On pourrait toujours reprendre à notre compte l’éternelle question que se pose le commun des Maliens : que se passe-t-il réellement au Nord de notre pays ? Entre des médiations annoncées et des affrontements meurtriers, le tout sur fond de terrain miné, il y a de quoi perdre ses certitudes.
Il y a un an, à la faveur des accords controversés de Alger, les Maliens étaient sous le feu roulant des agents de la propagande officielle. Civils zélateurs et officiers supérieurs ayant égaré les règles de mutisme qui sied à la Grande Muette rivalisaient d’ardeur et de slogans. Ceux qui avaient émis des réserves sur l’approche officiellement adoptée et des doutes sur l’applicabilité des engagements pris, faute d’être traduits devant un poteau d’exécution, ont lynchés sérieusement à travers certains journaux de la place. Il y en a qui abusaient de persiflages sur les guerres qu’on gagne en les évitant, théorisaient sur le fait que les militaires ne doivent pas faire la guerre, ironisaient sur ces civils qui se coucheraient à côté de leurs femmes et de leurs enfants quand eux, les militaires, iraient affronter l’ennemi. Cette atmosphère de tchatche généralisée tranche avec le silence de cathédrale actuelle. C’est qu’entre temps, les belles théories échafaudées ont fondu comme beurre au soleil du nord.
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Les bravaches d’hier ont laissé le « sale » boulot à la DIRPA en lui refilant la patate chaude en matière de communication. C’est qu’il n’y a rien à dire. En témoignent les communiqués laconiques émanant de ce service confiné à jouer le minimum syndical. Et pour ne rien arranger de la situation, les Maliens d’un naturel sceptique prennent avec des pincettes les communiqués émanant du ministère de la Défense. Pire, même les radios internationales auxquelles les Maliens se fient abordent le Nord Mali avec le conditionnel comme précaution de langage.
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Dans cette confusion, une chose est sûre : le pays est en guerre. Et le principal enjeu de cette guerre qui échappe au commun des Maliens, c’est le contrôle des routes des trafics en tous genres. Bien entendu, on pourrait y greffer toutes les raisons qu’on voudrait, toutes les frustrations supposées ou réelles, tous les manquements aux différents engagements ; mais la raison primordiale est liée aux trafics qui font et défont les prospérités individuelles, implantent des baronnies locales et renforcent de petits potentats. Tout le monde en profite, y compris l’Etat qui laisse faire en fermant les yeux. Bahanga, cette fois-ci, met tout l’édifice en danger, il expose le système qui pourrait ne plus jamais se remettre de cette ènième poussée de fièvre. D’où les médiations de toutes natures qui se déploient et qui n’ont pour le moment aucune chance de réussite.
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Après la médiation menée par Iyad Ag Ghali qui a eu des résultats pour le moins mitigés (une trêve prolongée, des prisonniers de guerre libérés), il y a le député de Kidal et non moins fils du patriarche Intalla, Algabass, qui a pris son bâton de pèlerin pour partir à la recherche de Bahanga et de ses hommes. Cette improbable médiation arrive à un moment où c’est la confusion la plus totale. Du fait de l’intervention des Américains qui avaient largué des vivres pour nos militaires de Tinzawatène, Bahanga a rompu la trêve et depuis une semaine, il attaque tout ce qui bouge. Les communiqués du ministère de la Défense confirment bien que ce sont les assaillants qui ont l’initiative et nos militaires sont sur la défensive se contentant le plus souvent de repousser Bahanga et ses hommes.
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Du fait de la non-maîtrise du terrain, miné depuis les premiers jours de la reprise, nos soldats ne peuvent même pas risquer une course poursuite contre les assaillants. Ils sont encore sous le choc des camions et autres véhicules qui ont sauté sur des mines occasionnant de nombreuses victimes. Algabass et ses accompagnateurs auront donc du souci à se faire. Parce que sa mission est loin d’être gagnée. Primo, tout connaisseur du désert qu’il est, il lui faudra éviter les nouveaux pièges qui parsèment le terrain. Secundo, il lui faudra mettre la main sur Bahanga. C’est une phase quelque peu délicate actuellement parce que Bahanga doit être méfiant et sur ses gardes.
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L’homme que l’armée malienne poursuit, si l’on en croit les communiqués, ne hasarderait pas à s’exposer à l’air libre. Tertio, il faudra le convaincre de lâcher les armes et de revenir dans le processus de paix dénoncé à son tour par Fagaga. Rien n’est gagné à ce niveau tant l’homme semble remonté contre les autorités qu’il accuse, à la suite de Fagaga, de manque de volonté politique pour l’application des accords ; Fagaga a même déclaré que tant que les accords ne seront pas appliqués et leurs revendications satisfaites, il ne saurait être question de trêve encore moins de cessation des actes de guerre. Et puis la présence américaine dans la zone ne devrait pas faciliter les négociations.
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Ce qui se passe dans le septentrion tend à prouver que cette partie du pays est devenue un vaste no man’s land, sans foi ni loi, échappant à tout contrôle. Il est vrai que le Nord n’a jamais été un espace que l’Etat maîtrise totalement. Mais force est de reconnaître que c’est bien la première fois que le sentiment est largement répandu qu’il nous échappe complètement. Nos voisins algériens, pour d’évidentes raisons de sécurité intérieure et de géopolitique saharienne n’ont jamais fait mystère ni de l’intérêt qu’il porte sur cette partie ni de l’influence sur les acteurs.
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Livrant un combat à mort contre le terrorisme islamiste, Alger fait actuellement face à une résurgence de attentats qui sont attribués aux résidus d’un phénomène qu’ils ont pu mâter pour le moment. D’où l’importance pour eux de ne pas perdre de vue les traces de leurs terroristes dont ils ont perdu certains de vue avec le net sentiment qu’ils se sont fondus dans le désert. A la faveur de cette nouvelle crise, l’Algérie a été officiellement sollicitée pour venir en aide à nos soldats coincés à Tinzawatène du fait du blocus imposé par les mines posées par Bahanga et ses hommes. L’Algérie a semble-t-il traîné les pieds avant de livrer quelques kilogrammes de céréales incapables de nourrir convenablement plus de 200 militaires affamés. C’est là que les Américains ont été sollicités.
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Présents au nord de notre pays depuis quelques années, les Américains ont saisi cette occasion inespérée pour officialiser leur présence chez nous et leur implication dans la lutte que notre pays a déclenchée contre le terrorisme. Sauf que cela a été mal perçu par Bahanga et ses troupes qui depuis multiplient les attaques contre nos soldats contraints à la défensive parce que, pour reprendre les propos du colonel Abdoulaye Coulibaly cité par le journal l’Indépendant, « notre armée n’est pas une armée agressive ». Après plus de quinze jours de violence, le moment est venu de prendre les mesures qui s’imposent pour ramener la paix.
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L’improbable médiation menée par quelques bonnes volontés du Nord conduite par l’honorable Algabass Ag Intalla ne sera qu’une médiation de plus. Le Nord fait partie du Mali et c’est aux autorités de prendre le taureau par les cornes. En faisant en sorte que les extrémistes du genre Bahanga et Fagaga soient mis à la touche. Cela passe nécessairement par des actions militaires concertées avec tous les pays impliqués dans la gestion des problèmes de terrorisme mais également par la mise à plat des engagements pris dans le feu de l’action afin de les adapter à la réalité de nos moyens. Le Mali doit rendre crédible ses actions de développement ; quelle que soit par ailleurs la région concernée. Le Mali doit rendre applicable les engagements qu’il prend avec ses enfants. Cela dans le strict respect des lois de la République. Sinon, ce qui se passe au Nord ternit notre image et pourrait nourrir des frustrations au sein des Maliens.
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Bassaro Touré
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