C’est alors qu’il se trouvait, vendredi dernier à N’Djamena, en pleine séance de travail avec ses pairs lors du sommet de la CEN-SAD que le président Malien a pris connaissance de l’opération militaire conjointe de la France et de la Mauritanie sur son territoire en vue, dit-on, de libérer l’otage français détenu par AQMI. Il n’en fallait pas plus pour Amadou Toumani Touré de quitter précipitamment la salle pour regagner l’Aéroport et atteindre Bamako. Quelques heures plus tard, il reçut à Koulouba les émissaires du président Mauritanien en la personne du chef d’Etat major particulier de Mohamed Ould Abdelaziz en personne, du ministre de la Défense et du Directeur de la Police mauritanienne. La guerre contre Al Qaïda vient de susciter un autre malaise diplomatique très profond entre le Mali, l’Espagne et le duo Franco-Mauritanie.
C’est dans le but de faire libérer l’otage français Michel Germaneau détenu par AQMI au nord Mali depuis le mois d’avril dernier que l’armée mauritanienne, appuyée et parrainée par les services secrets français et américains a effectué, jeudi dernier, un raid sur une présumée base d’AQMI, 200 kilomètres à l’intérieur du Territoire malien.
L’opération aurait, selon les autorités mauritaniennes, fait six morts dans les rangs des ravisseurs. S’adressant à la presse, le ministre français de la Défense a avoué que son pays " avait apporté un soutien technique et logistique à une opération mauritanienne". L’opération n’a cependant pas permis de retrouver, à fortiori de libérer l’otage.
L’opposition politique mauritanienne à travers la Coordination de l’opposition démocratique (COD), a vivement critiqué l’attitude des autorités du pays estimant que "l”opération a été menée avec la participation de troupes étrangères [la France] et, probablement, sans concertation préalable avec le pays [le Mali] dont le territoire lui a servi de théâtre". Ces faits, poursuit le communiqué, s’avèrent "d’une extrême gravité" et "mettent notre pays dans une situation de guerre non déclarée". Elle a aussi fait cas de "sa grave inquiétude suite à ces événements qui ajoutent au climat d’insécurité sur nos frontières". Pour sa part, le président mauritanien a commis des émissaires à Bamako lesquels ont été reçus par ATT à Koulouba vendredi dernier. Les envoyés, à savoir, le chef d’Etat major particulier du président de la République Mohamed Ould Abdelaziz, le ministre de la Défense et le Directeur de la Police mauritanienne, nous apprend-on, étaient porteurs "d’un message ultra confidentiel " du président mauritanien.
Même si rien n’a filtré de l’entretien qu’ils ont eu avec ATT, l’on présume que le raid militaire du jeudi dernier et ses corollaires étaient au centre des préoccupations. Il nous revient par ailleurs que l’opération n’était pas encore achevée, samedi dernier.
En tout état de cause, ATT n’aurait pas apprécié le geste mauritanien, visiblement commandité par le Quai d’Orsay. Et pour cause : le président malien s’est récemment attiré la foudre de certains de ses pairs, dont la Mauritanie, en procédant à l’échange de quatre présumés terroristes contre la libération du Français Pierre CAMATTE. Pendant que le Mali recevait alors les félicitations du président Sarkozy qui a fait le détour sur Bamako pour les besoins de la cause, la Mauritanie rappelait son ambassadeur pour consultation. Et voilà aujourd’hui les deux protagonistes faire cause commune à propos d’un autre otage français dans le même espace géographique mais prenant soin de tenir le président malien très loin à distance.
ATT ne s’attendait certainement pas à cela quand bien même il ait récemment autorisé l’armée algérienne à poursuivre les assaillants jusque dans son propre pays.
Le Mali n’est visiblement pas le seul à se plaindre de la décision franco-mauritanienne. L’Espagne aussi, au motif que deux de ses ressortissants sont encore retenus pas les ravisseurs.
L’opération, en tout état de cause, comporte beaucoup de zones d’ombre. La libération de l’otage français n’en semble pas être le principal objectif.
Ce qui n’a pas été dit
Michel Germaneau, 78 ans, est un ingénieur français retraité et intervenant désormais dans le domaine de l’humanitaire. Il a été enlevé au Niger au mois d’Avril 2010 par le Groupe terroriste d’Abdelhamid Abou Zeid lequel a tristement fait parler de lui en exécutant l’otage britannique Edwin Dyer en 2009 et en enlevant Pierre Camatte. Il menace de réserver le même sort au Français Michel Germineau , ce lundi 26 juillet, s’il n’obtenait pas la libération de plusieurs de ses combattants incarcérés en Mauritanie notamment. L’on pense en l’occurrence au Malien Omar Sid’Ahmed Ould Hamma surnommé, "Omar le Sahraoui", récemment jugé et condamné à 12 ans de prison assortis de travaux forcés et de la confiscation de tous ses biens, par un tribunal mauritanien pour sa participation à l’enlèvement de touristes espagnols au mois de novembre dernier.
Ce que les services secrets mauritaniens ne disent pas, c’est qu’"Omar le Sahraoui", a été lui-même, ainsi que quelques uns de ses camarades, kidnappés dans la région de Tombouctou au Mali par un groupe d’individus et sur instruction des services secrets de Nouakchott à leur tête, l’un des émissaires ayant récemment rencontré le président malien à Koulouba.
Nouakchott refuse évidemment de livrer les terroristes en question au risque de susciter d’autres polémiques, elle qui a reproché le même geste à son voisin malien : la libération de présumés terroristes sous la pression.
Elle craint du coup les représailles de la nébuleuse AQMI lequel a, pour un motif similaire, mené une expédition punitive sur un poste frontière Algérien faisant 11 morts parmi les Gendarmes attaqués à l’arme lourde.
La Mauritanie s’attend visiblement à une réaction similaire et tente par conséquent, à travers ce raid, anticiper et dissuader l’ennemi.
Mais pourquoi cette participation de la France au mépris de la vie de l’otage ? Il nous revient que Michel Germaneau souffre et ce, depuis maintenant plusieurs années, d’une insuffisance cardiaque. Et depuis son enlèvement au mois d’avril dernier, il n’a reçu aucun traitement approprié.
En clair, la dernière preuve de vie du français a été donnée à mai dernier, un peu moins d’un mois après son enlèvement. Les ravisseurs avaient alors adressé aux autorités françaises, un enregistrement sonore et une photo de lui, réclamant l’intervention du président français pour sa libération. Et plus de nouvelle ! Le ministère français des Affaires étrangères a indiqué par voix de presse, que les ravisseurs refusent tout contact depuis cette date… En somme, des observateurs ne sont pas certains que l’otage soit toujours en vie. Une funeste éventualité qui expliquerait alors la participation de la France à l’opération, la France dont les ressortissants semblent désormais la cible privilégiée des ravisseurs dans cette région.
En tout état de cause, on voit mal un raid de cette nature et face à des terroristes dans leur environnement, se solder par la réussite si tant est que l’objectif consiste à libérer un otage.
ATT trahi par ses pairs français et mauritanien
Le président malien, jadis courtisé et choyé pour ses interventions salutaires en vue de la libération d’otages occidentaux, semble désormais écarté des opérations de lutte contre les terroristes. Son pays n’a pas été impliqué ni de près ni de loin au raid du jeudi dernier sur son propre territoire. C’est dans la capitale Tchadienne qu’il apprit la nouvelle. Il écourta alors son séjour et se rendit à Bamako pour y rencontrer, vendredi, des émissaires du président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz.
" M. Touré est sorti de la salle vers 12H30 locales (11H30 GMT) pour se rendre à l’aéroport. Interrogés sur ce départ précipité, les services du protocole d’Etat tchadien n’ont pas souhaité s’exprimer ", rapporte l’AFP.
Les faits sont tout simplement graves au point que le journal français "La Tribune" relève que "L’intervention militaire d’une puissance européenne dans un espace souverain suscite des interrogations " ajoutant que les terroristes pourraient se venger des maliens et mauritaniens. Inquiétude également de l’opposition politique mauritanienne qui, dans un communiqué, fustige l’attitude chevaleresque de Nouakchott estimant que les faits sont "d’une extrême gravité". La Mauritanie semble pourtant n’avoir été que le bouc émissaire. L’opération, nous apprend-on a été concoctée par les services secrets français et américain. Information confirmée par les premiers et non encore démentie par les seconds.
Les Français entretiennent cependant un flou artistique sur les véritables objectifs de l’opération. Un communiqué emblématique émanant du ministère français de la Défense indique tantôt, que "Le groupe visé était celui qui refuse de donner des preuves de vie et d’engager le dialogue en vue de la libération de l’otage Michel Germaneau" ; et tantôt, que " des moyens militaires français ont apporté un soutien technique et logistique à une opération mauritanienne destinée à prévenir une attaque d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) contre la Mauritanie" ; ou mieux encore, que " l’opération conduite par les Mauritaniens a permis de neutraliser le groupe de terroristes et de faire échec au projet d’attaque contre des objectifs mauritaniens ". Que d’arguments contradictoires !
Tout cela, en tout ca, dans le plus grand secret et à l’insu du président malien lequel a pourtant donné le meilleur de lui-même en vue de la libération d’otages.
Pour sa part, le Gouvernement espagnole a été informé juste avant le déclenchement de l’opération, selon le journal El Pais. Ce qui ne fut pas le cas pour le Malien puisque c’est à 11H 30 qu’ATT est précipitamment sorti de la salle de réunion du sommet de N’Ndjamena pour se rendre à Bamako. Le raid a été mené très tôt le matin du jeudi.
En clair, si les occidentaux se réjouissent de la libération de leurs compatriotes détenus dans la région grâce aux efforts du président malien, ils reprochent à celui-ci sa timidité face à la menace non seulement d’Al Qaïda, mais aussi celle relative au narcotrafic, non sans soupçonner une certaine complicité dans la haute sphère malienne. Bien entendu, français, américains et leurs alliés de circonstance, semblent ne tenir compte des contraintes d’une autre nature et relatives à la question touarègue à la gestion de laquelle ils ont pourtant promis ciel et terre ; des promesses restées cependant sans suite. Aussi vrai qu’il existe une accointance entre trafiquants, (ex-)combattants de la rébellion, populations locales et groupes terroristes dans la région, il ne fait aucun doute qu’ATT ne saurait jamais, à lui seul, contenir le phénomène. Le moins qu’il puisse faire, c’est de jouer au pompier et surtout, éviter d’exposer ses populations aux représailles d’où qu’elles viennent. Cela, les autres ont du mal à comprendre. Amadou Toumani Touré est décidément seul, très seul ! Et si le Malien a été seulement naïf ? Un Etat, ca n’a pas d’ami. Il a des intérêts!
B.S. Diarra