Lettre au Président de la République du Mali : ATT, sabali !

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Monsieur le président de la République,

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Je sais que vous êtes un diplômé de l’Emia et que dans cette école, la littérature n’est peut-être pas le sujet de prédilection. Je n’ai pris connaissance, nulle part dans vos différents récits de vie, un penchant particulier pour les belles lettres. Mais, puisque vous avez décidé de mettre au pas, expression favorite de votre univers galonné, la presse indocile, je me dois de densifier cette lettre en vous parlant de littérature.

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J’ose croire qu’au détour d’une conversation ou en suivant la télévision, vous avez entendu parler d’Alexandre Soljenitsyne. Il est l’auteur d’une des œuvres les plus remarquables de la littérature du 20e siècle : L’Archipel du goulag. Avant de vous entretenir de la portée prophétique de cette œuvre pondue dans la souffrance et la douleur, je vais vous faire une biographie succincte de celui qui, en recevant le prix Nobel de littérature en 1970, annonçait, de manière prémonitoire, qu’aucun régime au monde ne peut bâillonner la liberté de son peuple et espérer gagner la bataille.

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Alexandre Soljenitsyne n’avait que 21 ans quand il est enrôlé dans l’armée soviétique alors qu’élève, il s’était révélé particulièrement doué tant en lettres qu’en sciences. Vers la fin de la Deuxième Guerre mondiale, alors qu’il étrennait ses galons de capitaine (juste un petit capitaine après avoir passé cinq ans d’affilée dans les tranchées alors que des officiers pantouflards devenaient colonels), il est embastillé pour avoir, dans une correspondance à un proche, douté des qualités militaires de Staline.

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Vous savez, Monsieur le président, Joseph Staline était un dictateur sanguinaire, hypocrite et sournois qui se prenait pour le plus grand stratège militaire de l’Histoire. C’est à la suite de cette banale affaire de lettre que Soljenitsyne est condamné à 8 années de déportation dans un goulag. Le goulag était à l’URSS ce que Kidal était au Mali. Son œuvre, l’Archipel du goulag, publiée en 1973, conçue et créée dans cet univers, fera de lui un intellectuel mondial et aidera les peuples de l’Union soviétique à se libérer de la dictature, de la tyrannie.

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Monsieur le président de la République, si je vous parle d’Alexandre Soljenitsyne, ce n’est pas pour m’étendre sur la qualité de son écriture. C’est, au contraire, pour vous inciter à lire et à comprendre l’essence de son message, la trame de cette œuvre se trouve dans une conviction absolue : aucun pouvoir au monde ne sera jamais assez puissant pour étouffer la liberté de son peuple. Et le fondement de cette axiologie est la liberté d’opinion que la presse malienne vivifie de jour en jour.

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Comprenez-moi donc très bien : votre guerre ouverte est perdue d’avance. Vous ne sortirez jamais victorieux de cet affrontement parce que jamais, mais alors tenez le pour acquis, jamais les Maliennes et les Maliens, ne renonceront sous la terreur ou la menace, à cette liberté qui est atavique à la nature humaine. La presse, en démocratie, n’est pas ce que la prière surérogatoire est à la religion musulmane. Il n’y a pas de démocratie sans presse libre.

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Monsieur le président de la République, il y a encore, au Mali et dans le monde, des personnes pour lesquelles vous êtes le héros du 26 mars 1991 ; celui qui est entré dans l’Histoire du Mali et de l’Afrique par la grande porte en portant l’estocade finale à une tyrannie absconse qui conduisait la patrie vers le naufrage. Wole Soyinka, fin d’esprit et d’analyse pertinente, disait, en substance, parlant de Yakubu Gowon, qu’il est à la portée de tous les êtres de devenir un jour des héros, mais peu de héros meurent avec ce titre. Or, il se trouve par hasard, que Soljenitsyne et Soyinka sont tous les deux prix Nobel de littérature. Vous ne pouvez donc les considérer comme des nains de la pensée moderne.

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Monsieur le président, le procureur Sombé Théra de la Commune III, vos conseillers, laudateurs et « amis » intéressés vous rebattent peut-être les oreilles et vous poussent à la faute en magnifiant votre feuille de route, en minimisant la colère du peuple, en vous assurant de la loyauté de la majorité et en présentant les journalistes comme des ennemis à faire taire. Vous avez le choix de les écouter et de sombrer seul ou de les remettre à leur peuple en défendant la démocratie et la liberté. Car, ne vous y trompez pas : le jour où, par les excès et les aberrations, le héros deviendra paria, vous serez seul à méditer les leçons de cette chute. Les laudateurs seront déjà en train de chanter les louanges de votre successeur. Et, le lendemain matin, le soleil se lèvera encore à l’Est, la roue de l’histoire continuera à tourner.

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Monsieur le président de la République, je vous rappelle deux grandes maximes bamanan : « Dan tè sabali la » et « Sabali de bè kouroun se dangan la ». Traduction approximative : « Il n’y a pas de limite à la sagesse » et « C’est la sagesse qui permet à la pirogue d’arriver au quai ». Je vous rappelle cela parce que, dans la conception même du pouvoir, il ne faut jamais oublier ce que disait le monument de la pensée chinoise de l’Antiquité Lao-Tseu : « La force du pouvoir réside dans le respect que lui voue la population sinon, la force brutale qui terrorise ne fait peur qu’un moment. Tôt ou tard, il sera vaincu. L’avantage de la force, c’est de la montrer et de ne prier de ne jamais avoir à l’utiliser ».

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ATT, il est aujourd’hui urgent de regarder votre pouvoir en face, de faire une introspection et de comprendre la crainte des démocrates. Il y a de sérieux indices qui laissent présager une dérive autoritaire sur les rives du Djoliba. Les signes avant-coureurs de cette déviation se trouvent dans les arrestations brutales, arbitraires et illégales des journalistes et du Pr. Bassirou Minta, accusés de délit d’opinion, et dans la parodie de procès, du hideux huis clos qui ont abouti à leur condamnation injuste qui n’est rien d’autre qu’un déni de justice.

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Je ne voudrais pas épiloguer sur la prétendue indépendance de la justice, du sacro-saint principe de séparation des pouvoirs qui n’est que poudre de perlimpinpin pour grands naïfs. La justice malienne est indépendante de tout sauf du pouvoir politique et le parquet n’est qu’une caisse de résonance de la chancellerie. Le procureur Sombé Théra n’aurait jamais eu l’outrecuidance de cadenasser des journalistes et des patrons de presse sans l’imprimatur de ses chefs hiérarchiques et de Koulouba.

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Votre allergie à la pensée critique est une menace sur le Mali. Votre propension à écouter et crédibiliser les ennemis de la démocratie malienne est un danger. Non, Monsieur le président, vos critiques ne dépendent pas de vous pour vivre, se loger et s’habiller. Ils ne sont ni « jaloux » ni « aigris » car le Mali est un bien commun, c’est une vérité irréfragable.

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ATT, il y a probablement des gens qui vous « félicitent » d’avoir corrigé les impudents qui refusent de chanter vos louanges et ont fait le choix libre de supporter d’autres causes. Vous avez votre presse qui vous obéit au doigt et à l’œil. Est-elle d’une qualité qui ne répond pas à vos attentes ? Pensez-vous que cette presse présidentielle manque encore de zèle malgré le renfort de l’ORTM et de L’Essor ? Pourquoi en voulez-vous aux quatre ou cinq journaux privés qui ont décidé d’enfourcher d’autres causes ? Ne serez-vous heureux que le jour où le Mali entier se mettra à chanter votre gloire ? Malheureusement, il faut comprendre que cela n’arrivera jamais.

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Pour terminer, je vais juste vous rappeler une citation d’Alexandre Soljenitsyne : « Nulle part, aucun régime n’a jamais aimé ses grands écrivains, seulement les petits ». C’est pour conclure qu’aucun régime n’a jamais aimé ses critiques, seulement, c’est la règle de la démocratie. Il est triste que vous entriez dans l’Histoire du Mali comme le premier président de la République sous lequel des journalistes qui n’ont fait que leur travail ont été arrêtés, jugés en catimini et condamnés.

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Je vous prie de considérer cette lettre comme un rappel et de revenir à des meilleurs sentiments et surtout de cultiver en vous, le militaire, le sens de la démocratie, de pensée critique et libre et surtout d’avoir la patience d’un Alpha Oumar Konaré, mille fois insulté, haï, vilipendé sans jamais embastiller des journalistes ayant compris qu’il est en train de bâtir une autre nation.

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Ousmane Sow,

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(journaliste, Montréal)

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