Le 15 avril est passé et la Coordination des mouvements de l’Azawad, dont plusieurs responsables sont à Alger depuis hier, n’a toujours pas paraphé le projet d’accord pour la paix et la réconciliation nationale au Mali, comme annoncé par le médiateur algérien, officiellement, aux autorités maliennes. Quelles questions faut-il encore régler ?
Plus de quarante-cinq jours après son adoption par la médiation internationale conduite par l’Algérie et les observateurs, le 25 février, et son paraphe, le 1er mars, par les autorités maliennes et les groupes d’autodéfense, le projet d’accord pour la paix et la réconciliation nationale au Mali reste toujours lettre morte. En raison du refus de la coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) de le parapher en l’état actuel, c’est-à-dire sans la prise en compte des amendements issus d’une large consultation avec les bases. En réalité, ces amendements ne sont qu’un prétexte pour masquer les dissensions internes entre les composantes de la CMA, mais aussi au sein de chacune de ces composantes. Depuis que la communauté internationale sur laquelle comptent les groupes rebelles terroristes a entériné le projet d’accord, un statut particulier pour les régions du nord et la reconnaissance officielle du terme Azawad consacrant une réalité juridique et politique à ces régions sont devenus caduques. Aujourd’hui, le divorce est consommé entre les populations du nord qui souffrent le martyre, abandonnées à elles-mêmes et sans ressources parce que le narcotrafic est en net recul grâce aux interventions françaises, et leur élite qui se pavane dans certaines chancelleries occidentales, du Golfe ou même d’Afrique.
Divorce
Le divorce est patent. En effet, la semaine dernière, le ministre algérien des affaires étrangères informe le gouvernement malien que la CMA est prête à parapher l’Accord le 15 avril au cours d’une cérémonie à Alger. Quelques heures plus tard, il est démenti par Mossa Ag Attaher, un porte-parole du Mnla, selon lequel leurs mouvements ne sont pas prêts à parapher le document si les amendements, émanation de la volonté populaire, ne sont pas pris en compte. Il ne précise pas ce qu’ils entendent par « pris en compte », ni comment ni où ni quand cela doit se faire. Est-ce après la signature ? Probablement parce que le gouvernement malien, la médiation, les observateurs et le reste de la communauté internationale ont été clairs : il n’y aura pas de nouveau round de négociations. La récréation est finie, il faut aller à la signature ou subir les pressions. Lors de sa 496ème session à Addis-Abeba, le 27 mars 2015, le conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine (UA) s’est penché sur le processus de paix et de réconciliation en cours au Mali. Dans un document adopté à l’unanimité, le conseil demande à la Cma, qui regroupe le MNLA (mouvement national de libération de l’Azawad), le MAA (mouvement arabe de l’Azawad), la CPA (coordination pour le peuple de l’Azawad) et le HCUA (haut conseil pour l’unité de l’Azawad), de parapher sans délai l’Accord issu du processus d’Alger. Et ce dans l’intérêt des populations qu’elle affirme représenter. De fait cette CMA à laquelle s’adresse l’organisation panafricaine, c’est celle qui regroupe les ailes dures de ses différentes composantes, les modérés ayant compris les dangers de l’intransigeance et où se trouvent vraiment leurs intérêts.
Modérés
Après avoir actionné en vain quelques réseaux, les rebelles terroristes ont dû se rendre à l’évidence : parapher le document en l’état ou encourir le risque, en plus des sanctions internationales, de perdre aussi les avancées concédées par le gouvernement. Autre signe du divorce entre les populations kidaloises et leurs chefs exilés, c’est la présence de représentants directs de ces dernières à Alger, aux côtés des dirigeants traditionnels des rebelles terroristes. Ils sont à Alger, pour certains depuis lundi ou mardi, et ne parlent plus le même langage que leur direction.
Les modérés comprennent très bien que l’UA soit déçue par la CMA qui refuse de parapher un accord au « caractère équilibré », comprenant des « compromis » acceptés par les autres parties au nom de la réconciliation et de la paix. Ils comprennent également que le courant ne passe pas bien entre le Mnla, qui veut dominer les débats, s’imposer aux autres alors que militairement il ne représente plus rien, et le Hcua qui a opéré un rapprochement avec Alger et est seul à avoir une force de frappe significative. Le MAA également est en train de se démarquer du Mnla, mais pas seulement à cause de ce dossier du nord. Les Touareg se seraient beaucoup trop rapprochés du Maroc et de la Mauritanie alors que leurs alliés arabes ont un penchant pour l’Algérie et les Sahraouis. Le jeu trouble et l’inconstance du Mnla au cours de ces derniers mois de négociations ont donc été les facteurs essentiels des dissensions en son sein et au sein de la CMA, amenant les bases à se demander ce que veulent leurs chefs, pourquoi ils font autant de surenchères.
Impunité
Ces bases, sous le commandement éclairé de leur nouvel amenokal, Mohamed Ag Intallah, frère du chef du Hcua, ont décidé de mettre la pression jusqu’à ce qu’une solution définitive voire durable soit trouvée à cette crise qui dure depuis longtemps. Elles sont représentées à Alger et se feront entendre, autrement le Mnla pourrait déjà signer son arrêt de mort. A moins qu’il ne se rabatte, encore une fois, sur ses protecteurs.
En effet, malgré les assurances officielles données par l’UA, l’Union européenne et l’Onu, la position de certains pays qui se disent amis du Mali reste à préciser. Il s’agit de la France dont les politiques et les militaires, notamment la force d’intervention dans le Sahel, ne parviennent pas à s’accorder sur le sort à réserver aux Touareg du Mnla. En outre, le représentant de l’Union européenne pour le Sahel, un Français rompu à la diplomatie équilibriste, ancien ambassadeur de la France rappelé à Paris pour des raisons obscures, Reveyrand de Menthon, soutient que « ni les sanctions, ni les menaces pour non-respect du délai imparti aux dirigeants de la CMA pour consulter leur base sur la date de signature de l’accord de paix ne constituent une solution à la situation qui prévaut au Nord du Mali. C’est le temps qui fera évoluer la position de la CMA. » Autrement dit, à Paris ou à Bruxelles on n’est pas forcément pour les sanctions à l’encontre des chefs de la rébellion. Il y a deux ans déjà, dans les capitales française et européenne, ces chefs se baladaient insouciants alors qu’ils faisaient l’objet de mandats d’arrêt internationaux émis contre eux par la justice malienne pour présumés crimes de guerre, crimes contre l’humanité, atteintes diverses aux droits humains, viols, assassinats, etc. Il n’y a eu aucune suite à la demande judiciaire adressée par les autorités de la transition du Mali à la communauté internationale. Les saigneurs de guerre s’en tireront-ils encore une fois ?
Cheick TANDINA