La paix et l’unité nationale au Mali : A quel prix ?

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Photo à titre illustratif

On se souvient qu’au milieu des années 90, l’ancien président malien, Alpha Oumar Konaré, pour justifier les mesures prises dans le cadre de la résolution du conflit armé qui opposait certaines communautés septentrionales du pays au gouvernement, déclarait en substance que la paix n’a pas de prix mais un coût.

Les fondements de cette déclaration ressortent encore aujourd’hui dans le verbe du président actuel, Ibrahim Boubacar Keita. Alors qu’en décembre 2013, le discours était « On ne me trimbale pas, on ne me bouscule pas… », les propos du chef de l’Etat malien ont évolué et sont perçus actuellement, dans la conscience collective malienne, comme un aveu de faiblesse des pouvoirs publics maliens fasse à la récurrente question des rébellions armées au Nord du pays qui, de façon cyclique, mettent un péril sur la République en prenant les armes contre elle.

De la volonté de résoudre la problématique des rébellions armées au Nord du pays de façon durable voir définitive à l’organisation de la conférence d’entente nationale en passant par la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale, en mai et juin 2015, la trajectoire du processus de paix au Mali semble plus complexe que le problème lui-même. Une batterie de mesures et d’actions sont initiées et envisagées dans le cadre de ce processus. Avec le recul, il est difficile et peu probable de faire le lien entre toutes les actions entreprises et de mettre en évidence un processus cohérent assortie d’étapes distinctement établies et suivant une direction politique claire.

Au début du premier trimestre 2017, une conférence dite d’entente nationale a été organisée. La conférence était censée prendre en compte les dimensions mémorielles, identitaires et historiques de la crise malienne. Sans prendre en compte les aspirations profondes du peuple ainsi que le caractère inclusif qui devrait en être l’essence, la rencontre a produit, à postériori, une charte. Cette charte, non acceptée par les groupes armés dans un premier temps, qui n’a fait l’objet d’aucune forme de communication ouverte en vue d’appropriation nationale a abouti finalement au dessein d’une loi en faveur de l’entente nationale. Dans son adresse à la nation du 31 décembre 2017, le président IBK a déclaré qu’un projet de loi sera présenté aux députés dans les semaines à venir.

Suivant le président, le texte proposera notamment : « l’exonération de poursuites de tous ceux impliqués dans une rébellion armée, mais qui n’ont pas de sang sur les mains ; des mesures d’apaisement après l’accélération des procédures en cours et les réparations accordées aux victimes reconnues ; un programme de réinsertion pour tous ceux qui déposeront les armes et s’engageront publiquement à renoncer à la violence».

Cette mesure semble s’inspirer de la loi de « concorde civile » en Algérie voisine. Pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants de cette loi algérienne, voici un extrait d’une analyse, écrite par Abderrahmane Moussaoui, Professeur en anthropologie (Faculté d’Anthropologie, de Sociologie et de Sciences Politiques- Université Lumière/Lyon 2).

« … la loi dite de « concorde civile » est en réalité un dispositif technique visant à réhabiliter la souveraineté de l’État. Elle s’adresse à des terroristes à qui elle propose l’allègement des peines pénales, et la remise sous certaines conditions de la sanction. Son but est le rétablissement de la sécurité…

Ce qui a été appelé concorde civile est une politique non pas de réconciliation nationale, mais une politique de rétablissement de l’ordre. D’ailleurs, à regarder de près, les termes mêmes de concorde civile paraissent non appropriés. Plutôt que de concorde civile, il s’agit d’une entente politique entre deux principaux acteurs politiques (le pouvoir et son opposition armée) qui tentent de négocier une sortie de la crise dans laquelle ils se sont enlisés depuis une dizaine d’années. Un intitulé comme celui de « concorde nationale » ou « réconciliation nationale » aurait signifié plus clairement la dimension politique du problème.

Dans ses grandes lignes, cette loi semble avoir été inspirée par l’expérience sud-africaine en la matière. Cependant, en y regardant de plus près, si inspiration il y a, elle est réduite à quelques aspects techniques. Comme pour la Commission Vérité et Réconciliation, en Afrique du Sud, l’opération se voulait limitée dans le temps.

Dans ses dispositions, la loi sur la concorde civile prévoit, à l’instar de l’initiative sud-africaine, des commissions pour écouter les candidats. Seulement ici, il s’agit de comités de probation dont les membres (au niveau de chacune des wilayas) appartiennent aux services de l’État (ministère de l’Intérieur et ministère de la Défense) à l’exception du bâtonnier de l’ordre des avocats. L’absence de représentants des droits de l’homme et de la société civile accentue le caractère administratif de la gestion de cette opération. Les audiences de ces comités n’étant pas publiques, les observateurs et la société civile doutent de leur existence même. Beaucoup de personnes relaxées sont connues dans leurs quartiers pour avoir commis des crimes que les dispositions de la loi ne devraient pas permettre de pardonner. Tout porte à croire qu’il s’agit de décisions administratives prises globalement par les services en charge du dossier.

En Afrique du Sud, un des préalables à la réconciliation était la vérité, d’où l’appellation Commission Vérité et Réconciliation. Les victimes avaient la possibilité de dire ce qui leur était arrivé ; ainsi, leurs épreuves étaient publiquement reconnues. Les bourreaux avaient le devoir de rendre compte de leurs actes en s’engageant à dire toute la vérité en échange du pardon. Ceci va permettre la reconstitution du passé et la découverte, pour les uns et pour les autres, de la communauté de destin aussi bien dans les excès que dans la souffrance. En Algérie, l’objectif n’est manifestement pas celui de rechercher les racines du mal pour tenter d’y apporter des éventuels remèdes. Il semble se limiter à une restauration immédiate de l’ordre.

Sur le plan strictement juridique, la loi sur la concorde civile semble poser problème. Les articles de la constitution sur la base desquels cette loi a été proposée au Parlement (77-7 et 122) ne donneraient pas à celui-ci la prérogative de son adoption. Au vu des dispositions de la constitution, le Parlement ne peut adopter que les textes de loi d’amnistie. En conséquence, certains juristes estiment qu’il ne peut en aucun cas adopter une loi qui participe tout à la fois de la grâce, de l’amnistie et des commutations de peine. Il faut dire que le débat était dépassé par la réalité. La loi était déjà en application (depuis juillet 1999) bien avant sa proposition au Parlement et avant le référendum/plébiscite du président.

Lors de sa campagne pour le référendum, le président se plaisait à répéter qu’il était disposé à pardonner à tous, sauf « à ceux qui avaient les mains tachées de sang ». Le subtil distinguo entre ceux qui ont « les mains tachées de sang » et les autres peuvent paraître convaincant sur le plan de la métaphore et s’avérer inopérant sur le terrain. La loi établit une distinction entre ceux qui n’ont fait qu’aider et les véritables exécutants. Cependant, le flou demeure quant aux commanditaires dont certains ont été considérés comme plus justiciables de pardon que d’autres. Le regard n’est plus posé sur la faute commise mais sur la volonté (manifestée) de coopérer. Dès lors, une brèche est ouverte rendant possible les interprétations et les récupérations. Au nom d’une loi, d’autres lois sont transgressées. Ainsi, quand la loi sur la concorde civile ne traite pas de la même manière celui qui a commis le crime et celui qui l’a ordonné, elle ne reconnaît pas la définition du code pénal algérien qui les unit tous les deux dans la catégorie d’auteur du crime. Car, au-delà de la métaphore, l’expression « les mains tachées de sang » peut concerner tout le monde, de celui qui a servi de soutien logistique à celui qui a conçu le plan ou l’a exécuté. L’acte terroriste est par définition un acte collectif. »

Sambou Sissoko

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