Réunion ministérielle des diplomates de la région sahélo-saharienne : Les secrets d’un conclave diplomatique

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Pourquoi l’Algérie avait boudé ses voisins du Sud ? Pourquoi le Maroc et la Tunisie ne figurent pas dans le répertoire diplomatique d’Abdelkader Messahel (Ministre algérien délégué chargé des Affaires Maghrébines et Africaines) ? AQMI tend ses oreilles jusque dans la salle à Koulouba. Quel a été l’apport des services secrets ? Quel bilan pour le Comité d’Etat-major conjoint ? Dans ce dossier complet, nous vous proposons des réponses, en plus du compte-rendu des travaux.

Toujours les mêmes professions de foi
C’est dans le cadre du suivi du processus de sécurisation de la bande sahélo-saharienne que les Ministres des Affaires Etrangères des pays membres de cette région se sont réunis dans notre capitale le 20 mai 2011. En une seule journée de réflexion et d’échange, les Ministres ont estimé trouver cette fois-ci le bon chemin et s’en sont remis au pouvoir diplomatique de la République algérienne démocratique et populaire.

En mars 2010, déjà, les Ministres des Affaires Etrangères de cette région s’étaient réunis afin de jeter les bases d’une coopération régionale intégrée en matière de paix et de stabilité dans la bande sahélo-saharienne. C’est à l’issue de cette rencontre que ces Etats se sont lancés dans une dynamique participative au sommet, afin de dégager des stratégies prospères pour la stabilité et le développement de cette région.

Il était donc temps pour les Ministres d’évaluer le chemin parcouru et de recadrer les démarches afin de les adapter au contexte actuel.

Au cours de leur rencontre, ils ont pu évaluer la situation sécuritaire dans la région et passer en revue l’ensemble des actions entreprises par les quatre pays directement impliqués dans la stratégie de lutte anti-terroriste et qui coopèrent au sein du Comité d’Etat-major opérationnel conjoint.

Le constat global est visiblement satisfaisant. Selon le communiqué qui a sanctionné la rencontre, «les Ministres se sont félicités, notamment des résultats de la réunion extraordinaire des Chefs d’Etat Major, tenue à Bamako le 29 avril dernier. Ils ont noté avec satisfaction, le renforcement de l’efficacité de ce mécanisme, ainsi que les acquis du CEMOC grâce à l’engagement de ses Etats membres et une meilleure coordination dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée… ». Egalement, les diplomates ont apprécié les progrès réalisées dans la mise en place de l’Unité de Fusion et de Liaison (UFL) qui constitue un instrument important au service de la lutte anti-terroriste et un vecteur de coopération et d’échanges avec les partenaires.

Au plan institutionnel, le mécanisme semble avoir bien fonctionné, d’autant plus que les rendez-vous statutaires ont tous été honorés.

Ainsi, en Avril à Alger, les Chefs d’Etat-major se sont réunis. En septembre 2010 à Tamanrasset, le Conseil des Chefs d’Etat-major des pays membres du CEMOC ont également tenu une rencontre extraordinaire.

En avril et septembre 2010, les responsables des services de renseignements se sont rencontrés à plusieurs reprises.

Ces multiples rencontres, selon les Ministres, auraient permis de mieux cerner le champ de la menace, de définir les voies et moyens à même de renforcer et d’affiner les mécanismes de coopération mis en place et de planifier les actions définies. Mais, vu que les connexions de cette menace sont de plus en plus avérées avec le crime transnational, notamment le trafic de drogue et le recours à la prise d’otages comme moyen de financement, les conférenciers ont alerté l’ensemble des intervenants par rapport à l’acuité des menaces.

La situation en Libye s’est également invitée dans les débats, mais n’a fait l’objet d’aucune mention dans les documents officiels. A ce niveau, l’unanimité est faite que les récents développements dans ce pays viennent rappeler avec force que les situations d’instabilité et de conflits dans le voisinage comportent des risques de nature à aggraver le phénomène terroriste.

Par ailleurs, les Ministres ont retenu le principe d’instaurer un processus de dialogue avec les partenaires extra-régionaux pour examiner toutes les questions liées à ce partenariat. Ils ont donc invité l’Algérie à prendre les contacts nécessaires et les dispositions appropriées en vue de l’organisation, à Alger d’une première rencontre entre les partenaires et les pays du champ (Algérie, Mali, Mauritanie, Niger).

Pour mieux suivre ce brûlant dossier, les diplomates ont retenu, à la fin de leurs travaux, le principe d’une fréquence plus soutenue de leurs consultations. Ainsi, ils se réuniront désormais tous les six mois. La prochaine rencontre se tiendra en Mauritanie, selon la règle de la rotation. Il a été également décidé d’occuper d’autres espaces de dialogues et de coopération dans tous les domaines susceptibles d’impulser les projets de développement et d’intégration.

En attendant, les conclusions de ces travaux ont été présentées au président de la République, Amadou Toumani Touré, au cours d’une audience en mi-journée.

De tout ce qui ressort de cette rencontre, il ne faut retenir que le renouvellement des professions de foi. Au sein de l’opinion nationale et internationale, on attendait plutôt des mesures plus concrètes. Hélas, il faut craindre la surcharge inutile des agendas diplomatiques. L’Algérie a fait déjà perdre trop de temps.

Lutte contre le terrorisme :
Pourquoi l’Algérie se hâte seulement maintenant ?

Après avoir longtemps trainé les pieds pour concrétiser la lutte contre le terrorisme, la diplomatie algérienne vient de réaliser un vieux rêve : celui d’avoir le leadership de la région. A l’issue de leur rencontre, les Ministres des Affaires Etrangères des pays du champ viennent de lui confier le monopole de prendre les contacts nécessaires au plan international pour appuyer le processus. Paradoxe ! A qui s’adressera le diplomate algérien ? Abdelkader MESSAHE sait mieux que quiconque que l’Algérie ne veut pas sentir une présence militaire française ou américaine dans la zone. D’ailleurs, son pays s’insurgeait contre des pays comme le Mali, la Mauritanie et le Niger qui abriterait des militaires, des avions et des hélicoptères français sur son sol.

Visiblement donc, l’Algérie n’a plus le choix. A la faveur de la crise libyenne, Abdelmalek Droukdel patron d’AQMI, retranché en Kabylie depuis plusieurs années, continue de renforcer ses moyens opérationnels. Abou Zeid et Mokhtar Belmokhtar frappent également aux portes d’Algérie avec plus de moyens et d’hommes. L’Algérie ferait donc mieux de se tenir prête !

Pourquoi exclure le Maroc et la Tunisie ?
Le Ministre malien des Affaires Etrangères et de la Coopération internationale, Soumeylou Boubèye Maïga expliquera difficilement l’absence des représentants marocains et tunisiens à ces différentes rencontres. En tout cas, s’il s’agit de lutter concrètement contre le terrorisme et la criminalité transnationale, il est clair que le Maroc et la Tunisie sont les deux pays fournisseurs d’hommes aux différents réseaux. La preuve, c’est que parmi les terroristes détenus au Mali, il n’y a que des Marocains et des Tunisiens. Que faut-il comprendre du leadership ainsi offert à l’Algérie qui ne veut rien sentir de marocain ?

Paiement de rançon, désormais criminalisé
Au nombre des recommandations formulées, les Ministres des Affaires Etrangères des pays du champ du terrorisme et de la criminalité transnationale ont proposé de «criminaliser» désormais le paiement des rançons à travers des mécanismes juridiques à mettre en place.
Ils viennent donc de planter volontairement le couteau dans la plaie du Mali. Accusé, à tort ou à raison, notre pays portait jusqu’à très récemment le lourd fardeau d’être l’interlocuteur le plus «crédible» aux yeux des terroristes. Il s’était d’ailleurs pourfendu du titre de meilleur négociateur pour la libération des otages. Avec ou sans rançon, le Mali a réussi à faire libérer, à plusieurs reprises, des otages européens détenus dans son désert. Mais, avec la «criminalisation» du paiement de rançon, il faut être sûr d’une chose : c’est que les otages ont désormais moins de chance d’échapper à la guillotine de leurs ravisseurs.

Otages français d’Arlit
Silence radio
Le Ministre nigérien des Affaires Etrangères, Bazoum Mohamed, a superbement oublié d’évoquer à la réunion le sort des otages français. Enlevés sur le territoire nigérien, quatre otages français continuent de souffrir quelque part dans le Sahara. Il faut rappeler que sur les 7 enlevés à Arlit, trois avaient été libérés en février dernier.

Soumeylou Boubèye Maïga, le Ministre malien des Affaires Etrangères qui présidait les travaux a avoué clairement que leur cas n’a pas été évoqué au cours des débats. Que cache ce silence ? Révélations.
Les autorités françaises ont décidé d’exclure le gouvernement malien du processus de négociation avec les ravisseurs. Or, la France a une mauvaise expérience en la matière avec le Niger et la Mauritanie. L’opération militaire conjointe avec l’armée de notre voisin nigérien pour libérer les otages a tourné au fiasco. Les deux otages enlevés en plein cœur de Niamey ont été abattus au cours de l’opération. Avec la Mauritanie, le pire a été évité de justesse.

De son côté, le Mali semble avoir désormais choisi l’option de prendre ses distances dans les transactions entre pays victimes et preneurs d’otages.

Hamadi Ould Hamadi
Un expert en salle
Le Ministre mauritanien des Affaires Etrangères et de la Coopération, Hamadi Ould Hamadi, n’est pas un homme à se faire expliquer les enjeux et stratégies de lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale. La réunion ministérielle avait à portée de main un expert sur ces différentes questions. Il n’avait pas besoin de s’encombrer d’un discours officiel rédigé. Il a gratifié les participants d’un exposé succinct de la question.

Ex-Ministre de la Défense de son pays, Hamadi Ould Hamadi est en terrain connu. Pour lui, il ne s’agit ni plus ni moins que du vieux débat de la faiblesse institutionnelle et du déficit en matière de sécurité dans nos Etats. En plus, il ajoute que la sécurité est un préalable à tout développement. Il faut rappeler que la Mauritanie est un pays particulièrement touché par la menace terroriste. En février dernier, la capitale Nouakchott a échappé de justesse à un attentat de grande ampleur, lorsque les terroristes ont voulu faire exploser 1,7 tonne d’explosifs près du Palais présidentiel et de l’Ambassade de France.

Coopération entre services secrets
L’arme redoutable mais invisible du dispositif
Au cours des débats, les Ministres des Affaires Etrangères des pays membres ont été émerveillés par les résultats obtenus par le Comité d’Etat-Major Opérationnel Conjoint (CEMOC) mis en place par les Chefs d’Etat. Le Ministre malien Soumeylou Boubèye Maïga n’a d’ailleurs pas caché toute la satisfaction de ses collègues par rapport au bilan présenté. Il a même demandé que les Etats membres prennent des dispositions pour que l’opinion soit informée de manière à rendre plus visible les efforts consentis et les résultats obtenus par les services secrets, grâce à l’innovante trouvaille de coopération en matière de renseignements.

Il est clair que sans une franche collaboration entre les responsables des différents services secrets, aucun résultat n’est possible. Un diplomate n’a d’ailleurs pas tardé à féliciter chaleureusement Ildebert Traoré, DG par intérim de la Sécurité d’Etat du Mali, présent à la réunion, pour la qualité du travail des services maliens. Leur efficacité dans le domaine du trafic de drogue et du terrorisme est désormais sans conteste. L’affaire du mystérieux Avion d’Air Cocaïne est une preuve irréfutable.

Et si AQMI était en salle ?
Dans la salle de conférence du Ministère des Affaires Etrangères et de la Coopération Internationale, à Koulouba, il n’y avait pas que des Ministres et des journalistes. Il y avait également non seulement des représentants des services secrets américains, français, britanniques, algériens en plus des maliens, mais aussi d’autres agents. Au compte d’AQMI ? Un intrus s’est fait passer pour un journaliste et mettait en connexion la salle avec un auditoire extérieur. Par excès de zèle, l’invité très particulier s’est frotté à un diplomate algérien qui l’a certainement reconnu. La conversation n’a pas duré plus d’une seconde.
Abdoulaye NIANGALY

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