Cher oncle, Nangadef !
De ta dernière lettre, je n’ai essentiellement retenu que ce conseil que tu me prodigues : « Prend les choses avec philosophie, petit Ablo. Cette vie ici-bas n’est rien. Poussière tu es, poussière ; nous sommes tous ».
J’avoue cher oncle, que tu me surprends fort par ce que tu dis là, mais je suis sûr que tu n’as pas perçu, à travers ton dire, une quelconque invitation au suicide. Ce qui y est pourtant évident. Figure-toi que je prends effectivement les choses avec philosophie car, autrement, sans argent, sans emploi et sans aucune certitude du lendemain, je me serais, depuis fort longtemps, « auto assassiné ». Aussi, la « vie ici-bas » est bel et bien tout et vaut tout. D’ailleurs, même la mort vaut quelque chose car elle a l’avantage d’abréger définitivement nos souffrances et surtout d’établir une vraie équité entre tous les vivants… d’en haut comme d’en bas.
Eh oui, cher Bass, que l’on soit petit ou grand, pauvre ou riche, malade ou sain, ministre ou vendeur de charbon, cafre ou musulman, tôt ou tard, la mort vous foudroyera.
Poussière, je serai certes un jour, mais tant que je conserverai ma misérable carcasse, (et c’est encore le cas) je serai tout simplement Ablo et peut être bien… Malien de l’extérieur sur la terre de « nos ancêtres les Gaulois ».
Ne m’en veux point, cher tonton, pour ce que je dis là, mais, c’est ça qui est ça ! Walaï, Bilaï, je jure !
A présent, je t’informe qu’effectivement, grand-mère et toute la troupe famille se portent bien… Puisque, personne n’est encore devenu… poussière. Et, en famille, à l’instar de la grande majorité des Maliens et de la communauté internationale (musulmane), tous, nous observons le carême depuis le samedi 27 mai 2017. A la différence que, chez nous, chez tous les Maliens d’en bas, le jeûn s’étale déjà sur les 365 jours de l’année. De là à dire que nous y sommes habitués, n’est que pur mensonge car, on ne s’habitue pas à la misère. Ceci, je le dis aussi à l’intention de ces prêcheurs aux ventres dodus, à la nuque bien grasse, qui n’arrêtent de nous pomper l’air sur la TV nationale qu’ils se sont appropriés depuis le 27 mai dernier. Figure-toi, oncle Bass, qu’un de ces prêcheurs, en est même venu à la déduction suivante : « le jeûn a la vertu de créer chez les riches et autres nantis, un sentiment de compassion pour les pauvres. Car les riches qui observent le carême comprendront ce que valent la faim et la soif ». Sacrilège !
Comment, cher oncle, celui-là qui, réveillé de son lit moelleux, dans cette chambre au luxe insolent, se tape au « Suguri » 2 poulets rôtis, 3 litres de lait frais « Président » ou « Candia », une bouteille d’eau minérale bien frappée, avant de se rendre dans son bureau climatisé, peut-il, lui, connaître et comprendre l’épreuve de la faim et de la soif ?
Comment, le riche qui ne médite que sur les voies et moyens de devenir encore plus riche, peut-il connaître et comprendre les souffrances de ce pauvre diable qui n’arrive pas à fermer l’œil de la nuit, parce que n’ayant même de quoi assurer l’unique repas du lendemain ? Bref ! Je ne vais pas m’attarder plus longtemps sur ces histoires. Celui qui croit en Dieu, qu’il y croit, celui qui n’y croit pas, qu’il n’y croit pas. Un point, un trait. « Lakoum dinnoukoum, waliyadin ».
C’est ça qui est ça !
A lundi prochain, Inchallah
Par ton petit Ablo, bientôt à Paris !