« Revenir à la table des négociations avec une revendication fédéraliste est une manière pour les responsables des différents mouvements de se “dédouaner” vis-à-vis de leurs militants… »
Intagrist El Ansari est un journaliste malien, correspondant en Afrique du Nord-Ouest (Sahel-Sahara) pour des journaux internationaux. Réalisateur de magazines TV, il a aussi travaillé sur des films qui s’intéressent aux cultures sahariennes. Son dernier livre paru est « Echo saharien, l’inconsolable nostalgie » (1). Il livre ici son analyse sur les pourparlers d’Alger qui, un temps repris, ont été à nouveau suspendus, sur la profusion des groupes armés au Nord du pays. .. Et pour lui : on ne revient pas en arrière, tout le monde veut aujourd’hui la paix, il appartient aux acteurs – armés – de se mettre d’accord sur quelque chose pour arriver à bout de cette histoire, afin que les gens reprennent une vie normale.
A Alger, les groupes rebelles de la coordination des mouvements politiques de l’Azawad ont revendiqué le Fédéralisme. N’est-ce pas là un retour à la case départ et un déni des signatures de l’Accord préliminaire de Ouaga et de la feuille de route des pourparlers qui enterraient toute revendication fédéraliste, indépendantiste…?
Il est évident que la remise sur la table des négociations de la revendication d’un fédéralisme ou autonomie pour le nord, est un non sens, puisqu’ils (les groupes armés du Nord) avaient signé une feuille de route, en juillet dernier, devant témoins internationaux, les caractères « Unitaire », « Républicain » et « l’Intégrité territoriale » de l’Etat malien. Le caractère “Unitaire” signifie bien la forme d’administration et de gouvernement d’un pays « Uni » autour d’un pouvoir central et des institutions républicaines qui « dépendent » de celui-ci, ce qui est différent d’une Fédération fonctionnant avec des entités institutionnelles (ou étatiques) – « multiples », en opposition à la notion « d’Unité » -, et politiques plus ou moins « indépendantes » les unes des autres. En deuxième lieu, en reconnaissant la Constitution de la République du Mali – dans sa version actuelle – il n’est fait mention, nulle part dans la feuille de route, que cette reconnaissance, par les groupes armés, est sous réserve d’une révision constitutionnelle ultérieure, ce qui s’ajoute au non-sens du revirement ou du rebond d’une revendication autonomiste.
On peut penser qu’il faudra un peu plus de temps que prévu, à la médiation Algérienne pour parvenir à faire adopter le projet d’accord, remis aux belligérants, qui s’inscrit strictement dans le cadre de cette feuille de route.
En deuxième piste de réflexion, on pourrait s’interroger sur une possible tentative “d’esquive politique” par les groupes armés vis-à-vis d’une partie de leurs militants qui avaient tant misé sur “l’indépendance”, accepté ensuite “le Fédéralisme”, et/ou au moins une ” large autonomie” de “l’Azawad”. Revenir à la table des négociations avec cette revendication est tout juste, à mon sens, une manière, à long terme, pour les responsables des différents mouvements de se “dédouaner” vis-à-vis de leurs militants, en prétextant aux yeux de ceux-ci “que résistance avait été faite, jusqu’au bout”. En fin de compte, il ne serait pas surprenant que les différents groupes reviennent dans quelques semaines, avec l’accord signé, pour dire à leurs militants : “vous avez vu, nous avons tout fait, mais l’accord nous a été imposé”. Je crois que cette histoire de va-et-vient est simplement un jeu pour gagner du temps et affaiblir l’attente des quelques militants des groupes armés, car la question – ou le compromis – a été bien scellée à mon sens, dès la signature de la feuille de route en juillet dernier, et c’était clair pour tous, même pour les militants des groupes armés qui s’étaient alors indignés et qui avaient compris dès lors « qu’ils n’allaient plus rien attendre des différents groupes armés ».
Le Front Populaire de l’Azawad a déclaré sa démission de la coordination.
Est-ce le signe que ces mouvements sont dans un jeu d’alliance qui ne résistera pas à la réalité qui prévaut dans les régions appelées « azawad », notamment cette insécurité à deux visages, celle des djihadistes et celle intercommunautaire ?
La profusion des groupes armés est avant tout le signe de conflits d’intérêt d’ordre clanique, ou tribal, qui se jouent localement et au sein des groupes armés initiaux. Ces derniers temps, il y a eu multiplication de groupes. Certains se revendiquent de “l’Azawad”, d’autres sont des groupements d’autodéfense. En fait, c’est simplement que chacun ne veut pas rester en dehors, sous coupole, ou mal servi par un autre. Personne ne veut être exclu de ce qui se trame autour de la table, chacun veut bénéficier du lot d’avantages qui découleront de l’accord, des intégrations, “des projets locaux”, de créations des communes et régions, etc.
C’est ce cadre qu’il faut analyser pour comprendre les scissions, les démissions, ou les naissances des groupes. En effet, quand vous regardez les enjeux locaux, vous vous apercevrez que, soit explicitement, soit de manière détournée, derrière chaque groupe (armé) se tient, en fait, une tribu, une fraction ou un clan d’une région. La fragmentation des groupes armés démontre d’ailleurs fondamentalement l’absence d’un projet politique cohérent, fiable et assez viable pour intégrer tout le monde, toutes tendances confondues, mêmes celles divergentes, à la base de « cette révolte ».
La question de l’urgence sécuritaire que vous évoquez subsiste, mais elle vient au second plan, au regard des intérêts et des recompositions qui traversent les différentes tribus Touarègues, particulièrement à Kidal, mais aussi à Gao, et dans une moindre mesure, à Tombouctou.
– Selon vous, aujourd’hui, que faire pour le Nord, surtout pour Kidal où tout semble bloqué?
Il est vrai que Kidal est le centre névralgique d’un problème, beaucoup plus vaste, qui concerne tout le Nord du Mali. Quand on a une problématique aussi complexe, qui resurgit régulièrement depuis les indépendances, elle ne doit en aucun cas être le projet d’un petit groupe, ou discutée avec une seule partie, armée ou pas d’ailleurs.
L’option, pour analyser, comprendre et trouver des solutions adaptées, c’est l’inclusion des différentes tendances des sociétés multiethniques maliennes. On avait préconisé jadis, prématurément, des solutions qui passaient forcément par l’implication des sociétés civiles, une implication beaucoup plus fortes des vieilles chefferies traditionnelles qui sont les garantes des bases sociales, historiques, culturelles, – ces vieilles chefferies dont on entend pas parler, parce qu’elles ne sont, en majorité, pas les bras armés des rebellions -, des différentes communautés maliennes, en général et Touarègues en particulier, car « c’est la question Touarègue qui ressurgit à chaque deux ou trois décennies ». Si le Mali « devait être une fédération », ou si « l’Azawad devenait un état indépendant », ou si « de nouvelles régions se créaient au Mali » etc…, cela entrainerait des réformes importantes pour le pays, mais aussi bien sûr pour les populations. Il faudrait donc les consulter, pas en les faisant assister à des ateliers pour leur annoncer quelque chose décidée d’avance ! Non ! Il faudrait que les différents responsables, les chefs coutumiers, traditionnels, qui sont connus de tous, soient partie prenantes des décisions et solutions.
L’accord de Ouagadougou reconnaissait cette nécessité. Il était prévu des pourparlers inclusifs, c’est à dire qui allaient se situer bien au delà du tête à tête, habituel, groupés armés / gouvernement. Que s’est-t-il passé pour organiser Alger ? Chaque partie invita son groupe qu’il présenta alors comme “la société civile”. Cette « société civile » était en fait l’ossature soit de l’Etat soit des groupes armés. De ce fait, dans le processus en cours à Alger, on ne peut pas parler de présence de sociétés civiles indépendantes, même s’il y avait certainement ici ou là une association, un petit groupe, avec une démarche plus ou mois indépendante. Ce fut une erreur manifeste. La majeure partie des civils a volontairement été exclue des solutions proposées et discutées en leur nom. Ce n’était pas ce qui était prévu dans l’article 21 de l’accord de Ouagadougou de juin 2013. Ce n’était pas non plus, ce dont le pays avait besoin après une si longue déchirure sociale, politique, sécuritaire et institutionnelle.
Mais on ne revient pas en arrière ! Aujourd’hui, tout le monde veut la paix. Il appartient donc aux acteurs armés de se mettre d’accord pour arriver à bout de cette histoire, et qu’enfin les gens reprennent une vie normale.
(1) Echo saharien, l’inconsolable nostalgie, Editions Langlois Cécile, 2014, Paris
Propos recueillis par Boubacar Sangaré (interview réalisée via Internet)