Une brève histoire du Nord II. / Toucher du bout des doigts

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C’est donc un enfant qui m’accueille. Je lui donne mon seul stylo, séduit par l’idée que, ici, on vit pour étudier. A la poursuite du savoir, je ne peux m’empêcher de comparer les deux enfants : Celui de la falaise et celui de la plaine. Cette subtile approche qui fera plus tard toute la différence. L’argent face au savoir, éternel débat. Je prends mon parti : je serai du côté de l’enfant des plaines.

Me voilà à l’intérieur du village Dogon. Je suis attentif à la moindre chose. Ma mère fait surchauffer son appareil photographique à force de prendre en photos tous les greniers à mil qu’elles croisent, les trouvant  « superbes ». Mon père discute avec le guide, seul cette fois ci. Moi cela fait quelques temps que je fixe le chameau attaché au pied des greniers à mil. Il est Blanc! C’est bizarre un chameau blanc, non? Animé par les légendaires mouvements circulaires de ses mâchoires appliqués à mâcher, je me rends compte que j’ai regagné en liberté. Quelques heures auparavant, le guide se serait arrêté pour m’attendre, alors que maintenant il me faut rattraper le groupe qui s’est éloigné. La flânerie est possible.

 Le village est peut être moins pittoresque que le précédent mais ce qu’il perd en folklore est gagné en authenticité. Les enfants qui viennent à moi sont plus intéressés par ma couleur de peau que par la profondeur toute relative de mon porte monnaie. Un village sans hôtels, ni auberges. Que ce soit à l’extérieur ou à l’intérieur des murs, ici, ne résident que des dogons. La population continue de travailler selon les mêmes schémas ancestraux. La sempiternelle reconstruction des maisons en banco précède la récolte du mil auquel suivra la mise en dépôt du fruit de la coupe. La population organisée trouvera à chaque âge sa place dans le déroulement imperturbable de la vie au village. Ces lieux construisent le terreau de l’hospitalité malienne. Elle ne m’abandonnera plus jusqu’à la fin du voyage.                                   

Nous sommes sur le départ. Si ce n’est pas la totalité des enfants qui se sont retrouvés auprès de nous, c’est l’écrasante majorité. En tout cas, je ne vois pas comment il pourrait y en avoir plus. De l’extérieur, nous sommes 3 géants au milieu d’une foule compacte. Je rends les sourires au plus grand, et les froncements sourcils inquiets des plus petits.

Cette foule m’évoque une phrase dans le livre « Novembre à Bamako» où la narratrice s’étonnait du rapport à l’espace entre les enfants. Elle prenait pour exemple six jeunes filles qui s’occupaient à tresser les cheveux d’une jeune femme. Je ne peux qu’être d’accord lorsqu’elle écrit que les enfants n’ont pas cette distance de sécurité que l’on s’impose par la suite. Ils font aussi preuve d’une agilité déconcertante devenant un corps à six têtes, se chevauchant les unes aux autres, tout en ne se gênant pas le moins du monde pour tresser les cheveux de leur ainée. Quand je compare cet exemple à ce que je vois, je me dis que même en organisant logiquement cette foule je ne parviendrai jamais à en placer autant dans un espace si confiné. Le désordre surpasse l’ordre que j’imagine.    

Quelqu’un m’extirpe de ces pensées étrangères, en me hélant. Une femme en début de trentaine, un bébé dans les bras, me fait un signe de tête tout en montrant sa main, libre de l’enfant. Dans le monde des pouces, le sien aurait été baobab. L’infection triplait le doigt et au sommet de ce géant sillonnait une larme de pue jaune. Loin de tout dispensaire, donc de traitement l’infection commençait à atteindre le poignet. Le canari figeait son visage en un masque de douleur. En attendant d’aller au dispensaire elle pourra prendre des antibiotiques qui amélioreront son cas.                          

Fin de la première journée. Je vous épargne ce que tout le monde sait de la disparition des touristes dans les hôtels, le désespoir des vendeurs de souvenirs, les discussions moroses entre guides et serveurs au restaurant. Je vous confierai seulement la gratitude dont ils nous faisaient part pour être français: les seuls touristes avec lesquelles ils partagent la même langue.                       

Levée : 6 heures. Départ : 7 heures. Beaucoup de pistes. Visite de la falaise. Marche sur la falaise. Descente à pied de la faille dans la falaise. Pistes à nouveau. Village Télém. Pistes encore. Voir un caïman. Pistes pour finir. Le deuxième jour est aussi mouvementé que les saccades de la voiture. Arrive le repos, dans un village qui me donnera la plus belle image que je retiendrais du pays Dogon. Celle que j’oublierai en dernier. A la fin de cette journée, j’ai mis un peu plus à l’air libre les racines de Bamako. J’ai découvert ce que l’on ne peut pas trouver dans les livres. J’ai touché du bout des doigts ce qu’être Dogon signifie. Le soir me réserve des surprises.        

Tom PIEL 

 

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