Cette affaire « n’a pas révélé toutes ses vérités ». C’était l’avis de la presse française et algérienne, le week end. Un officiel malien le pensait déjà le vendredi où le président Touré est rentré de Ndjamena. Tout au long du trajet, il se contient mais c’est « sa tête des mauvais jours ». Et pour cause : les agences de presse diffusent en boucle qu’il a quitté précipitamment la réunion du Cen Sad à cause du raid mauritanien contre Aqmi en territoire malien et que son pays avait donné son aval à cette opération.
Zones d’ombre
Or il était programmé à Bamako où il doit prendre la parole à un important un colloque sur l’Islam. Ce qu’il a fait, non sans rappeler sa doctrine sur les périls de l’espace sahélo-saharien. Il faut dire qu’avant son voyage tchadien, le président malien a signé le décret créant le Programme Spécial dénommé Programme pour la Sécurité, la Paix et le Développement au Nord, un dispositif d’urgence qui répond au défi global du nord malien : présence sécuritaire renforcée, administration de proximité, projets de développement. Mais de Ndjamena, le président a appris – par un de ses pairs- qu’une opération mauritanienne se déroulait dans son pays. On lui dira, dans la foulée, qu’une mission conduite par le ministre mauritanien de l’Intérieur était en route pour le Mali et souhaiterait « lui parler ». De quoi ? Ce jour à l’aube, ce qu’on croyait jusque-là des forces mauritaniennes ont attaqué une position Al Qaeda, dans la partie malienne de l’Akla, au nord de Lerneb, dans la région de Tombouctou. Dans la cartographie de la terreur que l’émir Droudkel a conçue pour la Zone Sud, -Sud de l’Algérie, s’entend- c’est le territoire de Moktar Belmokhtar. C’est lui qui détient les otages espagnols et dans un coup médiatique d’éclat salué par la communauté internationale, Nouakchott, avait lancé contre lui un mandat d’arrêt en mars dernier. Contrairement à la nouvelle répandue, ce n’est donc pas dans les contreforts de Région de Kidal que l’attaque a eu lieu. Or c’est cette zone qui est celle d’Abuzeid, le cruel chef salafiste qui détient l’otage français et qui avait exécuté le Britannique Dyer il y a plus d’un an. Il est vrai que l’arme essentielle des barbus, c’est leur mobilité et que les chefs salafistes peuvent se rendre où ils veulent dans ces contrées aussi immenses que désertes. Les Espagnols, en tout cas, ne sont pas contents. Eux sont en contact avancé avec les « Emirs » et la veille, la presse catalane se félicitait du bon déroulement des négociations devant aboutir à leur libération. « Le raid du jeudi allait tout gâcher ».
Cafouillage
Fin d’après-midi, vendredi, ATT qui avait consulté tout son monde, reçoit la délégation mauritanienne. Celle-ci loue la prise : six salafistes tués, des armes, des explosifs en grandes quantités du matériel de transmission. Tout ça paraissait beaucoup pour la dizaine d’activistes qui se trouvaient dans la dune attaquée. Pas un mot sur l’otage français : pour le ministre mauritanien, il s’agissait d’une attaque préventive contre Aqmi qui planifiait une attaque contre Bassikhounou, le 28 juillet ». La délégation minimise donc l’importance de l’appui français. Il est vrai que jusque-là, l’Elysée ne reconnaît avoir concédé à Nouakchott que quelques « moyens techniques et logistiques». Pourtant, avant même que l’émissaire du président Aziz quitte Bamako, samedi matin, la polémique enfle à Paris. Les pièces du puzzle s’emboîtent: Paris acculé admet que ses « forces spéciales » avec une trentaine d’hommes ont bel et bien pris part aux opérations. Nouakchott embarrassé est obligé de relativiser sa part de succès propre. L’opposition à Aziz s’engouffre dans la brèche et dénonce une guerre non légitimée par le parlement, et de surcroît sur le sol d’un pays voisin qui « n’a peut être pas été informé. Bamako exaspéré crie au mépris et à la déloyauté. C’est tout « sauf l’application d’un droit de poursuite, mais une violation de territoire, pense un politique malien ». Pendant ce temps, l’Algérie cafouille : une partie de sa presse révèle qu’Alger avait été informé dès mardi du coup. L’autre s’indigne que ce pays qui fait office de gendarme de l’espace n’ait été informé par personne et elle s’en prend particulièrement au Mali qui, selon elle, a autorisé la présence sur son sol d’une armée non régionale. La France, en l’occurrence. De Kampala, l’Union Africaine, s’emmêle. Louant publiquement la fermeté mauritanienne, l’Algérien Lamamra, et cela a été fortement ressenti par les Maliens, aura peut-être plus parlé au nom de son pays que de l’organisation continentale. Un autre pays aurait sans doute élevé une protestation officielle contre le fonctionnaire africain. Et peut-être rappelé son ambassadeur en poste à Nouakchott. Samedi, à son bureau où il attendait du monde, et paré d’un habit du terroir aux fines broderies, le Président est pourtant serein, qui écarte ses deux recours. Mais il n’est pas allé à Kampala où il était attendu. Est-ce sa manière de protester ? En tout cas il ne devait pas être excessivement malheureux des communiqués et contre-communiqué qui divisent les officiels mauritaniens et français, alliés d’un raid dont ni la nationalité ni la rationalité ne sont établies, car l’otage français est encore aux mains de ses ravisseurs, et l’opération sans doute coûteuse n’aura fait qu’un bilan très mitigé.
Adam Thiam