« Le dialogue interculturel nord-sud au Mali », tel est le thème de la troisième édition du concours talent de presse organisé par le Club des amis de l’Union européenne (CAUE) en partenariat avec l’Union européenne et l’Organisation des jeunes reporters du Mali (OJRM). Un thème d’actualité quand on sait que le Mali est secoué par une crise multidimensionnelle depuis janvier 2012. De prime abord, le débat sur le dialogue interculturel a de tout temps suscité une controverse doctrinale, raison pour laquelle, il n’existe pas une définition acceptée par tous du terme de dialogue interculturel. Le concept fait plutôt référence à une variété d’autres termes, tous très actuels, tel que le multiculturalisme, la cohésion sociale et l’assimilation. La définition la plus appropriée à ce jour est peut-être celle proposée par le Conseil de l’Europe dans son Livre Blanc sur le dialogue interculturel, qui stipule que : « Le dialogue interculturel est défini comme un échange d’idées respectueux et ouvert entre les individus et les groupes aux patrimoines et expériences ethniques, culturels, religieux et linguistiques différents ». Au cours de notre reportage à l’allure d’une enquête, il ressort que la réconciliation nationale tant prônée par les Maliens n’est possible sans le dialogue interculturel, inter et intracommunautaire même si certains précisent qu’il n’y a pas de rupture du dialogue.
Aborder le dialogue interculturel, c’est s’engager sur un terrain de polémique quelle qu’en soit la manière de le présenter. Depuis le 17 janvier 2012, le Mali est frappé par une crise sans précédent de son histoire. Pour faire en sorte que cette crise soit un mauvais souvenir et amorcer une vraie réconciliation nationale au Mali, un pourparler inclusif inter malien est en cours depuis juillet 2014 dans la capitale Algérienne (Alger) entre le gouvernement malien et les groupes armés. C’est pour cela que cette thématique « Le dialogue interculturel Nord-sud au Mali » est plus que jamais d’actualité.
A travers nos investigations, le dialogue interculturel s’avère inéluctable pour une vraie réconciliation nationale tant prônée par les acteurs. Mettant l’accent sur l’importance de ce dialogue, le gouvernement malien a consenti des efforts à Bamako, à l’intérieur et à l’extérieur du pays, parmi lesquels : l’accord du 18 juin 2013 signé à Ouagadougou (Burkina Faso) sous le leadership de l’ancien ministre Tiébilé Dramé, les états généraux de la décentralisation tenus à Bamako du 21 au 23 octobre 2013, les assises nationales sur le nord du 1er au 2 novembre 2013, le forum régional de Gao du 30 novembre au 1er décembre 2013, le forum pour la paix et la réconciliation nationale dans la cité des 333 saints (Tombouctou), du 30 mars au 04 avril 2014 et la création de la commission dialogue et réconciliation actuellement sous le nom de commission vérité, justice et réconciliation.
Ces activités ou initiatives procèdent, entre autres, d’une volonté forte de privilégier la voix du dialogue dans la recherche de solutions à la crise, souligne le conseiller technique au ministère de la culture Mamadou Bani Diallo. Selon lui, le dialogue interculturel nord-sud au Mali ne doit pas être dissocié du dialogue entre toutes les composantes de la Nation. Ce n’est pas une question isolée qui se limite aux seuls protagonistes. Elle s’inscrit dans un cadre général dont il faudrait nécessairement tenir compte : relations inter et intracommunautaires, relations intergénérationnelles, relations entre gouvernants et gouvernés, entre élus et citoyens, entre administration centrale et collectivités décentralisées, entre majorité et opposition, entre administration et autorités coutumières, a-t-il précisé. Et de poursuivre que le dialogue interculturel est incontournable dans la résolution de la crise du nord du Mali. « Source de frustrations, de rancunes, d’ostracisme, de divisions, la guerre est un pis-aller. La solution la plus durable réside dans le dialogue, un dialogue inclusif où les parties font l’effort de s’écouter réellement et d’aplanir leurs divergences dans la plus grande courtoisie, tout en ayant le souci de placer l’intérêt national au-dessus de toutes autres considérations. Il n’y a pas de recettes toutes faites en la matière. Plusieurs acteurs interviennent dans le dialogue interculturel. Certains, parmi eux, sont amenés à jouer un rôle prépondérant, au regard de leur statut ou de leur position : les représentants de l’Etat, des Mouvements rebelles, des communautés locales, des collectivités décentralisées, des Organisations de la Société Civile, des élus, des autorités coutumières, les facilitateurs. Il ne faudrait non plus négliger tous ceux qui de manière discrète travaillent dans l’ombre à rapprocher les points de vue, à maintenir et à raviver la flamme du dialogue, tous les partenaires qui usent de leur influence pour parvenir à une issue heureuse », conclu Mamadou B Diallo du département de la culture. Abondant dans le même sens, le ministre Sada Samaké affirmait, lors du forum régional de Gao, la volonté des autorités à rebâtir la nation malienne à travers un dialogue large et inclusif. Idem pour Mariam Touré dite Méri, étudiante à l’école de santé au quartier 7 de Gao, qui démontre que le dialogue interculturel est inévitable au Mali. « La crise a vraiment affectée mes activités plus particulièrement mes études ce qui m’a même poussée à venir faire mes études chez mon beau frère à Bamako. Mais « alhamdoulilah» (Dieu merci), la situation est calme maintenant. Les déplacés et refugiés commencent à regagner le bercail. L’intégration se fait sans difficulté majeur. Au cours du forum sur la réconciliation qui s’est tenue à Gao, le dialogue interculturel, inter et intracommunautaire ont été entre autre les différentes recommandations. Qu’on le veuille ou non, le dialogue interculturel est inévitable parce que Gao est fait d’ethnies différentes et qui ont tous leur culture. Je parle des Sonrhaïs, Touaregs, Bellahs, Arabes, peulhs, Dogons etc», a-t-elle dit.
Dialogue culturel d’accord mais … économies locales d’abord
Cependant, de son côté, l’ancienne ministre de la culture Aminata Dramane Traoré rassure qu’il n’y a pas de rupture du dialogue au Mali. A l’en croire, il n’y a pas un problème de dialogue en tant que tel car il s’installe au fil du temps. « De mon point de vu, si on veut chercher les dimensions culturelles de ce conflit malien, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de dialogue, ce n’est pas parce qu’on ne se reconnait pas mais parce qu’on s’est trouvé dans des situations économiques, politiques, institutionnelles conflictuelles, et ce sont à ces questions qu’il faut s’attaquer. Je privilégie dans ma lecture de ce conflit, les dimensions économiques que beaucoup de gens évacuent. Les gens au nord mais au sud dans l’ensemble du pays comme partout ailleurs aujourd’hui sont confrontés à des difficultés économiques extrêmes considérables. Maintenant dialogue culturel d’accord mais imaginons des économies locales qui permettent au gens de vivre dignement, quand les gens perdent leur dignité, quand ils savent plus sur quoi prendre appui, ils prennent des armes. Moi, je crois que l’ancrage culturel est là, il est mise en mal par des difficultés économiques qu’il ne faut pas occulter », a-t-elle martelé. Avant de souligner que la culture est un système de valeurs et de référents. « Chaque pays est composé de plusieurs groupes qui parlent différentes langues, se comprennent parce qu’il y’a des fondamentaux. Ils ont des repères en commun, en partage. Dans l’ensemble, même si vous n’avez pas les mêmes références culturelles, vous aurez trouvé chez l’autre la même humanité de principe et de pratique qui font que vous n’êtes pas étranger l’un à l’autre. Ne pas être étranger l’un à l’autre même quand vous ne parlez pas la même langue, vous comprenez que l’autre est d’abord un humain surtout que la culture est la principale caractéristique de tout être humain, on considère que vous savez respecter chez l’autre, sa différence, ses repères. Donc de ce point de vue, on peut parler de dialogue culturel même si c’est beaucoup compliqué parce que la notion de dialogue suppose qu’on l’instaure de manière délibérée pour régler un problème, c’est ça qui amène les gens à parler de dialogue nord-sud », a-t-elle dit.
« Une minorité d’une communauté … en rupture avec l’Etat »
Allant dans le même sens, Cheick Oumar Sissoko, ancien ministre de la culture, expliquera que la diversité culturelle intéresse le monde entier, parce qu’elle constitue une richesse pour l’évolution de l’humanité. « La diversité culturelle ne peut pas à elle seule faire la cohésion sociale, mais elle y participe », a-t-il déclaré. Avant d’ajouter qu’il n’est pas du tout d’accord avec ceux qui pensent que la diversité culturelle est en mal au Mali. « Il n’y a pas un problème de cohésion sociale au Mali. Il y a une minorité d’une communauté qui est en rupture avec l’Etat », a-t-il déclaré. Avant de préciser que toutes les personnes qui ont eu l’opportunité de diriger ou gouverner cette partie de l’Afrique qui est le Mali, n’ont jamais perdu de vu que la cohésion sociale passe par le respect de la diversité culturelle. « La charte de Kouroukafouka est un instrument de promotion de la cohésion sociale », a indiqué Cheick Oumar Sissoko qui pense que les anciens ont créé le « Synakouya (cousinage à plaisanterie)» pour promouvoir la cohésion sociale. Pour sa part, le président du Réseau des communicateurs traditionnels pour le développement en Afrique de l’Ouest (Recotrade), Cheick Oumar Tidiane Soumano a fait savoir que le Mali est un et indivisible. « Il y’a le nord, il y’a le sud, ce sont des situations géographiques du pays. Mais, c’est la même culture, c’est la même civilisation, ce sont les mêmes personnes. Le Mali forme une seule famille et le Mali est un pays de culture depuis la nuit des temps, un pays de dialogue et d’oralité. La conciliation, l’entente, la prévention. C’est ça l’œuvre du malien, notre quotidien de tous les jours », dit ce gardien de la tradition. Selon Assane Koné, journaliste culturel, le dialogue interculturel a un rôle important à jouer dans la réconciliation nationale. « Quand on part des vrais raisons de la crise malienne, il est clair qu’il y a un effort important à faire pour que les différentes communautés maliennes qui vivent ensemble depuis de nombreuses années réapprennent à le faire, surtout dans la partie nord du pays », a-t-il dit. Et de poursuivre que cela est d’autant plus nécessaire que sans cohésion nationale, nulle ne saurait parler de paix et de développement. A l’en croire, les acteurs clés du dialogue interculturel, sont les communautés à la base. « Si le dialogue interculturel veut dire échange entre des communautés de différentes cultures, nous pensons que le dialogue interculturel a, de tout temps, existé entre la partie nord et la partie sud du Mali. Cependant, avec une crise comme celle que le Mali vient de vivre, l’on pourrait se demander si le dialogue interculturel a très bien fonctionné. Certains répondront par la négative. C’est pour cela que des actions allant dans le sens de permettre aux différentes communautés maliennes de s’accepter et de vivre en symbiose, seront les bienvenues » a souligné Assane Koné. Il a estimé que « le dialogue entre les cultures est un antidote au rejet et à la violence ». Selon lui, l’objectif du dialogue interculturel est de réapprendre à vivre ensemble dans la paix et de manière constructive dans un environnement multiculturel, et de développer un sens de la communauté, un sentiment d’appartenance. A travers les éléments cité dessus, l’on pourrait dire que le dialogue interculturel nord-sud au Mali est non seulement incontournable mais peut aussi être un instrument de prévention et de résolution des conflits en ce qu’il encourage le respect des droits de l’homme, de la démocratie, et de l’état de droit. En définitive donc, nous pouvons dire que le dialogue interculturel nord-sud au Mali se porte tant bien que mal. En témoigne les nombreuses marches pour l’unité du Mali organisées tout récemment par la société civile qui regorge en son sein plusieurs ethnies et cultures (Bambara, peulh, Tamasheq, dogon etc.). En outre, les différents festivals organisés au Mali dont le festival sur Niger, le festival du désert, le festival de Niamina demeurent des tremplins pour le dialogue interculturel.
Aguibou Sogodogo