Naguère opposés comme chiens et chats, Lamhar du Tilemsi et Touaregs de la CMA sont bien partis pour cheminer désormais comme larrons en foire, probablement aux dépens de l’unité nationale. Faute de dividendes à leur loyauté au pouvoir central, les uns sentent en tout cas comme une nécessite de faire allégeance aux autres en vue, dit-on, de préserver une existence précarisée par les harcèlements et persécutions des tuteurs extérieurs de l’Etat.
Les mauvaises approches ou agendas inavouables de la communauté internationale sont visiblement passés par là. Attendues sur le front du redressement d’un pays engouffré dans la crise, les forces étrangères ont tout l’air de sacrifier plutôt à quelques penchants ethniques. Difficile d’expliquer autrement, en tout cas, la fixation pour le moins intrigante sur la communauté arabe des ” Lamhar ” – une vieille rengaine qui reflue après moult tentatives et manœuvres infructueuses, depuis Serval jusqu’à Barkhan, pour inverser le rapport des forces au profit des groupes séparatistes de leur préférence. L’artifice, on se rappelle, s’est jadis cristallisé dans les persécutions infligées à un certain Yoro OuldDaha, qui allait payer un lourd tribut à ses prouesses guerrières aux dépens de mouvements armés rivaux. Freiné et désarmé dans sa progression vers Kidal en son temps, l’intéressé, devenu par la suite Commandant du MOC de Gao, n’avait pour seul tort, selon toute évidence, que d’avoir ramé à contre-courant de la vague sécessionniste soutenue par ses bourreaux étrangers. L’intrépide combattant MAA d’obédience loyaliste sortira finalement entre leurs mailles, mais la terreur a
pris une autre dimension et se répand depuis quelques temps sur toute sa communauté. D’abord à travers les séquestrations d’au moins quatre centaines d’autres frères d’arme tous originaires du Tilemsi, ensuite sous la forme d’allégations de trafics illicites sur fond d’arguments spécieux contre les commerçants du même terroir. La saisie à Niamey de 10 tonnes de stupéfiants a ainsi donné lieu à l’incarcération de quatre d’entre eux, lesquels comptent parmi les plus déterminés d’une fraction arabe ayant servi de rempart infranchissable face à la progression de l’irrédentiste dans la région de Gao. Y figure, entre autres, un responsable influent de la Compagnie de Transport «Tilemsi», que les autorités nigériennes détiennent depuis plus d’une année, dans des circonstances qu’on est tenté d’élucider au-delà des seules conclusions d’experts de l’ONU, et pour cause. Présentés dans un rapport du Conseil de sécurité comme de vulgaires criminels pris la main dans le sac, Sid’Ahmed Ben KazouMoulati et compagnons n’ont vraisemblablement aucun lien évident avec la cargaison de cannabis saisie par la police de ce pays voisin. De sources concordantes, en effet, les quatre Maliens incarcérés étaient tous en transit par le Niger à destination de Gao où ils devaient se rendre pour des retrouvailles familiales. En provenance de l’Algerie par la Royal Air Maroc, ils sont ainsi interceptés à l’Aéroport de Niamey et mis aux arrêts sans autre forme de procès. Et depuis, ils attendent instamment que l’écheveau se dénoue par un éventuel procès qui les fixerait sur leurs sorts, après qu’une bonne demi-dizaine d’enquêtes n’ait jamais pu prouver leur implication dans la rocambolesque Affaire. Au lieu de quoi, leur détention se prolonge arbitrairement et les supputations autour du dossier s’amplifient en stigmatisant toute une communauté à travers quelques-uns de ses composantes, en même temps que leur label commercial est injustement associé à la contrebande et au trafic illicite dans les différentes enquêtes de l’ONU sur le Mali. Il s’agit notamment des compagnies de Transport «Nour» et «Tilemsi». Or, vérification faite, il se trouve que ces deux entreprises pouvaient difficilement rouler sur la fortune de la drogue en étant cruellement insolvable auprès des banques. Car ni l’une ni l’autre ne sont en effet à jour des échéances de remboursement de la dette contractée auprès des banques lors de leur création. On parle d’une bagatelle de 1,3 milliards remboursables sur deux ans, échéance que le créancier, Orabank en l’occurrence, a dû prolonger de deux années supplémentaires pour soulager ses débiteurs en difficulté. Une telle disette financière contraste pour le moins avec la caricature faite de leurs activités commerciales par les limiers onusiens. De même que les accusations de trafic d’armes retenues à l’encontre d’autres figures emblématiques des Lamhar, aux yeux de nombreux observateurs, visent également un seul et même dessein : asphyxier une gênante communauté arabe loyaliste et ne lui laisser aucune alternative que se jeter dans les bras des tendances opposées. C’est la même visée que sous-tendent, selon eux, les sanctions infligées par le Conseil de Sécurité de l’ONU à la principale référence politique de cette tribu, en l’occurrence Mohamed OuldMattali. Décrit dans les documents onusiens comme la caution et le garant politique des opérations illicites, ce député élu à Bourem s’était pourtant singularisé par des faits patriotiques plus glorieux par le passé, pour s’être farouchement opposé à la proclamation de la République de l’Azawad à Gao et contribué à mettre hors de portée des archives très stratégiques de l’administration régionale lors de l’occupation. Mais, comme tant d’autres éléments de la Plateforme sous le coup de sanctions similaires, le député OuldMattali ne paye pas seulement pour avoir préféré le Mujao aux velléités sécessionnistes du Mnla. Ses ennuis ont sans doute aussi un rapport avec les clivages au sein des mouvements loyalistes (Plateforme et GATIA) où les délations calomnieuses sur fond de rivalités internes ne crépitent guère moins que les armes traditionnelles. Il en résulte, quoi qu’il en soit, une marge de manœuvres assez réduites par les mesures restrictives afférentes à son encontre que son influence ne permet plus de retenir les siens dans une chimérique loyauté à Bamako où les autorités sont insensibles au démantèlement des soutiens inconditionnels de la République.
Ainsi affaiblis par les pressions onusiennes et abandonnés par le pouvoir central, les Lamhar du Tilemsi ne sont pas si loin d’être phagocytés par la vague autonomiste dominante dans la région de Kidal. À bout de souffle, les récents appels du pied que multiplie la CMA en leur direction auront eu raison de leur longue et farouche résistance à la tentation et aux incitations, alors qu’ils constituaient jusque-là d’uniques paravents militairement fiables contre la percée irrédentiste. Doit-on en définitive assimiler leur lâchage par le pouvoir central à une capitulation devant les menaces qui pèsent sur l’Etat unitaire ?
A KEÏTA