les communautés dogon et peul dans la zone des conflits intercommunautaires. Lors d’une de ces cérémonies à Dioungani dans le cercle de Koro, le Gouverneur de la région, n’a pas bégayé pour dire que ce sont les forces armées et de sécurité qui sont allées chercher les peuls, là où ils s’étaient refugies pour les ramener à Dioungani.
Est-ce une réelle volonté des autorités à accompagner les communautés durement éprouvées pour enterrer définitivement la hache de guerre ? Ou est-ce une mise en scène ?
Comment ces cérémonies sont-elles préparées en amont ? Les parties prenantes directes, c’est-à-dire, les populations sont-elles impliquées dans le processus ? Si oui, a-t-on pris le temps de les écouter ? De comprendre leurs traumatismes, leurs angoisses ? Autant de questions qui méritent réflexion, et qui j’imagine, sont d’une grande importance pour vous, en tant que chef de l’exécutif.
Les populations ont trop souffert de part et d’autre et la réconciliation est trop importante pour être ramenée à sa portion congrue de prises d’images de poignées de mains et de distributions de présents aux chefs des communautés.
Nous sommes tous conscients que ce qui se passe dans le centre du pays, dépasse tout entendement. Le mal est trop profond et je crains que le point de non-retour n’ait été franchi.
Un fait divers, comme tant d’autres, si ce n’est son lien avec le conflit du centre, vient de se passer dans la famille d’un de mes amis que je désigne sous les initiales BB, à Niamana. L’ami qui me raconta l’histoire, explique, qu’après le départ de la femme de ménage, il y a trois mois, son épouse, recruta une nouvelle femme de ménage, dogon, ressortissante du cercle de Koro.
Non loin de la famille, vit depuis trois ans, un maître coranique avec ses talibés peulh. Son épouse a pris l’habitude d’inviter en famille, pour le repas de midi, chaque jour, la dizaine de talibés du maitre coranique. Mais depuis quelques jours, son épouse n’entend plus le bruit des talibés quand ils arrivent à midi, pour le repas. Elle a voulu en savoir et s’est rendu compte que les talibés ne viennent plus. C’est en ce moment qu’elle part s’enquérir auprès du maître coranique, pourquoi elle ne voit plus les enfants. Et elle apprit, stupéfaite, du maitre coranique, que la nouvelle femme de ménage avait strictement interdit aux talibés d’accéder à la maison.
En effet, après investigation auprès de la femme de ménage, il s’est avéré que cette dernière refusait mordicus de servir le repas aux jeunes talibés par ce que ce sont des peulhs, selon ses propres dires. Elle a fini par les chasser de la maison. Interrogée, elle avoua qu’elle ne donnera jamais à manger aux jeunes talibés peuls. Madame fut obligée de lui dire de choisir entre poursuivre son travail, en acceptant de donner à manger aux enfants talibés comme le faisait, par le passe, l’ancienne femme de ménage, ou partir.
Monsieur le Premier ministre, la femme de ménage est partie de la maison. Ce fait divers, s’est passé chez un haut fonctionnaire à Niamana.
Si le conflit intercommunautaire se transporte jusqu’à Bamako, entre de simples citoyens, victimes, qu’elle peut être l’atmosphère dans les zones de conflits ?
Cette femme de ménage est, avant d’être bourreau des talibés voisins de mon ami, une victime. En effet, avant que l’épouse de mon ami, ne découvre qu’elle ne donne plus à manger aux talibés, la pauvre fille venue de son lointain Koro, faisait beaucoup de cauchemars dans le sommeil, elle criait que les Peuls viennent la chercher pour la tuer. Elle ne voulait plus dormir seule dans sa chambre.
Monsieur le Premier ministre, sans être psychologue, nous pouvons conclure que cette jeune fille a subi des traumatismes énormes à la suite du conflit intercommunautaire. C’est plus profond et plus difficile qu’on ne le pense. Combien de temps va-t-elle trainer ses traumatismes ? Qui va s’occuper d’elle ?
Victime d’un certain amalgame, que les populations vivent sur le terrain, elle et toutes celles et tous ceux qui souffrent dans leur chair, meurent doucement en silence.
Combien de Peuls et de Dogons, traumatisés comme elle, participent aux cérémonies de retour de la paix ? Peuvent-ils avoir droit à la parole pour exprimer ce qu’ils ressentent au fond d’eux ?
Qu’est ce qui va se passer dans un an ou deux ans, si les plaies profondes ne se cicatriseront pas ?
C’est pourquoi, Monsieur le Premier ministre, nous pensons que toutes les mises en scène du gouvernement, montrant la paix des braves, pourraient se retourner contre nous.
Monsieur le premier Ministre, commençons par panser d’abord les petites plaies individuelles. Pensons à la femme de ménage, aux petits talibés prives de leur pitance, à cause de l’amalgame.
Pensons et agissons dans la prise en charge psychologique de ceux et celles qui souffrent des traumatismes du conflit intercommunautaire
Ayons le courage de nous remettre en cause, et de nous mettre à l’écoute des populations !
Inventons des initiatives citoyennes, ou recourrons à nos valeurs de “maya” et de “dambé” pour stimuler la participation citoyenne dans la recherche de solutions durables !
Faisons-en sorte que la paix des braves soit leur initiative. Pas la vôtre, pas la nôtre, mais la leur !
Mettons l’accent sur la vraie réconciliation, le vivre ensemble !
Yachim Maïga