Du bruit. Trop de bruits même autour d’une (simple) feuille de route arrachée au terme d’interminables négociations (8 jours) en territoire étranger (Algérie) par un Etat souverain à genoux devant de (petits) groupes armés (Mnla, Hcua, Maa…) qui lui imposent leurs desiderata. En effet, du début des pourparlers d’Alger (17 juillet) à la signature de l’accord de cessation des hostilités et de feuille de route (24 juillet), le président de la République, Ibrahim Boubacar Kéïta et le Premier ministre, Moussa Mara, tympanisent les Maliens à coups de grands tapages médiatiques.
Les deux premiers responsables du pays brandissent le document devant moult institutions, acteurs politiques et nationaux et organismes diplomatiques comme un trophée de haute portée historique, là où les rebelles du Mnla, pourtant réputés spécialistes de propagandes médiatiques, se montrent muets comme des carpes.
Que cache ce boucan inapproprié du pouvoir autour d’un chemin de fer de négociations ? Prépare-t-on déjà les esprits à des compromis préjudiciables, voire à des compromissions au cours des futures négociations avec les bandits armés ? Quel Mali IBK entend-il laisser au peuple à l’issue de ces négociations : un Mali entier, décapité ou bien dépouillé de ses valeurs historiques et fondements institutionnels ? L’avenir nous le dira.
Le 11 avril 1992, le Pacte national a été signé sans tambour, ni trompette sous la houlette du chef de l’Etat de la Transition, Amadou Toumani Touré. Ce pacte a fait ses preuves.
Le 04 juillet 2006, l’Accord d’Alger a été paraphé sans le moindre tintamarre, à part les contestations ( ?) inutiles distillées par le même IBK, alors président de l’Assemblée nationale. C’était encore sous la bienveillante autorité du président ATT. Cet accord a sauvé le Mali.
Le 18 juin 2013, Tiébilé Dramé, mandaté par le président de la Transition Dioncounda Traoré, parachevait, sans bruit, la deuxième Transition malienne avec l’Accord préliminaire de Ouagadougou qui s’impose d’ailleurs toujours comme le document de base des pourparlers inclusifs inter maliens.
Comme on le constate, jamais, en ces différentes occasions, le pouvoir n’est monté au créneau pour vanter les mérites des conventions signées.
Mais, que se passe-t-il avec l’actuelle feuille de route ? Bien avant la signature de cet accord, IBK (le pourfendeur de l’accord d’Alger de 2006) avait pris son bâton de pèlerin ou du moins ouvert les portes du palais de Koulouba à toutes les sensibilités maliennes pour « causer » sur les pourparlers alors que ceux-ci étaient en cours. Après la signature, le chef de l’Etat a poursuivi avec son show médiatique, mandatant également son Premier ministre, son ministre des affaires étrangères et son Haut Représentant pour le dialogue inclusif inter malien à communiquer à outrance.
C’est le 23 juillet, soit la veille de la signature de l’accord que le chef de l’Etat a entamé son marathon d’explication, de sensibilisation et de larges consultations des institutions de la République, des corps constitués et des différents segments du corps social sur les pourparlers d’Alger. Les consultations visent, selon Koulouba, à un partage d’informations sur le processus de dialogue et à requérir les avis et suggestions des interlocuteurs du président. Premiers à table : les responsables des forces de défense et de sécurité.
A l’issue des échanges avec les officiers supérieurs de l’armée, le chef d’Etat-major général des Armées, le général Mahamane Touré confiera à la presse : « Le président de la République, chef suprême des Armées, a entrepris d’informer les forces armées et de sécurité des négociations en cours. C’est à ce titre que le chef suprême des Armées a décidé de rencontrer les chefs d’Etat-major, les directeurs de service et assimilés pour leur faire le point de la situation en cette première phase des négociations. Il a levé un certain nombre d’équivoques. Il y a des rumeurs qui circulent… Il était donc nécessaire que la bonne information soit donnée aux chefs militaires et qu’ils véhiculent ces informations au niveau des troupes ».
Le 24 juillet, jour de la signature de l’accord, les consultations se sont poursuivies. Ibrahim Boubacar Keita a reçu tout d’abord le bureau de l’Assemblée nationale, les membres de la Cour suprême, de la Cour constitutionnelle, les responsables du Haut conseil des collectivités, les membres du bureau Conseil économique, social et culturel, le Médiateur de la République et le Vérificateur général.
Ont ensuite défilé à Koulouba, une soixantaine de leaders politiques, les représentants des organisations de la société civile, à savoir les anciens Premiers ministres, les responsables des regroupements membres du Forum de la société civile, la presse nationale (Assep, Urtel, Groupe patronal, Maison de la presse), le Conseil national des jeunes, les Ambassadeurs des pays musulmans, les membres du Haut conseil islamique du Mali, l’Eglise catholique, l’Eglise protestante, les représentants des familles fondatrices de Bamako, les chefs traditionnels et le Recotrade (Réseau des communicateurs traditionnels pour le développement).
Le président de la République a « kidnappé » des jours durant la télévision nationale à propos de cette feuille de route, considérée (trop hâtivement ?) comme un grand pas en avant dans le processus de négociation.
Mais, dans cette vaste campagne de médiatisation des résultats des pourparlers d’Alger, IBK n’est pas seul. Le Premier ministre Moussa Mara (qui a causé la perte des acquis avec sa visite à Kidal, en mai dernier) en a quasiment fait une victoire personnelle et un produit de campagne politique.
Préparer les esprits…
Mara avait entamé son tour de sensibilisation depuis ses rencontres de rupture du jeûne avec la société civile et la presse. Avec ses invités d’un après-midi, il a fait le point sur l’évolution du processus de dialogue du gouvernement avec les groupes armés depuis le jeudi 17 juillet à Alger. Mais, Mara en a surtout profité pour inviter les journalistes à fournir la bonne information, faisant ainsi allusion à la rumeur selon laquelle le gouvernement est allé à la négociation sans feuille de route. Selon lui, cette feuille de route avait été remise à la partie algérienne qui devrait la confronter à celle des groupes armés pour parvenir à un document final commun.
Moussa Mara n’a raté aucune occasion pour parler de cet accord. Il occupe, comme IBK, le haut du pavé de la télévision nationale, quasiment tous les soirs. Et depuis quelques jours, le Premier ministre a engagé la surmultipliée en initiant, comme IBK (la feuille de chou, pardon de route, sous les aisselles), un marathon de rencontres avec les institutions de la République. Il était toujours dans ce pèlerinage au moment où nous mettions sous presse.
Pourquoi autant de tapage pour une feuille de route alors même que les négociations proprement dites vont démarrer, en principe, le 17 août ?
Beaucoup d’observateurs estiment que le président IBK est entrain de préparer les Maliens à d’éventuelles contestations face à des compromis inacceptables ou même à des compromissions qu’il pourrait être amené à faire lors des futures négociations.
Selon eux, le président de la République reste figé uniquement sur « les points non négociables » : intégrité territoriale, souveraineté nationale sur l’ensemble du territoire, laïcité de l’Etat et unicité de la nation. En un mot : pas d’indépendance, pas d’autonomie. Or, il y a beaucoup d’autres points cruciaux sur lesquels l’Etat ne devra pas fléchir face aux groupes armés : pas de statut particulier pour Kidal, pas de traitement préférentiel pour la région et ses ressortissants, nul torpillage institutionnel au détriment des autres régions, point d’islamisation régionale pour l’Azawad, etc.
Partagés entre doute et espérance, les Maliens ont hâte de savoir aujourd’hui, à quelle sauce ils seront mangés ou à quelle fête ils seront invités au soir de la signature de l’Accord définitif.
Sékou Tamboura