Terrorisme – Philippe Migaux : “Iyad ag Ghali veut changer de dimension”

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Un homme de la Coordination des mouvements de Azawad dans la ville de Kidal en mars 2016. © Stringer/AFP
Un homme de la Coordination des mouvements de Azawad dans la ville de Kidal en mars 2016. © Stringer/AFP

ENTRETIEN. Comment le Touareg malien se renforce-t-il au-delà du Nord-Mali pour contrer la montée en puissance dans la région de l’État islamique ? Explication.

Depuis le 2 mars dernier, un nouveau groupe djihadiste sévit dans le Sahel avec à sa tête un homme insaisissable : Iyad ag Ghali, surnommé « le lion du désert ». Son organisation liée à Al-Qaïda rejoint la nébuleuse djihadiste dans la région formée autour d’Ansar Dine, Al-Mourabitoune de Mokhtar Belmokhtar et les “Katibas du Macina”, un mouvement dirigé par le Peul Amadou Koufa, actif dans le centre du Mali. Bien connu au nord du Mali, Iyad Ag Ghali, 59 ans, originaire de la tribu des Ifoghas, a tissé des liens solides auprès de la communauté touarègue en chapeautant les deux katibas touarègues d’Aqmi et en créant un maillage territorial, notamment autour de Kidal à la frontière algérienne. Il a “réussi à fédérer des groupes disparates, y compris peuls” au centre et au sud du Mali avec le Front de libération du Macina représenté par Amadou Koufa.

Ce même groupe, récemment créé, a revendiqué le dimanche 9 juillet, par une vidéo, l’attaque d’un détachement militaire à Midal dans la région de Tahoua au Niger, causant la mort de cinq soldats des forces de défense et de sécurité du Niger le 5 juillet. Si le “Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans” (GSIM) affirme n’avoir subi aucune perte en vies humaines, il a en revanche pu récupérer des véhicules et des armes lourdes, ainsi qu’une quantité importante de munitions.

Opérant habituellement au Mali, Iyad ag Ghali explique dans un communiqué sa volonté de jouer un rôle plus important dans la zone. En menant des attaques dans les pays voisins, comme le Niger. En représailles de son implication avec le Mali dans la lutte antiterroriste et pour son engagement aux côtés de la coalition dirigée par la France au Sahel. Philippe Migaux, maître de conférences à Sciences po Paris, s’est récemment penché sur la montée en puissance d’Iyad ag Ghali dans la zone. Pour Le Point Afrique, il explique les raisons de l’inquiétante liberté d’action dont bénéficie aujourd’hui le Touareg malien.

Le Point Afrique : Pourquoi et comment le Niger est-il devenu une cible ?

Philippe Migaux : En allant frapper au Niger, il montre que désormais il a les capacités de dépasser les frontières du Mali car il a quelques membres d’Aqmi déjà présents sur place, notamment des Peuls. Iyad Ag Ghali, en revendiquant cette attaque, n’a alors plus seulement une dimension malienne mais une dimension internationale, et il s’oppose radicalement à l’État islamique, dissident d’Al Mourabitoun, qui, dans la région, ne dispose que d’une seule organisation qui n’a pas encore réussi à faire de gros coups.

Et c’est toujours le même problème d’ego que l’on retrouve au sein des alliances. Iyad ag Ghali veut changer de dimension. Il passe d’un statut d’islamo-nationaliste à un d’islamo-internationaliste. Son dernier coup est néanmoins limité car il n’y a eu que 5 morts sur l’attaque et les Nigériens, aidés par les services occidentaux, ont tout de même réussi à éviter beaucoup d’attentats dans la région ces dernières années. Il s’agit là d’un acte dont il veut multiplier l’effet par la propagande afin de montrer qu’il est devenu l’homme incontournable de la mouvance Al-Qaïda au Maghreb. Et dorénavant, selon l’événement, il va se présenter comme le plus apte à s’opposer à l’État islamique, car, ne l’oublions pas, c’est la guerre entre Al-Qaïda et l’État islamique.

Donc, peut-on dire qu’Iyad ag Ghali a tiré profit du décès « non officiel » de Mokhtar Belmokhtar qui a laissé des adjoints moins compétents… ?

En effet, ils n’ont pas la même capacité d’action qu’avant le décès supposé de Mokhtar Belmokhtar. Et avec sa nouvelle organisation qui contrôle l’ensemble des structures aujourd’hui, Iyad ag Ghali marque un nouveau coup dans le monde djihadiste car, avant, il n’y avait que des petits groupes éparpillés (Al Mourabitoune, Aqmi, ou Peuls) qui faisaient des incursions sur le territoire nigérien. C’est d’ailleurs l’un de ces groupes qui avait attaqué des soldats en juin et avait échoué durant la tentative de libération des détenus islamiques de la grande prison de sécurité du Niger.

Mais à présent, Iyad ag Ghali a réussi à les unifier et à mettre en évidence sa position de patron ?

Et il veut non seulement le prouver aux Occidentaux qui sont ses principaux adversaires, mais en priorité à l’État islamique qui a le monopole sur le Sud grâce à Boko Haram. C’est une façon de rendre légitime son positionnement en tant que représentant de la logique Al-Qaïda dans la région.

Introuvable, intouchable : comment gère-t-il cette nouvelle organisation dans la discrétion ?

En 2002, Amadou Toumani Touré (ATT), ex-président du Mali, l’a récupéré pour qu’il puisse être son intermédiaire avec la communauté touarègue. D’ailleurs, c’est lui qui a réussi à faire signer les accords de Bamako. Et c’est de cette façon qu’il prend contact avec les services algériens. Il devient alors l’homme de référence pour les Algériens, ce qui explique le fait que ceux-ci le protègent même s’ils ne le reconnaissent pas. Depuis trois ans, il est devenu le plus sérieux et le plus costaud de cette mouvance djihadiste. Alors que Al Mourabitoun’ faiblisait, Aqmi a pris de l’ampleur. Car Iyad ag Ghali a adopté une nouvelle stratégie. Au nord, il contrôle territorialement la région de Kidal grâce à une police religieuse qui n’avait plus d’utilité depuis que les Français avaient repris possession du territoire. Il l’a réorganisée de façon à ce qu’elle devienne une unité de renseignements et de taxation des populations du Nord. Ils sont dispersés dans les tribus et continuent à les influencer en imposant une doctrine, tout en obtenant des informations de la part des populations ainsi qu’un peu de financement sous forme de matériel, moutons, lait, essence… Cette police lui permet depuis deux ans de faire de vraies opérations contre la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali) ou contre les Français. Et il a encore été plus loin avec la création de katibats peuls en utilisant leurs ressentiments contre l’armée malienne (vols, meurtres, viols…). Ils lui permettent d’avoir une certaine implantation sur l’ensemble du Mali et ainsi qu’une nouvelle légitimité, ce qui lui permet d’aller frapper dans des régions où il y a moins de pression sécuritaire de la part des forces occidentales ou de la part des forces maliennes.

Donc la publication d’une vidéo mettant en scène des otages avant le G5 Sahel du mois dernier n’est pas un hasard ?

En effet, ce n’est pas pour rien qu’à la veille du G5, lorsqu’Emmanuel Macron l’a annoncé, ils ont envoyé une vidéo dans laquelle ils reconnaissent que tous les otages de la région sont entre leurs mains. De plus, ils font pression avec la Française Sophie Petronin, car ils essaient d’obtenir de l’argent en échange. Ils ont besoin d’argent, c’est pour cela qu’ils ont les otages. Ils profitent du G5 pour faire pression sur la France car tous les pays africains sont entrés dans le jeu de la France qui consiste à négocier la libération d’otages contre une rançon, une manière de fragmenter les fronts avec les Américains et les Anglais d’un côté, et les Français de l’autre, parce qu’on n’a pas la même réaction. Et le fait que ce soit fait la veille de la proclamation du G5, ce n’est évidemment pas innocent… Il apparaît ainsi comme un perturbateur du fait qu’il sait bien comment le jeu se déroule.

PROPOS RECUEILLIS PAR BARBARA MARIE NILOR
Publié le 25/07/2017 à 16:34 | Le Point Afrique

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