La communauté de destin des pays sahéliens oblige à la création d’instruments pour la prise en charge des problèmes de sécurité et de développement.
L’événement avait réuni hier un aréopage de qualité au Centre international des conférences de Bamako où le président de la République Ibrahim Boubacar Keita a présidé la première réunion ministérielle pour l’établissement d’une plate-forme de coordination de la stratégie intégrée des Nations unies pour le Sahel. Outre Ban Ki Moon, Secrétaire général de l’Organisation des nations unies, on notait la présence à cette importante réunion de Mme Nkosazana Dlamini-Zuma, présidente de la Commission de l’Union africaine, de plusieurs patrons d’organisations de financement du développement tels que Dr. Jim Yong Kim, président de la Banque mondiale et Donald Kaberuka, président de la Banque africaine de développement, et d’Andris Piebalgs, Commissaire au développement de l’Union européenne.
D’autres personnalités étaient également là dont notre compatriote Michel Sidibé de l’ONU Sida, Said Djinnit (représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies pour l’Afrique de l’ouest), Romano Prodi (envoyé spécial de Ban Ki Moon pour le Sahel), Michel Reveyrand de Menthon (envoyé spécial de l’Union européenne pour le Sahel) et Pierre Buyuya, haut représentant de l’Union africaine pour le Mali et le Sahel.
A ceux-ci, il faut ajouter une dizaine de membres du gouvernement dont le ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale, Zahabi Ould Mohamed qui a été le premier à prendre la parole hier pour souhaiter la bienvenue à ces invités de marque. Ensuite sont intervenus succesivement Yahia Lawal, représentant l’Organisation de coopération islamique, André Peibalgs, Donald Kaberuka et le docteur Jim Yong Kim. Puis, ce fut au tour de la présidente de la Commission de l’Union africaine de tirer sur la sonnette d’alarme sur la situation au Mali.
EXTRÊME VULNÉRABILITÉ. Dans son allocution très attendue, le patron des Nations Unies a indiqué d’emblée qu’il applaudissait les pays de la région pour leur manifestation d’unité. « Ce que je suis venu vous dire, a-t-il ensuite précisé, c’est que nous sommes à vos côtés. La communauté internationale est solidaire des Sahéliens. Nous devons dépasser les frontières institutionnelles et soutenir à l’échelle de la région les initiatives portant sur la situation politique, la sécurité, le développement, l’aide humanitaire ».
Pour Ban Ki Moon, l’heure est à l’action. C’est maintenant qu’il faut agir, a appelé le Secrétaire général des Nations Unies, avant de dire toute sa détermination à collaborer avec les gouvernements de la région et les organisations régionales et sous-régionales pour régler les problèmes de la zone sahélienne. Nous sommes déterminés, a-t-il poursuivi, à collaborer avec les gouvernements et les institutions pour aider le Sahel, une terre dévastée par la sécheresse. Adoptant un ton optimiste et volontariste, Ban Ki Moon a assuré qu’ensemble nous pouvons changer le tableau actuel. « Nous pouvons vous aider à progresser plus vite », a assuré Ban Ki Moon qui restait convaincu que « le Sahel peut avancer et avancera si seulement il reste uni. »
En tant que président d’un pays qui accumule tous les symptômes d’un Sahel en quête d’assistance, Ibrahim Boubacar Keita ne portera pas de gants pour dire tous les dysfonctionnements dont la tragique rançon pour notre pays a été une sanctuarisation de notre Septentrion par des aventuriers de tout acabit. A entendre le président Keïta, les douloureux épisodes de notre histoire récente ne doivent pas inciter à l’abandon et au découragement. « Le Mali est résolument engagé à jouer son rôle » malgré la présence encore de « nombreuses zones de non droit » où « des groupes armés sèment la désolation et la terreur ». Le président Keïta a fait le constat amer que le Mali à l’instar des autres pays du Sahel est victime d’une concentration de vulnérabilités. Par conséquent, il a jugé qu’aucun Etat de la région ne peut faire face seul à une crise qui touche le Sahel entier. « Nous sommes indissociablement liés dans une communauté de destin. Toutes les nations doivent converger vers la matérialisation du triptyque sécurité, développement et paix », a préconisé le chef de l’Etat pour qui il n’y a pas de développement sans sécurité.
De son point de vue pour que les Nations unies soient vraiment efficaces, il leur faut jouer leur rôle véritable afin que le Septentrion malien retrouve la paix parce que « les Maliens désirent ardemment la paix ». Ils attendent aussi de leurs dirigeants un comportement exemplaire dans la gestion des deniers publics. « Le Mali est en marche vers une nouvelle destinée qui est le fruit de l’action conjuguée de tous ses fils », a assuré le président Keïta.
S’agissant de Kidal, Ibrahim Boubacar Keïta a haussé le ton et demandé que l’on mette « un terme à la situation qui y prévaut ». Cela commande que Kidal revienne à la lumière du jour, que Kidal soit visible dans le processus de consolidation de la paix, et enfin que Kidal soit comme toutes les Régions du Mali. « En tant que pays membre des Nations Unies, a assené le président Keïta, je ne saurais tolérer en aucun cas qu’une partie du Mali soit soustraite aux lois de la Nation ». Il a ajouté : « Le Mali ne peut pas tolérer que Kidal soit la bourse régionale du crime organisé. Mon gouvernement a choisi l’option stratégique de la paix et du dialogue. Notre peuple rejette les fracas des armes, il veut une solution durable et définitive de la crise qui secoue le Nord du pays. Nous rechercherons inlassablement la paix. »
LES RÉALITÉS DU TERRAIN. Puisque le Mali a opté pour le dialogue, le président de la République a réitéré son invite aux pourparlers. Mais il y a un préalable à respecter absolument. « J’invite une fois de plus les groupes armés à déposer les armes sans délai et à venir s’asseoir à la table de la négociation aux côtés de leurs frères et sœurs. Il n’y a pas de problème sans solution lorsque les hommes sont de bonne volonté. La porte du dialogue demeure ouverte », a rappelé le chef de l’Etat.
Mais avant de présider cette cérémonie, le chef de l’Etat avait tôt le matin reçu en audience le patron des Nations unies qui entamait ainsi une tournée historique dans le Sahel, une des régions les plus pauvres du monde. Dans notre pays, Ban Ki Moon s’est rendu à Tombouctou pour toucher du doigt les réalités du terrain. Dans cette cité plusieurs fois millénaire, le visiteur de marque a rencontré des populations qui lui ont raconté leur calvaire. Dans la ville des 333 saints, Ban Ki Moon a échangé avec des hommes et des femmes confrontés à la fois à une extrême pauvreté, aux effets du changement climatique, à des crises alimentaires fréquentes, à une croissance rapide de la population, à une gouvernance fragile, à la corruption, à des tensions internes persistantes, au risque d’une radicalisation et d’un extrémisme violent, aux trafics illicites et aux menaces du terrorisme.
Ces maux auxquels est confronté l’ensemble du Sahel affectent énormément les populations locales qui y vivent. Par ricochet, les citoyens du monde entier sont affectés par les répercussions de cette crise multiforme. D’où la nécessité de mettre rapidement en place des mécanismes efficaces propres à contrer toute forme de menace terroriste et à permettre d’enclencher un modèle de développement harmonieux pour tous les États sahéliens.
Notre pays qui accueille la première rencontre sur la mise en place de cette plate-forme de coordination donne une illustration éloquente des dangers qui minent la zone. Libéré de l’occupation djihadiste, notre pays a en retour rempli la plupart de ses obligations vis-à-vis de la communauté internationale. Il a organisé une élection présidentielle transparente et pacifiée, mis en place un gouvernement représentatif et lancé un message clair en faveur de la réconciliation nationale. Sur toutes les tribunes à partir desquelles il a eu à s’exprimer, le président Keïta a inlassablement plaidé pour l’unité du pays et le règlement pacifique des différends.
Le cas malien a mis en lumière sur la nécessité de coordonner les actions sécuritaires dans la zone du Sahel. Si chaque pays ne se préoccupe que de sa seule sécurité interne, le résultat en sera un vide sécuritaire régional, s’accordent à pronostiquer les spécialistes qui préviennent que sans cette mutualisation des efforts les extrémistes armés circuleront librement dans le Sahel allant d’une frontière à l’autre sans risque d’être inquiétés. Un scénario qui n’était pas loin de se réaliser quand l’opération Serval a radicalement changé la face des choses.
A. M. CISSÉ