Quelques jours après la libération de la ville de Tombouctou, ses habitants reprennent leurs activités tant bien que mal. Car, en partant, les Djihadistes ont détruit tous ce qui pouvait servir. Visite des lieux.
Déjà, à l’entrée de la ville, c’est la station Total qui porte les stigmates de 10 mois d’occupation islamique. Sur les murs, on remarque des slogans écrits en arabe: «il n’y a qu’un seul Dieu et Mohamed est son prophète». Des douilles de balles de fusils mitrailleurs jonchent encore le sol et les pompes ont été sauvagement été sabotées.
Sur le chemin qui mène vers le centre ville, les Islamistes ont mis le feu à une villa cossue, après y avoir logé pendant 9 mois. Les sièges des différentes banques ne ressemblent plus qu’à des cimetières.
A mi-chemin, nous nous arrêtons devant l’entreprise du député de Tombouctou Sandy Haïdara. Ici, l’acte posé a tout l’air d’avoir été ciblé. Les bulldozers, les motos et tricycles de transport, les camionnettes… tout a été brûlé. Dans la cour, le gardien, qui n’en revient pas encore, nous raconte: «c’était le dernier vendredi avant l’arrivée de l’armée française ici. Les Islamistes ont pénétré dans la cour et ont mis le feu à tous les engins qu’ils voyaient». Selon des voisins, témoins de la scène, le porte-parole d’Ançar Dine, Sanda Ould Bounama, faisait partie de cette expédition dévastatrice.
Quelques minutes plus tard, nous nous retrouvons au centre ville. La mairie, le gouvernorat, le commissariat de Police, le camp militaire, celui des gardes… ont tous été détruits par les Islamistes. Sans oublier le Monument Al Farouk au Rond-point, Place de l’Indépendance.
De l’autre côté de la ville, vers le quartier de Sankoré, l’institut Islamique Ahmed Baba a été dépouillé. Dans l’arrière-cour, les porte-manuscrits et les cendres issues des brûlis des documents sont toujours visibles. Le gardien, qui a accepté de nous montrer les lieux, confesse avoir passé «de sales heures avec ces drogués». En sortant du bâtiment en toute vitesse, les Islamistes ont abandonné certaines de leurs tenues marron. A cinq minutes de là, ce sont les Mausolées du cimetière Sid’Mahmoud détruits par les fous de Dieu et que la terre entière a vu.
Pendant les quelques minutes de notre tour ville, nous avons pu constater qu’à part l’hôpital, aucun bâtiment public n’avait été épargné par le Djihadistes.
Paul Mben, envoyé spécial
Brèves du front
Le bon exemple des jeunes
La semaine dernière, Place de l’Indépendance, Tomboutou a connu l’un de ses premiers grands rassemblements officiels après l’entrée des forces armées maliennes et françaises. En effet, le Réseau des jeunes pour la sauvegarde des intérêts de Tombouctou (RJSIT) a décidé de remettre officiellement des matériels de guerre récupérés après le pillage du camp militaire par la milice arabe, en avril 2012.
Pour la circonstance, plusieurs notables et cadres militaires, dont le Commandant de la 5ème Région militaire, le Colonel Keba Sangaré étaient présents. Selon le vice-président du Réseau, Rakofa Mossa, «cet acte est un message à la population, afin qu’elle restitue les armes en sa possession». Parmi le matériel de guerre remis officiellement, on pouvait noter des pistolets mitrailleurs, des chargeurs, des grenades offensives, des gaz lacrymogènes…
Comme à l’accoutumée pour des occasions pareilles, les groupes de danse traditionnels avaient mis leurs plus belles parures et ont émerveillé le public de leur savoir-faire.
Manque des denrées de première nécessité…
Avec la fermeture des frontières algérienne et mauritanienne et des voies d’accès vers Tombouctou, à partir du Sud, le coût des denrées alimentaires a considérablement augmenté dans la ville des 333 Saints.
Mardi 2 février 2013. Nous sommes au grand marché de Tombouctou, ou plutôt ce qu’il en reste encore (puisque 90% des boutiques arabes ont été littéralement pillées). Sur son étal, Mariam Cissé vend des pâtes alimentaires, des boîtes de conserves et d’autres petites marchandises. Elle nous affirme que «depuis le début de l’offensive française et la fermeture de tous les accès vers Tombouctou, les prix de toutes les marchandises ont augmenté».
Nous décidons alors de faire quelques emplettes. Et le résultat est on ne peut plus claire: le carton de 500 g de thé (Flesha) a atteint 1 500 FCFA alors qu’il n’en coûtait que 1000 FCFA. Le paquet de pâtes alimentaires est à 1 200 FCFA au lieu de 600. Le lait, le sucre, et même l’huile, qui se vendaient à vil prix, sont presque inaccessibles.
Selon un responsable de la ville avec qui nous avons échangé, «si le gouvernement n’ouvre pas les voies menant à Bamako, dans quelques jours les populations vont être dans une misère totale». Il faut ajouter que la ville de Tombouctou ne bénéficie actuellement que de 4 heures d’électricité et de quelques heures d’approvisionnement en eau potable par jour. Notons que les villes de Gao et de Kidal sont dans la même situation.
Supporters jusqu’au bout…
Deux batteries, quelques fils rafistolés et un poste téléviseur (écran 14). Voilà le dispositif qui a permis à quelques jeunes du quartier Abaradjou de suivre en direct le match de demi-finale opposant les Aigles du Mali au Nigeria. Eux qui n’ont l’électricité que de 18 à 22 heures.
Au début de la rencontre, chaque action malienne était l’occasion pour la vingtaine de supporters présents de jubiler ou de se mordre la main. Puis la catastrophe: à la 15ème minute, le Nigeria marque le premier but. Deux autres buts surviendront avant la mi-temps.
Une mi-temps lors de laquelle certains ont prié «pour que les Aigles du Mali reviennent au score». Mais, en ce mercredi 6 février, les dieux du foot étaient nigérians. La partie s’est achevée par un score de 4 à 1 en faveur des poulains de Stephen Keshi. Cependant, Mahamane Cissé et plusieurs autres nous ont affirmé être «supporters du Mali jusqu’à la fin», car, «quand l’équipe joue en Afrique Sud, cela nous permet d’oublier les problèmes que nous avons vécus pendant 10 mois».
Cela est vrai. Pendant 90 minutes, les Aigles du Mali se sont battus et ont permis aux Tomboctiens de vibrer en même temps que les Maliens du Sud. Même si notre équipe n’a pas gagné, les habitants de la ville des 333 Saint ont retrouvé le plaisir de regarder la télé. En toute liberté.
Une partie de l’armée française se retire…
Le mercredi 6 février, toute la journée, le bac été mis à rude épreuve. Et pour cause. Depuis très tôt le matin, une partie de l’armée française se retirait. Au bord du fleuve, avec un œil sur tout ce qui se passait, un officier supérieur nous a confié «c’est vrai qu’une partie de l’armée française se retire de Tombouctou pour regagner ses bases initiales à Ndjamena ou à Abidjan». Mais, a-t-il ajouté, «nous ne pouvons pas vous dire actuellement si nous reviendrons pour attendre l’arrivée de la force africaine». Interrogé sur le sujet, le Commandant de la 5ème Région militaire, le Colonel Keba Sangaré, s’est déclaré «confiant». «L’armée malienne est prête à assurer la sécurité de toute la région de Tombouctou», a-t-il affirmé.
Les populations, quant à elles, souhaitent que «l’armée française continue à rester auprès de nos militaires afin qu’ils acquièrent plus de métier».
Paul Mben, Envoyé spécial