Les enquêteurs des Nations unies mettent directement en cause l’armée malienne pour une dizaine d’exécutions sommaires et plus de 150 détentions arbitraires, essentiellement dans le Nord.
D’après le rapport, au Nord, la situation s’est considérablement détériorée au mois de mai 2014. En effet, les Forces armées et de sécurité du Mali (FAMa) et le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) se sont affrontés les 16, 17 et 21 mai 2014 à Kidal. Au cours de ces affrontements armés, des violations et abus graves du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire ont été commis par les parties au conflit, précise le rapport onusien.
Ces événements de Kidal, poursuit le rapport, ont fait reculer les avancées tendant à la restauration de l’autorité de l’Etat et risquent de remettre en cause les efforts nationaux et internationaux qui visaient la consolidation des acquis démocratiques issus des élections de juillet et octobre 2013, notamment en termes de justice transitionnelle.
Ce rapport est le résultat de 36 missions d’enquêtes et d’établissement des faits menées par les équipes des droits de l’homme de la MINUSMA dans les régions de Kidal, Gao, Tombouctou et Mopti. La MINUSMA a notamment visité plus de 150 lieux de détention dans ces quatre régions, ainsi que dans les localités de Sélingué, Dioïla et Markala. Les équipes de droits de l’homme se sont régulièrement entretenues avec des victimes et témoins, à Bamako et dans les localités enquêtées.
Les violations et abus du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire commis et documentés dans le rapport présenté incluent des cas d’atteintes au droit à la vie, notamment d’exécutions sommaires et extra-judiciaires, d’arrestations et de détentions arbitraires, commis par des militaires FAMa, principalement lors de leur retour progressif dans les régions du nord, notamment à Kidal, Gao et Tombouctou, suite à la signature de l’Accord préliminaire qui a permis la tenue de l’élection présidentielle et aux pourparlers inclusifs de paix au Mali du 18 juin 2013. C’est dans ce contexte qu’au moins une dizaine de civils ont été sommairement exécutés tandis que d’autres étaient victimes de traitements cruels, inhumains ou dégradants, d’arrestations arbitraires et de détentions illégales.
Les Nations unies pointent également du doigt les exactions des groupes rebelles du Nord, en particulier dans les zones qu’ils contrôlent. ” Les groupes armés ont été responsables de plusieurs cas d’exécution sommaires extrajudiciaires, surtout des personnes soupçonnées d’être des pro-gouvernements. Ils ont même enlevé certains individus qu’ils ont accusés d’être des informateurs des forces impartiales “, souligne Guillaume Ngefa.
Les rebelles touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) sont notamment accusés d’avoir ” délibérément tué ” huit civils à Kidal, lors des affrontements du mois de mai dernier. Des affrontements initiés par les forces maliennes, ayant tiré les premiers, selon ce même rapport onusien.
En outre, ces combattants de groupes armés qui ont occupé et continuent d’occuper une partie du nord du pays, ont été à l’origine d’abus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire. La Division des droits de l’homme de la MINUSMA a documenté au moins 50 cas d’attaques indiscriminées, asymétriques et actes de terrorisme, commis par des combattants du MNLA, du Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA) et du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) ainsi que des combattants de groupes armés extrémistes.
Au moins 6 personnes ont été tuées après avoir été la cible d’attaques de cette nature. Les victimes se comptent notamment au sein des FAMa, de la MINUSMA et de l’opération SERVAL, ainsi que parmi des organisations non gouvernementales internationales et des organismes des Nations Unies. Au moins 5 personnes, parmi lesquelles deux journalistes de Radio France Internationale, à savoir Ghislain Dupont et Claude Verlon, ont été enlevés et exécutés par des groupes terroristes dans la région de Kidal.
Par ailleurs, des violences entre communautés, principalement au nord du pays, se sont souvent soldées par la mort de plusieurs civils et ont contribué à entretenir un climat de suspicion propice à la vengeance et à la haine au Mali. La Division des droits de l’homme a documenté et enquêté sur le cycle de violences intercommunautaires qui a opposé les communautés Peulh et Tamasheq dans la région de Gao depuis novembre 2013. Elle a confirmé 12 affrontements successifs majeurs ayant causé au moins 125 victimes dont 75 tuées, dans l’intervalle de cette courte période de temps.
Aussi, ce rapport formule une série de recommandations visant à soutenir le Mali dans son engagement vers une résolution pacifique du conflit, dans un climat respectueux des droits de l’homme. La mise en œuvre de ces recommandations par les autorités maliennes et les groupes armés revêt une importance particulière à la lumière des dispositions de l’Accord préliminaire de Ouagadougou par lequel les différentes parties se sont notamment engagées à promouvoir les objectifs de réconciliation nationale en vue d’un retour à la paix dans le nord du pays
Guillaume Ngefa, en charge des droits de l’homme pour les Nations unies au Mali, dénonce la lenteur avec laquelle les dossiers sont traités : ” Nous avons porté justement tous ces cas documentés à l’attention des autorités judiciaires maliennes”, explique-t-il. Elles ont ouvert des enquêtes, mais des enquêtes qui n’avancent pas. Certaines n’ont pas été encore ouvertes, les cas d’exécutions de prêcheurs mauritaniens par exemple. A Diabaly, nous avons le cas d’un ressortissant arabe et d’autres qui ont été enlevés et tués à Tombouctou. L’enquête n’avance pas”, conclut-il.
Youssouf Sangaré