Situation sociopolitique au Nord du Mali : Chronique d’un désastre prévisible

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Soldats du MNLA à Kidal
Soldats du MNLA à Kidal le 4 février 2013.
REUTERS (photo archives)

Depuis 1990, date de la reprise de la rébellion après  celle de 1963, les trois régions du Nord du Mali sont devenues une zone d’instabilité avec des rebellions armées successives en témoignent celles de 2006, 2012,2013. Cette instabilité s’explique par le non respect des traités entre le gouvernement malien et la rébellion. Du coup on assiste à une floraison de bandes armées apparemment hors de contrôle qui créent une insécurité généralisée, un phénomène depuis  lors appelé insécurité résiduelle. Mais force est de reconnaitre que la politique instaurée par ATT et IBK est en grande partie la cause de cette instabilité chronique.

 

 

En effet tout est parti de la rébellion de 2012 et qui ont vu ces différents groupes occuper les trois régions  du Nord du Mali et une partie de la région de Mopti. Elle a été caractérisée par la conjugaison de trois facteurs amplificateurs. Il s’agit premièrement de la présence tolérée dans le Nord du Mali de Katibas Djihadistes (affiliées à AQMI) qui ont sanctuarisé le Nord-est de la région de Kidal et le Nord des régions de Gao et de Tombouctou. Ces groupes Djihadistes se sont surtout financés par le produit des rançons, de différentes prises d’otages occidentaux et peut être aussi par le produit de la vente de drogue. Le 2e facteur est l’effondrement du régime libyen suite à l’assassinat du Colonel Kadhafi par les troupes de l’OTAN et du coup a rendu orphelins des milliers de combattants Touareg originaires du Mali qui se sont repliés dans le Nord-est de la région de Kidal. Aussitôt la Libye est devenue un véritable marché à ciel ouvert de toutes sortes d’armes. Et enfin le 3e facteur a été la présence à Kidal d’environ un millier de combattants cantonnés depuis 2007 suite aux accords d’Alger, dans l’attente de la formation des unités spéciales qui n’ont jamais vu le jour. Ce qui fait de ces combattants, une armée mobilisable à tout moment. A ces facteurs externes, il faut ajouter deux facteurs internes principaux. Il s’agit d’abord de l’accroissement du trafic de drogue dans le Nord du Mali dont les ramifications se retrouvent dans les plus hautes sphères de l’Etat et des administrations militaires. La tentation de l’argent facile a poussé l’Etat malien à confier son service de renseignement au Nord du Mali aux principaux animateurs de ce trafic de drogue. Ce qui l’a rendu totalement aveugle car les informations provenant de cette partie du pays étaient profondément biaisées. Enfin l’exacerbation des tensions inter et intra-communautaires par l’armement et le financement des milices ethniques qui en plusieurs cas se sont substituées à l’armée malienne. Cette immixtion de milices dans la gestion du Nord du Mali a brouillé la chaine de commandement militaire et a contribué à l’affaiblissement de l’armée nationale.

Aperçu sur les différents mouvements armés du Nord du Mali                                             

Le Nord du Mali à la fin 2011 est devenu un ensemble d’ilots en ébullition que les attaques du MNLA de Janvier 2012 vont contribuer à connecter pour embrasser la totalité du Pays. Et sur ces différents mouvements principaux, on y recense trois mouvements principaux à savoir le MNLA, Ançardine et le MUJAO. Quant aux différentes Katibas affiliées à AQMI, elles se sont fondues dans l’un ou l’autre mouvement selon les affinités religieuses ou ethniques. Arès l’intervention française en 2013, les mouvements d’obédience islamique ont muté vers des organisations plus laïques. Il s’agit de Ançardine qui a donné naissance au HCUA ; le MUJAO au MAA. Ce qui a permis au MNLA de revenir sur la scène et de reprendre le terrain par la bénédiction de l’intervention française. Aussitôt certains mouvements dits d’auto-défense ont commencé à se déployer dans le Nord du Mali à savoir le Gandakoy, Ganda Izo, FACO et MAA ‘’loyal’’.

Le MNLA, un allié privilégié de la France

Parmi ces trois principaux mouvements, le MNLA, crée en 2011 de la fusion du groupe armé de Feu Ibrahim Ag Bahanga et du Mouvement national de l’Azawad(MNA) créée par des jeunes Touareg, est le seul mouvement à prôner de façon ouverte la lutte armée contre l’Etat du Mali. Il offrait ainsi une plate forme pour tous ceux qui voulaient engager une lutte armée contre l’Etat du Mali. Les combattants de retour de Libye, surtout ceux regroupés autour de Mohamed Najim ont vite fait de comprendre cette « opportunité ». Ainsi jusqu’en fin février 2012, toutes les attaques, les actions militaires dans le Nord du Mali étaient revendiquées par le MNLA. Il était évident que ces attaques étaient menées par des groupe qui ne  reconnaissent ni l’autorité politique de Bilal Ag Chérif (secrétaire général du MNLA), ni l’autorité militaire de Mohamed Najim (chef militaire du MNLA). Le groupe le plus important était regroupé autour d’Iyad Ag Ghali qui a mobilisé les « cantonnés » des accords d’Alger, les déserteurs de l’armée malienne, les combattants d’Abou Zeid, d’Abdoul Karim et des nouvelles recrues issues des tribus Ifoghas et de leurs alliés de la région de Tombouctou. Ce groupe va se détacher très vite du MNLA et prend le contrôle des régions de Kidal et de Tombouctou sous le nom Ançardine. Et très vite le MNLA va se trouver éjecter du Nord du Mali par le MUJAO et Ançardine. Du coup le mouvement national de libération de l’azawad  va concentrer l’essentiel de ses forces dans les zones entre Trimtrene et In Khalid (fief des Idnanes principaux pourvoyeurs des combattants du mouvement). Ce positionnement leur permettra de garder une capacité de nuisance pour les trafiquants de drogue et d’engranger des financements pour sa survie. Lors de l’intervention Serval, le MNLA s’est positionné comme l’allié des français. Ce qui a permis évidemment de minimiser leurs pertes et d’accéder à des zones très difficiles dans l’Adrar des Ifoghas. Cette collaboration avec les forces françaises a fait de certains cadres du MNLA, les principales cibles des groupes islamistes. C’est ainsi que toutes les personnes supposées proches du MNLA ou avoir servi de guides aux troupes françaises ont fait l’objet d’enlèvements et d’exécutions sommaires revendiqués par ces différents groupes terroristes (AQMI et MUJAO). Les principaux leaders de ce mouvement sont Bilal Ag Chérif, Mohamed Najim, Ambéry Ag Rhissa, Hassane Fagaga, Mossa Ag Assarid, Mossa Ag Attaher. Quant au Haut conseil pour l’unité de l’Azawad(HCUA), il est le mouvement le mieux organisé& militairement avec une forte assise sociale et une direction politique très peu étoffée. Né de la mutation d’Ançardine qui est passé d’abord par le Mouvement Islamique de l’Azawad(MIA), le HCUA gomme ainsi toute référence à l’Islam. Ce qui lui permet d’avoir des relations moins conflictuelles avec la France. Sa direction est essentiellement assurée par les Ifoghas proches de la famille d’Intalla Ag Attaher, chef de la tribu Ifoghas. Le mouvement a trop souffert de l’intervention française qui l’a obligé à cantonner ses forces laissant ainsi le terrain au MNLA pour services rendus. Il a fallu les évènements survenus à Kidal le 17 Mai 2014 et surtout ceux du 21 Mai 2014 pour voir au premier plan le HCUA qui a mené l’essentiel de la bataille. Les principaux leaders du haut conseil sont Alghabass Ag Intallah ; Cheick Aoussa, Redouane Ag Mohamed Ali et Intalla Ag Sayedi. Quant au Mouvement Arabe de l’Azawad(MAA), il est né de la dislocation du MUJAO après l’intervention française de janvier 2013. Il s’agit surtout du mouvement des arabes berabiches de la région de Tombouctou et d’une partie des arabes Lamhar du Tilemsi autour de Mohamed Ould Aiwanatt. Ce mouvement est proche du MNLA avec lequel il entretient des relations et partage certains intérêts surtout pour le contrôle du trafic de drogue. Les principaux animateurs de ce mouvement sont Sidi Ibrahim Ould Sidati, Hami Ould Sidi Mohamed, Dina, Mohamed Ould Aiwanatt. Enfin les mouvements dits, groupes d’auto-défense qui sont des milices essentiellement ethniques encouragées  et financées par les différents gouvernements du Mali depuis l’avènement de la 3e république. Pour les différents gouvernements, il s’agit surtout de présenter la question du Nord comme un conflit entre différentes communautés. Ce qui permet de passer sous silence le déficit de justice, la mal gouvernance et le caractère oppressif de l’Etat, évitant ainsi le débat de fond sur l’état et la forme de gouvernance. Il s’agit d’abord du Gandakoy, une milice originelle qui se positionne en défenseur des droits des communautés noires autochtones contre les peuplades errantes (Manifeste de 1994). Son chef historique, Abdoulaye Maiga et colonel de l’armée malienne. Ce mouvement s’est affaiblit au cours des ans et a été traversé par plusieurs dissidences. Actuellement il est animé par Me Harouna Touré et Firhoun Maiga. Quant au mouvement Ganda Izo, il est une dissidence de Gandakoy  créé par Feu Abdoulaye Diallo qui en est le chef militaire. Ce mouvement a pour objectif de doter les peuls de la zone d’Ansongo d’une milice armée pour faire face aux Touareg surtout les Dosshak. La mort de son chef militaire en 2012 a fortement affaiblit le mouvement. Enfin le Front armé contre l’Oppression(FACO) est en fait un embryon et une aile armée de Temedt. Ce mouvement  qui est surtout composé de bellahs(anciens esclaves des touareg), ne semble pas être structuré. Il relève beaucoup plus de la volonté d’atomiser la société touareg que de constitution d’une force armée prête au combat. Ces principaux animateurs sont les leaders de Temedt. Il s’agit d’Abdoulaye Ag Mako, Ibrahim Ag Idbaltalet et de Mohamed Elmaloud Ag Hamada.

La politique instaurée par ATT et IBK, mise en cause

Après l’attaque des garnisons de Kidal, Ménaka et Tessalit en 2006 par Iyad Ag Ghali, l’ancien président de la république, Amadou Toumani Touré avait donné carte blanche à El Hadj Ag Gamou pour rétablir l’ordre à Kidal.  C’est ainsi qu’il obtiendra de l’ancien président ATT tout ce qu’il avait posé comme condition.  Il s’agit de la mise à sa disposition tous les Imghads intégrés dans l’armée malienne et le recrutement des supplétifs Imghads. Du coup El Hadj Ag Gamou se trouvait à la tête d’une troupe composée de militaires réguliers et de miliciens. Cette troupe va mettre Kidal en coupe réglée de 2006 à fin 2011.  Selon les organisations de droits de l’homme ce sont les hommes dirigés par Gamou auraient commis toutes sortes d’exactions, d’humiliations voire d’exécutions extra – judiciaires.  C’est cette  présence des troupes dirigés par Gamou  à Kidal qui ont occasionné des conditions d’explosion de la rébellion de 2012 et surtout leurs comportements ont servi de détonateur aux affrontements du 17 Mai 2014 et du 21 Mai 2014 à Kidal. A noter qu’El Hadj Ag Gamou était le chef militaire de l’Arla (mouvement des Imghads qui a été vaincu par Iyad Ag Ghali, alors chef du mouvement populaire de l’Azawad(MPA) en 1994. Quant au mouvement arabe de l’azawad dit ‘’Loyal’’, il s’agit d’une partie de la milice arabe censée lutter contre la rébellion de 2012 autour du Général Ould Meidou et de certains repentis du MIJAO. Cette milice est constituée autour de Mohamed Ould Matali pour la sauvegarde des intérêts de son groupe dans les trafics de la drogue. Son aile politique est dirigée par l’ancienne garde berabiche qui a été utilisé par ATT pour attiser les contradictions inter et intracommunautaire dans la région de Tombouctou. Le même groupe a repris du service sous l’actuel président de la république, Ibrahim Boubacar Keita et est le principal animateur des récents affrontements autour de Tarkint- Tabankort. Les principaux animateurs de ce mouvement sont Mohamed Ould Matali, Hanoun, Yoro Ould Idah (récemment arrêté par Serval et remis aux autorités actuelles qui vont finalement le libérer pour des raisons inconnues). Il y a aujourd’hui un mouvement mené par des personnalités politiques de haut niveau pour fédérer les milicew d’auto- défense et n faire une armée parallèle dirigée par El Hadj Ag Gamou. Si cela se confirme, il s’agit là des premiers jalons d’une guerre civile dans le Nord du Mali. Si l’ancien président Amadou Toumani Touré avait mis une stratégie très claire pour écraser les Touareg  quitte à les diviser en instrumentalisant une partie contre les autres, en copter des cadres qui vont aider à l’affaiblissement de leur société ; l’actuel président de la république, Ibrahim Boubacar Keita n’y a pas tourné dos. En témoigne la nomination de Moussa Mara comme Premier Ministre qui verra l’accélération de la mise en œuvre de cette stratégie. A titre de rappel lorsque Mara était maire de la commune IV de Bamako, il avait mis en place une plateforme des cadres Touareg. Ainsi sa visite à Kidal le 17 Mai 2014 avait bel et bien un agenda caché qui coïncidait avec celui du MNLA. D’ailleurs les partenaires occidentaux et l’opposition malienne avaient qualifié cette visite de Mara de provocation et qu’en réalité c’était pour venir en aide et mettre en selle le MNLA qui se trouvait en perte de vitesse où il se était traversé par différents mouvements de contestations lors d’un congrès tenu en Algérie. En effet après les premiers évènements du 17 Mai 2014, le premier ministre Mara triomphant est rentré à Bamako en se faisant accueillir à l’aéroport de Bamako- Senou suscitant des marches de soutien en sa faveur. Aussi le MNLA savait aussi que la présence de Gamou et de ses miliciens ne permettait plus la neutralité du HCUA qu’en cas de confrontation, il engrangera seul le bénéfice d’un éventuel succès étant convaincu de l’efficacité de son système de communication. Cette nouvelle déroute de l’armée malienne était prévisible quand on sait que le président IBK dès son élection a  pratiquement durcit le ton face aux mouvements refusant toute négociation et remettant en cause de façon implicite les accords de Ouagadougou. Pour les analystes, l’attitude d’IBK est dictée par le fait qu’il se soit coupé de tout le monde et de ne communiquer qu’avec certains de ses conseillers qui avaient un agenda qui n’était pas celui de la paix. Toujours selon les analystes, IBK a voulu jouer sur la politique du pourrissement espérant que les mouvements allaient s’épuiser et lui tomber comme du fruit mûr. Et cette politique lui a été conseillée par certains de ses ministres connaisseurs du Nord. Au lieu de chercher une solution négociée dans le conflit du Nord du Mali, le président de la république a multiplié des structures chargées du dossier du Nord et son lot de négociateurs. Il est temps de chercher des solutions idoines à un conflit qui a trop duré et qui continue de faire des victimes surtout innocentes.

A suivre…

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