Processus de DDR : Guterres regrette le manque d’engagement chez les groupes armés

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Le Portugais Antonio Guterres au siège de l'ONU à New York, le 12 avril 2016 (AFP/KENA BETANCUR)

Dans son dernier rapport sur la situation du Mali, le Secrétaire général de l’Organisation des nations unies  dresse un tableau des plus sombres sur un processus de paix qui, selon lui, n’a presque pas connu de progrès au cours de l’année écoulée. Antonio Guterres invite surtout les groupes armés à s’impliquer de façon active dans la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale, notamment le processus de désarmement, de démobilisation et de réinsertion des ex-combattants.

Le rapport, publié en fin septembre dernier, est un document de quelques 28 pages, et traite de différents aspects de la mise en œuvre de l’Accord de paix: situation sécuritaire, celle des droits de l’Homme, les questions politiques et institutionnelles, le processus de Désarmement, de démobilisation et de réinsertion (DDR), entre autres.

Nécessité de recréer la confiance entre les parties signataires                     

Parlant de ce dernier point, le Secrétaire général des Nations Unies s’est d’abord félicité de la signature d’une trêve entre la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et la Plateforme des mouvements d’autodéfense, avant de les appeler à prouver leur acquisition au processus de paix et de rétablissement de l’autorité et des services de l’Etat. Il les a ainsi exhortés de façon pressante à participer activement à l’application des dernières dispositions de l’Accord, notamment en proposant leurs listes définitives de candidats pour les processus de cantonnement et de désarmement, démobilisation et réintégration ‘’afin de mettre en route ces processus une fois pour toutes’’. «A défaut, la stabilisation et la consolidation de la paix dans le Nord du Mali resteront hors de portée, et les populations les plus vulnérables continueront de pâtir de l’absence de dividendes de la paix, pourtant attendues depuis longtemps», a déclaré Guterres selon qui, la reprise des hostilités a exacerbé les menaces sur la sécurité dans le Nord du pays. Et le patron de l’ONU d’affirmer que le refus des groupes armés signataires de remettre la liste de leurs combattants demeure le principal obstacle au processus de DDR qui doit débuter le 15 octobre 2017. Ces groupes ont, dit-il, exigé des quotas pour l’intégration de leurs membres à toutes les institutions chargées de la sécurité, et pas seulement aux forces armées, comme cela avait été décidé au départ. «Cette requête n’a pas encore été examinée par le Gouvernement. A Gao, les manquements et l’indiscipline des patrouilles mixtes ont contribué au mécontentement croissant de la population et, dans certains cas, à la création de groupes de justiciers », a-t-il souligné. Aux dires de M. Guterres, les progrès  accomplis dans l’application des mesures provisoires de défense et de sécurité ont été d’autant plus lents qu’il y  a un manque de confiance entre les parties signataires. Cette situation s’explique aussi, dit-il, par l’instabilité des conditions de sécurité et de l’absence de critères d’intégration clairement définis, y compris une décision quant à l’harmonisation des grades.

Les autorités intérimaires plombées par des rivalités internes          

Sur le double plan politique et institutionnel, le Secrétaire général de l’ONU a fait remarquer que les autorités intérimaires ne sont toujours pas pleinement opérationnelles du fait des  rivalités internes et de l’insuffisance des moyens administratifs et budgétaires et des capacités de planification. Si celles de Gao, Ménaka, Taoudenni et Tombouctou ont adopté un plan d’action prioritaire qui visait à permettre l’accès à des financements publics pour la fourniture de services de base, à Kidal, les désaccords entre groupes armés au sujet de la mise en place de patrouilles mixtes ont empêché le retour des membres des autorités intérimaires issus de la Plateforme, retardant ainsi leur entrée en fonction, a expliqué Antonio Guterres. Il a par ailleurs souligné qu’à cause de l’insécurité, le redéploiement de l’administration civile dans le Nord et le Centre du Mali n’a pas pu progresser. «Malgré une légère augmentation du personnel judiciaire, le faible taux de déploiement des agents de l’État a continué de peser sur la prestation des services sociaux de base et de saper la confiance des citoyens envers l’État », a déploré le diplomate qui s’est aussi alarmé du      retard constaté dans le redéploiement et l’extension de l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire et la baisse du nombre de représentants de l’État dans le Nord et le Centre du pays. « Je suis vivement préoccupé par l’augmentation des atteintes à la sécurité du fait d’éléments armés et de groupes armés extrémistes dans le Centre du Mali, en particulier dans les régions de Mopti et de Ségou, où l’apparition de groupes d’autodéfense pour parer aux risques résiduels en matière de sécurité, en particulier dans les zones reculées, est aussi inquiétante », a déclaré Guterres, tout en attirant les attentions sur le risque que cette situation alimente la violence et exacerbe les clivages intercommunautaires. Pour faire face à cette situation que connaissent les régions Nord et Centre du pays, le Secrétaire général de l’ONU a invité le gouvernement à renforcer la présence de l’administration civile et des forces de défense et de sécurité dans ces secteurs et à lutter contre l’insécurité naissante, tout en respectant ses obligations internationales relatives aux droits de l’homme. Toutefois, les mesures de  sécurité, seules, ne suffiront pas. Il a ainsi préconisé une stratégie multidimensionnelle,      englobant la justice, le développement, la sécurité, l’éducation et la création d’emplois, notamment pour les jeunes et en particulier ceux d’entre eux qui sont marginalisés.

150 mille enfants privés d’école                                       

La situation humanitaire au Mali est, selon le rapport d’Antonio Guterres,  peu flatteur. Cette situation a été aggravée par la détérioration des conditions de sécurité dans le pays. En effet, les besoins humanitaires sont persistants en raison non seulement de la faible présence de l’État, mais aussi faute de progrès en matière de développement durable dans le Centre et le Nord du pays. Il ressort aussi du rapport que les violences dans les régions de Kidal et Ménaka et celles intercommunautaires dans la région de Mopti ont entraîné des déplacements réguliers, portant à 55 400 le nombre de déplacés, qui s’établissait aux environs de 52 000 en mai dernier. Depuis janvier 2017, plus de 30 000 nouveaux déplacés ont été enregistrés, alors que  le nombre de réfugiés maliens présents au Burkina Faso, en Mauritanie et au Niger a baissé, passant de 141 500 à 140 900. La document rappelle par ailleurs que dans le cadre du plan d’intervention national dirigé par le Gouvernement pour remédier à l’insécurité alimentaire pendant la période de soudure, l’Organisation des Nations Unies s’est associée à des partenaires pour apporter une aide alimentaire à 267 500 des 601 000 personnes se trouvant en situation d’insécurité alimentaire grave dans les zones en crise. Elle a également fourni une aide alimentaire et nutritionnelle d’urgence aux nouveaux déplacés. Aussi, depuis le rapport précédent, le nombre total d’écoles fermées s’est maintenu à 500, privant ainsi 150 000 enfants de leur scolarité dans les régions de Gao, Kidal, Ménaka, Mopti, Ségou et Tombouctou. Les fermetures étaient dues principalement à l’insécurité et aux menaces pesant sur le personnel éducatif. Les besoins s’accroissent, le financement ne suit pas. Selon Antonio Guterres, le financement de l’action humanitaire est demeuré insuffisant pour répondre aux besoins actuels et fournir l’aide nécessaire à la survie. Le montant des dépenses à engager au titre du Plan d’aide humanitaire de 2017, qui prévoit de porter assistance à 1,56 million de personnes, a été revu à la hausse en août pour tenir compte des besoins accrus en termes de lutte contre l’insécurité alimentaire durant la période de soudure. Les besoins en matière de financement ont ainsi augmenté pour passer de 293 à 304,7 millions de dollars, dont seuls 26,3 % avaient été versés au 11 septembre 2017.

Course contre la montre

En termes d’observations, le Secrétaire général des Nations Unies s’est dit profondément préoccupé par les récents événements qui ont secoué le Mali, en particulier la reprise des affrontements violents entre groupes armés signataires ainsi que l’agitation politique qui a entouré le référendum sur la Constitution, toujours en veilleuse. Ces événements, affirme-t-il, sont symptomatiques de clivages profonds divisant la société malienne, qu’il convient de transcender pour donner un nouvel élan au processus de paix. «Malheureusement, presque aucun progrès n’a été fait dans l’application de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali», note le rapport. Antonio Guterres a salué la décision du président de la République Ibrahim Boubacar Keïta de maintenir le processus de révision constitutionnelle, afin d’apaiser les tensions sociales et d’empêcher la recrudescence des manifestations. Il incombe, dit-il, au Gouvernement de déterminer rapidement les modalités d’une révision de la Constitution globale et ouverte à tous. «Le processus de paix n’aboutira que si les Maliens se l’approprient entièrement et en assument la pleine responsabilité», a estimé le patron de l’organisation mondiale qui se reste convaincu d’une chose. C’est que si on ne consolide pas les acquis du processus de paix, ceux-ci pourraient se voir très facilement anéantis. «L’absence de progrès dans la mise en place d’autorités intérimaires et la création de mécanismes opérationnels de coordination à Kidal et Tombouctou envoient un message erroné. Les réformes des institutions ne permettent pas encore d’appliquer les dispositions clefs de l’Accord, comme une réforme globale de l’appareil de sécurité ou l’adoption d’une constitution révisée», a estimé le diplomate portugais pour qui, le temps presse.

Bakary SOGODOGO

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