Il devient de plus en plus difficile et incertain d’avoir, au fil des jours, une claire image des atteintes et des manquements graves portés, en terrain conquis, par les islamistes radicaux aux valeurs matérielles et immatérielles de prestigieuses cités dont la ville millénaire de Tombouctou, un haut lieu de culture islamique. La mise en cause de symboles forts de communion maintenus et entretenus pendant des siècles dans la bonne foi, la bonne attitude, le bon sens et les préjudices, désagréments provoqués par les actes des occupants en disent long sur l’ampleur des forfaits, des saccages commis par des individus qui se réclament pourtant de l’Islam, religion dont la sainte ville constitue un phare, une lanterne ayant toujours éclairé le monde musulman.
Une vaste opération d’anéantissement de l’ensemble des mausolées, en embuscade depuis le 1er avril 2012, jour d’occupation de Tombouctou par les groupes armés, a été délibérément déclenchée depuis le vendredi 4 mai 2012, très tôt le matin avec la démolition du mausolée du Grand Saint Cheick Sidi Mahmoud, enterré, à son rappel à Dieu, dans le vestibule de son propre domicile. C’est le prélude d’une série de profanations d’autres sites dans les cimetières, les rues, les grandes mosquées. Actuellement, huit sanctuaires ont connu des bavures similaires et les menaces de péril de l’ensemble des mausolées de la ville sont, plus que jamais, à prendre au sérieux. Certes, les tombes des Saints ont demeuré sans dommages particuliers, mais le calvaire que vivent les paisibles populations, témoins oculaires mais impuissants des extravagances des islamistes radicaux interpelle toutes les bonnes volontés préoccupées par le sauvetage de ce qui reste encore d’un précieux trésor patrimonial, exposé, comme un rouleau compresseur, à des pillages systématiques et sans vergogne.
Même la grande porte toujours fermée de la mosquée de Sidi Yéhia pour moult raisons spirituelles, selon diverses légendes, ou la partie ouest de la grande mosquée de Djingarey ber, n’ont pas été épargnées de destruction par les bandes armées. Tous les mausolées existant sur le territoire contrôlé par Ançardine et assimilés font, à brève échéance, l’objet de démolition. Le vendredi 6 juillet 2012, des groupes armés ont été, dépêchés à Araouane, localité charnière qui constitue, à 250 km environ au nord, le prolongement naturel et spirituel de la ville de Tombouctou à laquelle elle demeure étroitement liée par le destin. Mais le voyage tourne mystérieusement au drame. Il semblerait et, selon toute vraisemblance, que le bilan de l’accident en cours de route est lourd : deux véhicules renversés, un troisième embourbé. Les quatre passagers du premier véhicule perdent la vie tandis que la vue des autres a été sérieusement affectée. Douze blessés ont été transportés à Tombouctou pour des soins intensifs. Le mausolée du Grand Saint Sidi Ahmed Agadda notamment a été sauvé de la destruction nourrie à dessein par les groupes armés. En réalité, nonobstant l’acuité de la situation qui prévaut et toutes les frustrations endurées, chacun, le cœur à la bonne place, se souvient et, en ce mois béni de Ramadan, a une pensée pieuse aux sages, aux nombreux « Hafz El Coran », aux connaisseurs des « Hadith » du Prophète (Paix et Salut sur Lui) et Fiqh, issus de toutes les communautés qui ont vécu en parfaite symbiose à Tombouctou et ailleurs et les innombrables manuscrits qu’ils ont produits en quantité et en qualité continuent de susciter des hommages vibrants.
A Tombouctou, la marque de sépultures de grandes figures emblématiques a permis, quels que soient les obstacles et difficultés, de constituer, des remparts de protection, de salut commun. L’intérêt spécial porté aux lieux de ces sépultures est unanimement partagé et ne souffre d’aucun à priori, ce qui a contribué, à conforter l’enracinement des marques indélébiles des Saints et à donner à la ville historique l’appellation symbolique de la ville des 333 Saints. En fait, il existe un nombre important de Grands Saints enterrés dans différents lieux, la plupart du temps dans l’anonymat, souvent en conformité avec les testaments des illustres disparus ou les vœux pieux de leurs proches ou disciples. Trois cent trente trois d’entre eux ont pu cependant être identifiés et localisés.
Ces Saints (que la Grâce de Dieu soit sur eux) qui ont tous mené une vie dynamique fondée sur une foi inébranlable et une conduite vertueuse, inspirent encore respect et vénération, notamment de la part des populations locales et des visiteurs d’horizons divers. Leurs sépultures se rencontrent un peu partout dans les cimetières, dans les rues et les mosquées dont ils sont les figures emblématiques et les patrons tutélaires. Les mausolées les plus connus sont repartis tout autour de l’ancienne ville. Près des lieux de sépulture des Saints se trouvent les tombes des proches, alliés, disciples et nombre d’hommes d’exception. Tous ces grands personnages ont contribué, de manière significative, à l’essor social et culturel de Tombouctou,
A travers d’exceptionnelles qualités humaines, de miracles qui ont séduit leurs contemporains, une vie active exemplaire, alliant érudition, perfection religieuse et rectitude morale, ces Saints ont grandement œuvré à asseoir l’ancrage de l’amour du prochain, la tolérance, la rencontre et le respect de l’autre, l’émulation pour la recherche du savoir et de la vertu et ce, dans un louable effort de rapprochement, d’entente et de coexistence des uns avec les autres. Les populations ont toujours manifesté une attention et une sollicitude toutes particulières à l’égard de ces Saints, dans le but de susciter et d’impulser davantage le réveil de la fibre spirituelle et religieuse au sein de cette ville glorieuse qui se veut un havre de paix et de quiétude et qui a toujours stigmatisé et banni les comportements déviants, d’où qu’ils viennent.
Les précieux enseignements susceptibles d’être tirés des vertus de piété, de sagesse et de conduite prônées dès le début et qui se sont consolidées au fil des siècles, constituent sans nul doute des sources inépuisables d’inspiration réelle pour les générations montantes face à un monde assailli et secoué par la culture de l’immédiateté, par toutes sortes de bouleversements et soubresauts et à effet plutôt démobilisateur.
Parmi ces Saints, se distinguent, au premier rang, de célèbres érudits dont :
CHEIKH SIDI MAHMOUD Ben OMAR Ben MOHAMED AL AQÎT AL SANHADJI : Né vers 1464, soit en 868 de l’Hégire (H.) et mort vers 1550/ 956 H. Ce grand Saint, connu pour son savoir et sa piété et qui fut cadi, est enterré à quelques 200 mètres au nord de l’ancienne ville, dans le vestibule de sa maison. Près du mausolée au cœur du cimetière qui porte depuis lors son nom, sont enterrés 167 autres Saints dans le cimetière qui porte depuis lors son nom et qui reçoit ses descendants et nombre de fidèles parmi lesquels se trouvait le célèbre savant Ahmed Baba.
CHEIKH AL AQIB Ben CHEIKH SIDI MAHMOUD, fils du précédent et aïeul de l’éminent savant AHMED BABA : Né vers 1510/914H., et mort vers 1585/991H., ce Saint qui fut un grand érudit et un pieux cadi, fit construire en 1544/949H. la mosquée de Jamnâ Al hana (Mosquée de la Quiétude) située à l’ouest de l’ancienne ville (actuellement à l’intérieur de la ville, à la porte sud du quartier d’Abaradjou). Dans l’enceinte de cette mosquée qui s’écroula en 1709/1122H. se trouvent les tombes de 41 Saints. On enterre à côté d’eux les étrangers et ceux qui meurent pendant la nuit (dans la ville de Tombouctou, on enterre immédiatement les morts).
CHEIKH SID’ AHMED Ben AMAR AL RAGADI : Décédé vers 1685/1096H., ce Saint est enterré à quelque 300 mètres à l’ouest de l’ancienne ville. Dans son entourage, reposent 20 Saints, des Chérifs et beaucoup de gens vertueux. Les notables de la ville sont généralement enterrés à côté de lui.
CHEIKH ABUL QASSIM AL TOUATI : Ce Saint, décédé vers 1530/914H., est enterré à quelque 200 mètres à l’ouest de la ville, avec 64 Saints ou Oulémas originaires du Touat. Tous les siens, descendants et disciples sont également enterrés à côté de lui.
CHEIKH SIDI AL MIKKI AL CHERIF : Ce Saint est décédé en 1806/1122H. Sa tombe se trouve aussi à l’ouest de la ville, à une vingtaine de mètres à peine de celle du Cheikh Abul Qasim.
CHEIKH MOHAMED TAMBA TAMBA : Ce Saint est décédé en 1842/1260H. . Sa tombe est située à quelque 200 mètres à l’ouest de l’ancienne ville. Depuis un siècle environ, on n’enterre plus personne à côté de lui, sa tombe étant située dans une zone devenue militaire.
CHEIKH AL IMAM ISMAIL : Ce Saint est décédé vers 1760/1175H. Sa tombe se trouve à 4 kilomètres au sud de l’ancienne ville.
CHEIKH AL IMAM SAÏD : Ce Cheick, d’origine peulh, est décédé vers 1745/1160H. Sa tombe se trouve à l’est de l’ancienne ville, près du premier château d’eau potable de la ville. A côté de lui repose Abd Al Salam Ben Mohamed Gad.
CHEIKH SIDI MOHAMED BOUKKOU : Ce Saint, d’origine Idawali, est décédé vers 1784/1200H. Sa tombe se trouve à l’est de la ville. On ne connaît actuellement aucun saint reposant à côté de lui.
CHEIKH SIDI ELWAFI AL ARAWANI : Ce Saint qui fut également un grand imam est décédé vers 1708/1121H. Il est enterré à quelques dizaines de mètres à l’est de l’ancienne ville. A côté de lui reposent 11 Saints et d’éminents érudits parmi lesquels on peut citer : Cheikh Al Imam Mahmoud, Cheikhna Tidiani Ben Mohamed Lamine décédé en 1949/1367H et Cheikhna Sidi Ali décédé en 1944/1362H. On enterre à côté de lui les notables du quartier.
CHEIKH ALPHA MOYA : Ce Saint fut assassiné, avec quinze autres Saints, dans la mosquée de Sankoré par les hommes du Pacha Mohamed Ben Zarqoun en 1594/ 1010H. Leurs tombes se trouvent à une centaine de mètres à l’est de l’ancienne ville.
CHEIKH MOHAMED SANKARI : Ce Saint, d’origine peulh, est décédé en 1819/1236H. Sa tombe se trouve à l’est de l’ancienne ville, près de celle du Saint précédent. On enterre à côté de lui certains étrangers.
CHEIKH SIDI EL MOCKTAR Ben CHEIKH SIDI MOHAMED Ben CHEIKH AL KABIR AL KOUNTI : Ce Saint, décédé en 1846/1264H, est enterré à l’est de la ville. A côté de lui reposent 14 Saints parmi lesquels on peut retenir : Cheikh Sidi Khiyar et Cheikh Soufi Boulkher décédé en 1921/1338H. On enterre à côté d’eux généralement les Chérifs et les Kounta.
CHEIKH SIDI YEHIA : Ce grand Saint, probablement d’origine ghallawi, célèbre pour sa piété et sa droiture, est décédé vers 1464/868H et est enterré dans la mosquée qui porte encore son nom et dont il fut le premier imam. A côté de lui reposent plusieurs disciples, descendants et grands personnages. Les populations de Tombouctou lui vouent particulièrement une grande vénération et sollicitent en permanence sa bénédiction.
PAR CHIRFI MOULAYE HAIDARA