Lettre ouverte à la jeunesse du Mali : « Soyez patients…, la patience est le plus grand génie de l’homme »

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Après l’élection présidentielle qui a permis d’élire Ibrahim Boubacar Keïta à la magistrature suprême de notre pays, un pilote commandant de bord à la retraite, Fousseyni Diarra, s’adresse dans une lettre ouverte à la Jeunesse du Mali, à qui il rappelle les évènements qui ont jalonné l’histoire de notre pays. Le doyen invite les jeunes à explorer les legs de dignité et d’honneur ; et de s’ouvrir « aux apports fécondants de l’extérieur sans aliéner votre culture ». Nous vous proposons l’intégralité de sa contribution.

 

Oui, le Mali a eu peur.

Oui, l’Afrique a eu peur.

Oui, le Monde a eu peur.

 

 

Peur justifiée tant la menace était réelle et l’attaque fulgurante et violente. Celle d’une pieuvre avec ses tentacules cherchant à broyer ses proies qu’étaient devenus soudain nos Etats.

 

Un mouvement groupusculaire, trafiquants de toutes sorte, sans foi ni loi, au nom révulsant de djihadistes allait semer terreur et désolation, signe précurseur d’une catastrophe qui allait embraser l’Afrique.

 

 

Afin d’arrêter le rouleau compresseur de ces débiles et illuminés, jamais solidarité ne se fit plus agissante, rapide et efficace, avec le succès que l’on connait.

 

 

Le Géant après de longues nuits noires et des journées sans fin sorti des ténèbres au grand bonheur de tous les hommes épris de paix et de justice.

 

 

Le couronnement de tous les sacrifices fut les élections libres et transparentes avec un Président élu et non contesté.

 

 

Jeunesse du Mali, selon l’adage de nos vieux sages « pour savoir où tu vas, il faut savoir d’où tu viens». Un bref rappel historique de ce que j’ai appris et de ce que j’ai vécu nous édifiera et sera un stimulant pour mener à bien la lutte pour le développement et le bonheur de ce grand peuple.

 

Descendants d’un empire sous la dénomination de l’Empire du Mali, rentré dans la légende qui, d’après les écrits, était plus grand que celui de Charlemagne en Europe et dont l’existence se conjuguait avec grandeur et magnificence à la morale d’honneur et de dignité, cet empire dont l’hymne était plutôt la mort que la honte, aujourd’hui interprété de différentes façons par ceux qui en constituaient autrefois ses provinces devenues aujourd’hui des Etats. Ironie de l’histoire, ce scénario apocalyptique des envahisseurs prenait pour cadre l’Afrique de l’Ouest, espace de cet ex-empire. La marche de l’histoire nous emmena à l’indépendance.

 

 

Modibo Keïta en fut le Président. Homme charismatique, grand par la taille et l’intelligence, personnage imbu des vertus cardinales, d’honneur et de dignité, héritage de son illustre ancêtre, il était à la pointe de tous les combats pour l’indépendance des Etats encore sous le joug colonial et fit l’Unité africaine son credo. Du congrès constitutif du Rda à Bamako en 1646, à l’éphémère Fédération du Mali en passant par l’Union Ghana – Guinée – Mali homme de conviction, il inclut dans la constitution la loi fondamentale du Mali, l’abandon total de souveraineté au profit d’ensemble africain plus large.

 

 

Pendant les fêtes de la semaine de la Jeunesse au Stade Mamadou Konaté, il disait : «Le Mali est un carrefour de civilisations. Il est et demeure africain pour les Africains et le monde».

Malheureusement, un coup d’Etat mit fin à ses rêves d’africaniste convaincu et engagé. Mort en détention, son enterrement donna lieu à des violentes échauffourées entre la jeunesse et les forces de l’ordre. Il mourut adulé par tout un peuple, surtout par cette jeunesse ardente et vibrante plongée dans l’affliction à laquelle sa mort précoce ne mit pas fin. Son mémorial à Bamako témoigne de la reconnaissance de tout un peuple.

 

 

Ensuite vint la gestion des militaires, auteurs du coup d’Etat de 1968. Eux qui, très tôt, remplacèrent la plume par les fusils, les journaux en torchon. Les libertés ont été bafouées et le peuple bâillonné et asservi. Les nuits, les villes se transformaient en un immense dortoir enveloppé de silence inaccoutumé. Les règlements de compte et les purges sanglantes en leur sein finirent par installer un état de paranoïa, de complots, de projets séditieux contre la sûreté intérieure et de subversions. Le pouvoir, plus préoccupé à gérer une telle situation que de s’occuper du développement du pays. La haine implacable des intellectuels emprisonnés et torturés, les étudiants arrêtés et déportés, la classe politique corrompue.

 

 

Pendant 21 ans, le peuple vivait dans la misère absolue, la souffrance et la résignation, à tel point que les vieux se demandaient s’il existait encore des hommes au Mali. La fierté et dignité, socle culturel de ce grand peuple, cédaient la place à la fatalité.

 

 

Alors la jeunesse, fer de lance du tout peuple, à l’unisson, descendit dans la rue. Jeunesse courageuse s’offrant en agneau de sacrifice afin que renaisse le Mali. Elle n’avait comme bouclier face aux balles meurtrières que son cri « Vive la Liberté ». Trois cents morts sur les artères rougies de sang avec toutes ces mères affolées hurlant de douleur le corps ensanglanté de leur fils dans les bras. Horreur et terreur se conjuguaient au quotidien.

 

 

Le Mali est un pays béni et les tombeaux des 333 saints à Tombouctou où fut érigée la première université islamique en sont les preuves.

 

 

Enfin arriva ce jour béni de Dieu où un homme a osé. Pétri de vaillance, il a osé par un mois de mars 1991, au moment où tout espoir avait disparu. Sans effusion de sang, il déposa l’auteur de 21 ans de misère, de souffrance et d’obscurantisme de tout un peuple/ Le pays était à l’abandon, l’économie désarticulée et exsangue.

 

 

Le Mali est un pays de tolérance et de pardon et l’auteur de toutes ces exactions vit aujourd’hui libre à Bamako, devisant parfois au hasard des rencontres avec quelques rescapés handicapés de ses geôles de Taoudemit. Pays de pardon, notre beau pays.

La joie et la tristesse sont les paramètres de tout acte posé. L’Acte de cet homme providentiel du nom de ATT sera inscrit en lettres d’or au panthéon de l’histoire de l’Afrique. Cette nuit jamais la joie et l’allégresse n’atteignirent un tel paroxysme. Les vieux et les vieilles esquissaient des pas de danse sur leurs jambes frêles usées par les ans au rythme endiablés des tam-tams. Si on vivait au temps des légendes de nos ancêtres, on aurait dit que cette nuit-là, les anges habillés de blanc immaculé dansaient dans le ciel limpide et étoilé, et le bruissement des feuillages des arbres sous l’effet du vent ressemblait à des chants à la gloire du héros.

 

 

Dans toutes les villes, un seul cri, un seul nom : ATT. Nom transformé en chanson «ATT tu es nous, nous sommes ATT». Après sa première déclaration de rendre le pouvoir aux civils dans un an après des élections libres et transparentes, beaucoup riaient sous cape parce que les peuples très habitués à ce genre de promesse jamais tenue, surtout dans ce cocktail détonnant où les coups d’Etat proliféraient, où certains au pouvoir tripatouillaient la loi fondamentale pour s’y maintenir.

Engagé et disponible, il entame aussitôt les grands travaux (routes, électricité, agriculture, enseignement, santé) à telle enseigne que des voix s’élevaient déjà pour qu’il restât.

 

 

Après avoir tracé les jalons d’un Mali nouveau, le jour fatidique arriva. Après avoir organisé les élections démocratiques et transparentes, il rendait le pouvoir dans le délai qu’il avait fixé. Militaire pétri de grandes valeurs morales, exception dans ce magma de dictateurs, il partît anonyme, habillé du manteau royal de dignité, du don de soi et du respect de la parole donnée. Alors plus adulé que jamais par tout un peuple.

 

 

Le passage du témoin avec Alpha Konaré se fit sans anicroche. Ce dernier, conscient qu’il ne pouvait pas faire moins que ATT en un an, transforma le Mali en véritable chantier et changea le visage du Mali en un pays attractif. Il fit ses deux mandats et refusa malgré les pressions de tripatouiller la constitution pour se présenter à un troisième mandat. Ce qui lui valut d’être écouté et respecté partout par la communauté internationale.

 

 

ATTrevient en 2002, toujours après des élections démocratiques libres et transparentes. Tel un coureur de fond, il fit proliférer encore plus les chantiers et suscita envie et respect. Plus de coupure d’électricité et d’eau, multiplication des médias (journaux et radios) parce qu’il avait fait siennes ces paroles du président américain Jefferson qui disait : «  je préfère un pays avec les journaux sans gouvernement, qu’un pays avec un gouvernement sans journaux».

 

 

Le Mali devint le carrefour de rencontres internationales, colloques, séminaires, etc. Et sa croissance, selon les organismes internationaux, était exponentielle. La multiplication des autoroutes et des ponts, au grand bonheur du peuple, en font foi, malgré une crise internationale qui s’annonçait déjà en filigrane. Ce développement multiforme se poursuivait partout dans le pays.

 

 

A son deuxième mandat, toujours bien élu la crise internationale finit par s’installer, avec comme corollaire en pareilles circonstances les guerres, où le pétrole constitue un enjeu de taille et qui pour certains, un moyen d’en atténuer les effets. Son odeur flottait partout dans les salles de réunion et conférence. Ce qui devait arriver arriva. La Libye en fit les frais.

 

 

Invités à dîner par un éminent professeur, nous suivions à la télé la guerre en Libye avec l’arrivée des émissaires de l’Union africaine, le Sud-africain Zuma et le Malien ATT. Mon hôte me dit entre deux bouchées : «J’ai pitié de cet homme» parlant de ATT « Et je n’aimerais pas être à sa place. Il se bat bec et ongle pour trouver une issue heureuse à cette guerre, conscient qu’il est qu’en cas de défaite, ce sera la porte ouverte à ces milliers de combattants et mercenaires qui dans leur fuite avec des armes sophistiquées qui ont permis au défunt Président de tenir tête pendant de longs mois à une coalition militaire internationale, qui vont déferler vers son pays. Ce sera alors le chaos». La suite des évènements lui donna raison.

 

 

Au vu de cette armada de débiles et d’illuminés, avec des armements aussi sophistiqués, aucune armée africaine ne pouvait être en mesure de faire face et encore moins de tenir tête.

Le capitaine Sanogo, pour des raisons qui lui sont propres, fit un coup d’Etat alors que le Président ATT organisait les futures élections et était à 45 jours de la fin de son 2e mandat. Le concernant, l’histoire en sera juge. C’est alors que faisant encore preuve de sacrifice, de discernement et du don de soi, qu’ATT, pour éviter un bain de sang à ce peuple meurtri, dans un geste noble, présenta sa démission.

 

 

Jeunesse du Mali, voilà succinctement un rappel des évènements qui ont jalonné l’histoire de notre grand pays.

 

 

Quant à vous cultivez ce legs de dignité et d’honneur. Ouvrez-vous aux apports fécondants de l’extérieur sans aliéner votre culture.

 

 

Des promesses vous ont été faites à un moment de crise, saisissez cette crise pour la transformer en opportunité afin de réconcilier tous les Maliens de toutes obédiences confondues.

Soyez patients car comme le disait Buffon, la patience est le plus grand génie de l’homme.

Quant au nouveau président élu et non contesté, dites-lui : «Pas de chasse aux sorcières et d’esprit revanchard». Pas de multitudes commissions où certaines personnes au langage mielleux et au verbalisme pompeux se complairont par des guerres de positionnement, sclérosant tout élan de développement.

 

 

Dites-lui que beaucoup de grands pays ont réussi leur développement fulgurant après qu’une crise ait menacé leur unité voire leur existence. Ne dit-on pas qu’à quelque chose malheur est bon ?

Dites-lui que le Mali, aujourd’hui abattu et angoissé, retrouvera bientôt sa joie de vivre disparue, par un effort conjugué de tous pour sa reconstruction et sa réconciliation et revêtra alors les habits de lumières comme une mariée libre, heureuse et épanouie.

 

 

Dites-lui que vous êtes là avec lui pour transformer le Mali en pays

Qui aime

Qui pardonne

Qui tolère

Qui travaille

Qui partage

Qui aide

 

 

Dites-lui que la seule démarche qui vaille dans un pays où tout est priorité, est la reconstruction, la réconciliation et le travail.

 

Dites-lui de transformer le Nord en un espace où il fera bon vivre afin que nous puissions nous rendre en colonie de vacances en balade sur le dos de chameaux ou en bivouac au bord des oasis sous le ciel limpide et étoilé enveloppé du silence sublime du désert brisé seulement par nos rires de joie d’un Mali réconcilié avec lui-même.

 

Dites-lui que nous sommes conscients des défis à relever tant ils sont énormes, difficiles et multiformes, mais pour lesquels la réussite est une exigence. C’est pourquoi, vous l’avez choisi.

Vive le Mali.

Fousseyni DIARRA

Pilote Commandant de Bord à la retraite

Fass Mbao- Tél. 77 165 27 44/33853 0048

 

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9 COMMENTAIRES

  1. Quelle époque!Quelles mœurs!Jusqu’à quand abusera-t-on de notre patience?

  2. Monsieur Diarra, A quel moment de la crise la menace était réelle? IBK ignorait-il la situation? N’a-t-il pas dit ouvertement que l’armée defendre le pays?
    Monsieur Diarra, les djihadistes, nous les produisons(El-H Omar Tall est celebré au Mali, Mahamoud Dicko a fait le plein du stade 26 Mars, Sabati et IBK, j’en passe).
    L’empire du Mali n’est pas vraiment la fièrté: non respect de la tradition, coup d’etat(le petit frère ne prend jamais le pouvoir tant que le grand est vivant). J’ai honte quand j’entends des gens dire qu’il y avait la democratie avant les blancs (democratie et esclave, à moins que les griots mentent).
    Monsieur Diarra, je vous demande de voir les films de Souleymane Cissé et Séddo de Sembene Ousmane. Vous vous ferez une idée de hipocrisie malienne. De grace ne demandez à jeunesse malienne d’être patiente.
    Merci toutes mes considerations.

  3. Non.

    Jeunes maliens, cela fait bien trop longtemps que vous êtes patients.
    Vos aînés vous livrent un pays en piteux état.

    C’est maintenant que vous devez agir, n’attendez rien, n’attendez personne. Si de grandes choses doivent arriver au Mali, ce sera uniquement par vôtre action et non celles des hommes politiques ou de vos parents.

    C’est à vous de faire du Mali un pays dans lequel il soit agréable de vivre, un pays débarrassé de la violence, de la maladie, de la pauvreté, des vieilles coutumes comme l’excision ou le mariage forcé.

    Soyez entreprenants, faites quelques chose de vos mains, faites quelque chose de vôtre cervelle. Ne suivez pas les chemins préetablis, tracez les vôtre.

    Demain, l’Afrique sera grande, et c’est à vous qu’il appartient de décider la place du Mali dans cette Afrique là.

  4. Merci MR. DIARRA pour ces bons conseils. Comme vous l’avez souligne beaucoup de pays se sont souleves apres de tres graves crises. Je vis en Pologne et je peux confirmer cela. La Pologne est un Pays qui de 1939-1945 a ete ecraser par les NAZIS d’Hitler, apres de 1945 – 1989 ce pays fut annexe par les RUSSES. Depuis la chute du mur de Berlin et la victoire de LESS WALESA en 1991, ce pays est aujourd’hui un example de developpement et de reussite.
    Je suis sur que nous MALIENS de tout bord nous reussirons. Sana rancouer nous aiderons, partout ou nous nous trouverons, a developper ce PAYS. C’EST LE MOMENT POUR DEMONTRER AU MONDE ENTIER QU’UN ETAT AFRICAIN PEUT SE DEVELOPPER. NOUS AVONS TOUTES LES RESOURCES POUR Y PARVENIR.

  5. Merci mr le Journaliste que dieu te bénis .Je suis un peu ingrate mais pas envers ATT ,l`homme qui a tout fait pour le Mali .mr Sanogo qui a trahi le Mali pour le compte de MNLA va voir un jour tôt ou tard

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