Ce qui est arrivé au Mali en 1963, 1990 et 2006 est une crise générale qui affecte l’Afrique post-coloniale, à savoir que la crise de l’Etat et pas seulement en Afrique est présente partout. Face à des Etats aux contours mal définis, le démon de l’irrédentisme guette à tous les coins de rue, sur fond d’appât du gain facile.
Je commencerais par remercier le journal "L’Indépendant" d’avoir publié dans son édition du Vendredi 14 Juillet dernier, l’article du Secrétaire à la communication de l’AISLAM, Mohamed Kimbiri.
Je voudrais féliciter ici Kimbiri pour son courage et sa sagesse et lui dire que je partage son assertion "Un mauvais accord vaut mieux qu’une bonne guerre " et j’ajouterais " surtout s’il s’agit des enfants d’un même pays ".
Marx a certainement raison de dire que l’histoire ne se répète pas. Mais il s’est senti obligé de préciser que la première fois il s’agit d’une tragédie et la seconde d’une farce. Le polémiste a oublié de parler des tragi-comédies quand la " farce " entraîne une " tragédie ". Ceux qui ont dit que les événements du 23 Mai ne sont pas une " répétition " de la rébellion de 1990 ont tout à fait raison. Il s’agit d’événement d’un tout autre genre dans un contexte tout autre mais avec quelques uns des mêmes acteurs et surtout le même argumentaire.
Les Maliens se doivent d’analyser avec sérieux ce qui vient d’arriver et qui a abouti aux "accords d’Alger " tant critiqués par une partie de notre peuple.
Le premier constat est que le type de problème auquel nous sommes confrontés ne se pose pas au seul Mali : on le retrouve dans plusieurs pays africains et ailleurs dans le monde. Et quel est ce problème ? Il s’agit de la tentation (parfois traduite, comme ici, en tentative) de sécession alimentée par l’appât du gain (l’existence supposée ou avérée de richesses minières), recouverte du manteau de revendication identitaire (d’une région ou d’un groupe ethnique). Ce phénomène, on le retrouve presque partout en Afrique où il y a eu récemment découverte ou exploitation de pétrole. Le cas le plus frappant dans notre entourage est la situation du delta du Niger au Nigeria.
Le sécessionnisme produit par l’appât du gain est un phénomène de la fin du XXè siècle et l’un des facteurs qui ont fait de la Mondialisation une époque de fragmentation des Etats. L’autre facteur est constitué par les revendications identitaires légitimes qui ont fait éclater les empires, comme "l’empire soviétique", nés de l’irrédentisme musclé de la fin du XIX è siècle et surtout de la première moitié du XXè siècle.
Le Mali a connu les deux phénomènes : des revendications identitaires dont la légitimité a été reconnue même si les manifestations violentes n’étaient pas acceptées par tous ; et aujourd’hui une tentative de sécession alimentée par l’appât du gain.
Face à un tel problème de quoi disposons-nous comme moyen de résolution ? De l’Etat, appareil que tout le monde évoque mais dont peu savent faire l’analyse. Les partisans de la méthode musclée parlent de faire preuve de " sens de l’Etat" et citent des hommes politiques plus aptes à leurs yeux que le locataire actuel de Koulouba, à incarner ce "sens de l’Etat ". La campagne électorale de 2007 est prématurément lancée et sur le traitement d’une question dont la gravité n’est pas à sous-estimer.
Regardons encore une fois ce qui se passe ailleurs sur cette question. Certes, comparaison n’est pas raison mais elle permet de tirer des leçons de l’expérience des autres. Le Président Sani Abacha du Nigeria n’a pas hésité un instant : son "sens de l’Etat" lui a dicté de réprimer dans le sang les revendications du "peuple Ogoni " et malgré la réprobation de la communauté internationale et les prières du Vatican, il a condamné à mort et exécuté le poète Ken Saro Wiwa et ses compagnons qui servaient de porte-parole au "peuple Ogoni". Malgré cela (ou à cause de cela ?), les revendications dans la région nigériane du delta du Niger continuent de plus belle et avec plus de violence aujourd’hui. Sani Abacha était un dictateur qui avait à sa disposition un appareil d’Etat encore puissant, capable de résister aux pressions intérieures et à la "Communauté internationale". Malgré tout, il ne pouvait pas aller loin avec de telles pratiques parce que les Nigérians eux, les premiers, n’approuvaient pas ces méthodes.
Au-delà de ce cas spécifique, les Etats africains ont du mal à résoudre de tels problèmes parce que l’Etat post-colonial a du mal à voir ses contours clairement définis. Nos Etats sont régulièrement traversés par des soubresauts que l’arrivée de la Mondialisation et de la démocratisation n’a pas amortis, bien au contraire. La crise de l’Etat et pas seulement en Afrique est présente partout. C’est l’ancien Premier ministre français, Laurent Fabius, qui a écrit dans un article publié par Le Monde du Jeudi 23 Février 2000 : "La France éprouve du mal à redéfinir l’Etat : l’Etat central s’affaiblit. L’Etat déconcentré n’apparaît pas encore suffisamment. L’Etat continental est une hypothèse. L’Etat providence se paupérise, réticent à reconnaître qu’il ne peut plus être …un coffre-fort ouvert à l’accroissement des dépenses ".
Le cas du Mali est intéressant à plus d’un titre : vous avez un pays avec une histoire institutionnelle ancienne où, pendant plus de douze siècles, ont prévalu des principes de fonctionnement de l’Etat dont l’un des plus importants est "le respect de l’autonomie du local " ; ce pays connaît, après, une histoire qui a duré à peine un siècle, de centralisation forte de l’Etat ; plus récemment encore ce pays vit la "démocratisation" de la vie institutionnelle mais avec une "élite politique et administrative " dont le premier "sens de l’Etat " a été, chacun des agents à son niveau, de se prendre pour l’Etat à lui tout seul et dans bien des cas, quand il le peut, de prendre le trésor public pour sa poche personnelle.
Une question qu’on voudra bien me permettre de poser : dans quel état l’équipe actuellement aux affaires a trouvé l’Etat malien? Le constat, amer mais sans complaisance, est que la corruption, l’incivisme (l’indiscipline) et l’impunité ont gangrené les sphères politiques, l’administration et même ……l’armée. Je voudrais saluer ici le courage et l’honnêteté de ceux qui, une minorité, ont su résister à ce laisser-aller généralisé. Mais quel est l’état de notre armée aujourd’hui au point de vue de la justice dans les nominations, du respect de la discipline et enfin de la qualité du recrutement ? Quels sont les garde-fous, dans l’armée malienne, à l’appât du gain (facile) et à l’impunité ?
Ce sont ces questions qui m’avaient amené à ne pas approuver dans le Pacte National l’intégration des éléments de la rébellion de 1990 dans l’armée : un rebelle ne respecte bien souvent que la discipline de la force, comment alors l’intégrer dans une armée affaiblie au plan de la discipline ? Dans le traitement du dossier des événements de Mai dernier, il est fort probable et même certain que l’équipe au pouvoir a commis des erreurs. Il reste à savoir si nous, qui avons mis là cette équipe, nous voulons l’aider, par la critique certes mais également avec des propositions constructives, à résoudre un problème qui nous concerne tous et dont la gravité fait qu’il peut hypothéquer notre avenir à tous.
Cheibane COULIBALY, Enseignant – chercheur Université Mande Bukari Bamako.
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