La visite du Président Amadou Toumani Touré en Algérie, indiscutablement l’expression d’une détente diplomatique entre Alger et Bamako, est mal tombée en raison de l’enlèvement de trois européens, 24 heures auparavant. Ce dernier événement donnera sans doute à la visite présidentielle des allures d’heure de vérité entre les deux voisins, entre le Malien et l’Algérien. Ce d’autant plus que la tendance internationale est à la criminalisation des paiements de rançons.
Le rappel d’Ambassadeur traduit l’extrême frilosité des rapports entre deux pays ; le Mali et l’Algérie sont passées par là en février 2010, lorsque des négociations maliennes avaient abouti à la libération de l’otage français Pierre Camatte. L’Algérie s’était fâché des conditions de la libération du français qui incluaient le paiement d’une rançon et la relaxation de quatre salafistes détenus par le Mali, dont deux Algériens activement revendiqués par ce pays. Puis vinrent la création des conditions d’un rapprochement, renforcé par la mise en œuvre du CEMOC et l’interaction des pays du champ. Toute chose qui conforta l’idée qu’une action commune était possible.
La présente visite du Président Amadou Toumani Touré, à la faveur de la détente retrouvée, est perçue à Bamako comme une occasion unique d’améliorer les acquis diplomatiques engrangés, depuis le retour à la normalisation des relations, de consolider la coopération entre les deux pays. Sans doute, sera-t-elle saisie pour renforcer l’amitié et les relations de bon voisinage entre les deux peuples.
Mais les prises d’otages du dimanche dernier, de trois coopérants européens, deux Espagnols et une Italienne, dans un camp de réfugiés sahraouis, près de Tindouf, dans le sud-ouest de l’Algérie, dans une attaque attribuée à la branche maghrébine d’Al-Qaïda, Aqmi, à la veille de la visite d’ATT à Alger vient projeter dans l’actualité l’épineuse question des rançons. Les mêmes causes produisant les mêmes effets le Président Amadou Toumani Touré et Abdel Aziz Bouteflika auront quelques explications entre frères et amis.
Le langage de la vérité sur la question de paiement de rançon, devenue une habitude, en vue d’obtenir la libération des otages. Ce sera également un dialogue de vérité sur les conditionnalités des libérations d’otages, des négociations secrètes dans les collines, les dunes de sables ou dans les forêts dans lesquelles notre pays est passé expert aux yeux de l’opinion internationale. Cette visite sera aussi celle de la vérité sur les acteurs, les intermédiaires, à l’aune de la criminalisation du payement de rançon aux terroristes. Le Président amadou Toumani Touré donnera-t-il l’assurance qu’il n’autorisera pas sur son territoire de négociations avec les ravisseurs, dont la finalité est toujours le paiement de sommes faramineuses.
ATT est d’une part entre le marteau des occidentaux dont la France, qui mettent la pression (dans le cas de Pierre Camatte on a vu les visites chez ATT de Kouchner et de Sarkozy) pour obtenir la libération des otages européens, et l’enclume de l’interdiction du paiement des rançons. C’est dire que cette visite du Président ATT chez Boutéflika ne sera pas une promenade de santé, mais une vraie mise à pilori sur la question de la lutte contre le terrorisme.
Selon le ministère espagnol des Affaires étrangères, cité par « El Watan », les trois personnes, ont été enlevés de nuit dans le camp de Rabuni où ils travaillaient pour des associations d’aide aux nombreux réfugiés sahraouis installés dans cette région, aux portes du Sahara occidental et proche de la Mauritanie et du Mali. Cette visite du Président ATT est d’autant plus pertinente qu’elle est callée avec celle du conseiller du Premier ministre britannique pour la lutte antiterroriste en Afrique du Nord et au Sahel, le général-major Robin Searby l. La question du terrorisme dans la région du Sahel sera au centre des discussions.
Cependant au-delà de la question des prises d’otage, le président malien, Amadou Toumani Touré et son homologue algérien discuteront surtout de coopération bilatérale, de la situation sécuritaire dans la bande du Sahel, de la nouvelle donne dans l’espace avec l’arrivée de centaines d’ex combattants armés revenus du front libyen.
En sommes des menaces multiples et multiformes à leur frontière commune. Selon El Watan, d’anciens dirigeants de l’ex-rébellion malienne s’attellent, depuis des semaines, à s’organiser, en rassemblant d’importantes quantités d’explosifs, de moyens de transport et de télécommunication provenant des arsenaux Libyens. A la faveur de cette crise, les phalanges d’Abou Zeid et de Belmokhtar ne sont pas restées inactifs et ont renforcé leur force de frappe, en moyens militaires et humains dans la région. Le constat la semaine dernière, d’André Bourgeot, le Directeur du CNRS et spécialiste de la bande sahelo-saharienne, ( lire son interview dans le Républicain du 19 octobre 2011) est assez éloquent de ce point de vue , cet espace est devenu une poudrière.
A noter également qu’en même temps que le séjour algérien d’ATT, se tient sous la houlette du conseiller du Premier ministre britannique pour la lutte antiterroriste en Afrique du Nord et au Sahel, le général-major Robin Searby, la troisième réunion du groupe de contact algéro-britannique sur les « questions de lutte antiterroriste et de l’insécurité dans la bande du Sahel ». Durant une journée, ce groupe de contact, qui tiendra ses travaux à huis clos, abordera l’ensemble des questions liées à la lutte contre le terrorisme transnational en vue d’approfondir la coopération bilatérale dans ses dimensions politique, diplomatique, judiciaire, financière, opérationnelle et d’assistance technique. Les deux parties devront en outre procéder à un échange d’analyses et d’informations sur l’évolution de la lutte antiterroriste dans les deux pays et sa projection sur leur environnement.
Ce groupe de contact, est un mécanisme informel de structuration du dialogue algéro-britannique sur les questions liées à la lutte contre le terrorisme et à la sécurité, notamment dans la sous-région du Sahel. La Grande-Bretagne qui a appuyé l’Algérie dans sa plaidoirie auprès de l’ONU pour la criminalisation du paiement des rançons aux terroristes, a pratiquement la même approche que ce pays en la matière. ATT le sait qui, en juillet 2010, a vécu, presqu’en direct, le refus Britannique de payer la rançon exigée pour la tête de leur compatriote Edwin Dyer lequel finira exécuté par Aqmi, en territoire malien probablement.
Les conclusions donc du tête à tête Algéro-Britanique ne manqueront pas d’influer les nouvelles approches du Mali sur la question et effaceront peut-être l’idée que ce que les autres refusent le Mali l’accepte. Ce qui a conduit Aqmi à venir sur son territoire monnayer son butin humain depuis la Tunisie ! Peut-être qu’après cette visite, rien ne sera plus comme avant.
B. Daou